Je suis au fond d’une sombre crypte, à Carthagène des Indes, en Colombie. La même qu’a visitée l’écrivain Gabriel García Márquez, alors qu’il était reporter pour le quotidien El Universal, il y a 70 ans. «Il a vu une longue chevelure rousse sortir du caveau et c’est ce qui lui a inspiré le roman De l’amour et autres démons», me raconte Susanna van Vianen, de l’hôtel Sofitel Legend Santa Clara. Quelques notes de salsa provenant du bar El Coro, qui a été aménagé dans cette ancienne chapelle, me rappellent que je ne risque heureusement pas de faire ce genre de macabre découverte aujourd’hui.

J’ai la chance de séjourner dans ce qui était autrefois un couvent de la congrégation Sainte-Claire-d’Assise, fondé en 1607. Mais, contrairement aux religieuses qui y vivaient cloîtrées, je suis loin de faire pénitence. Hier encore, je me suis prélassée dans la piscine de la luxuriante cour intérieure, où se trouvait jadis le potager de la communauté; j’ai dégusté un verre de spumante dans le bureau de la mère supérieure converti en cellier (elle n’aurait certainement pas apprécié); et on a préparé sous mes yeux un succulent tartare dans l’ancien réfectoire qui abrite désormais le restaurant 1621. Si Gabriel García Márquez vivait toujours, j’aurais même pu croiser le Nobel de littérature puisque sa famille possède une villa voisine de l’hôtel.

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Ábaco Libros y Cafe, un café-librairie niché dans une maison coloniale. Photographe: Violaine Charest-Sigouin

Il faut dire que dans le Centro historico de Carthagène (classé au patrimoine mondial de l’UNESCO), l’Histoire peut surgir à tout moment. Il y a les villas coloniales aux façades colorées dont les balcons sculptés en acajou croulent sous les bougainvilliers; les fortifications érigées au XVIe siècle par les Espagnols pour protéger leur or et leurs émeraudes des pirates; sans compter les nombreux monuments historiques, dont le Palacio de la Inquisición, où l’on torturait ceux qui avaient le malheur d’être soupçonnés de sorcellerie. Au détour d’une rue, il n’est pas rare d’apercevoir une Palenquera portant un panier de fruits sur sa tête. Ces femmes originaires de San Basilio de Palenque, le premier village fondé par des esclaves affranchis en Amérique, sont devenues le véritable emblème de Carthagène.

La ville baignant dans la mer des Caraïbes est toutefois loin de vivre dans le passé. Ces dernières années, on ne compte plus les restaurants de chefs vedettes, les boutiques de designers et les bars de mixologues qui sont apparus dans le centre historique. Non loin de là, le quartier de Getsemaní, longtemps malfamé, est devenu un repaire branché où les auberges de jeunesse côtoient les hôtels-boutiques. Le soir, une foule bigarrée composée de touristes et de Colombiens se retrouve sur les pavés de la Plaza de la Trinidad qui se transforme bien souvent en piste de danse à ciel ouvert. Une scène qu’on n’aurait pas pu imaginer à peine une décennie plus tôt.

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Vue sur le coucher de soleil depuis les fortifications. Photographe: Violaine Charest-Sigouin

TENDANCES ET TRADITIONS

«¿Cuánto cuesta?» Patricia Millán Gutierrez de Piñeres pointe un sac en laine aux couleurs vives. Cette fana de mode a été mandatée par Singular LTD, une agence spécialisée dans les séjours sur mesure, pour me révéler ses meilleures adresses à Carthagène. Déjà, nous avons fait un saut chez la designer Silvia Tcherassi, dont les créations ont été aperçues sur les passerelles de Milan et Paris; à la boutique Loto del Sur, qui mise sur des ingrédients comme le café, l’acacia ou le rhum pour produire d’enivrants soins pour le corps; sans oublier le concept store St. Dom, qui offre une impressionnante sélection de griffes locales, incluant les élégantes robes de Johanna Ortiz et les sacs Michú. La besace que Patricia me désigne est toutefois vendue à une fraction du prix par un marchand de rues, dont les sandales ornées de pompons et autres accessoires colorés pourraient tout autant fi gurer dans un édito de mode. «On appelle ces sacs mochilas. Les indigènes les utilisent pour récolter la coca, m’apprend-elle. Mais, depuis deux ou trois ans, plusieurs marques proposent leurs propres versions.»

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Hernán Zajar, designer. Photographe: Violaine Charest-Sigouin

Hernán Zajar est l’un des designers qui ont remis ces techniques artisanales au goût du jour. Dans son atelier à la devanture fuchsia, j’admire ses sacs perlés en forme d’ananas ou de lime. Il me raconte que cette collection aux saveurs tropicales est inspirée d’une Palenquera qui a marqué son enfance. «Elle s’appelait Amalia. Lorsque j’allais à la plage avec mes amis, elle me donna it des fruits même si je n’avais pas d’argent. Elle allait ensuite voir ma mère pou r se faire rembourser!», s’exclame-t-il en exhibant une magnifi que robe crochetée dont les volants évoquent la tenue traditionnelle des Palenqueras. À quelques rues de là, j’entre dans la boutique El Centro Artesano, où des mochilas côtoient de superbes nappes tissées et des paniers en paille tressée. Après avoir traversé une charmante cour intérieure et un café, j’aperçois des femmes assises à une table sur laquelle s’emmêlent des fi ls colorés. L’une d’elles confectionne des pompons, l’autre un bracelet en perles, sa voisine un collier en papier mâché. Ce sont les protégées de Joana Caparrós qui, il y a 20 ans, a fondé l’organisme Women Together afi n de permettre à celles-ci de vivre de leur artisanat, notamment grâce au micro-crédit. «Nous leur donnons des ateliers sur les tendances, en plus de créer un pont avec l’industrie de la mode, m’explique-t-elle, en me montrant un sac prévu pour la prochaine collection de Dolce & Gabbana. C’est aussi une manière de s’assurer que les traditions ne se perdent pas.»

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Le quartier historique se visite à pied… ou en bus! Photographe: Violaine Charest-Sigouin

COCKTAIL CULTUREL

Devant moi s’alignent d’immenses portraits de femmes à la peau noire et aux cheveux blancs. Je suis au Museo de Arte Moderno de Cartagena et ces muses sont les mêmes Palenqueras qui posent pour les touristes en échange de quelques pesos. Sauf que, cette fois, elles ne portent pas le foulard et la robe colorés qui les caractérisent. Il s’agit de l’oeuvre Tejiendo Calle de Ruby Rumié, dont l’atelier est situé dans Getsemaní et qui s’interroge sur l’impact de l’embourgeoisement sur la vie de ces marchandes ambulantes. Lorsque je visite plus tard la NH Galeria, qui a aussi pignon sur rue à New York, je suis de nouveau frappée par l’une de ses saisissantes photographies, apparaissant à côté d’une sculpture de l’artiste française Niki de Saint Phalle.

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L’art de rue abonde dans le quartier branché de Getsemaní. Photographe: Violaine Charest-Sigouin

Quelques jours plus tôt, j’ai assisté à un concert de l’orchestre Filarmónica Joven de Colombia, dans le cadre du Cartagena Festival Internacional de Música. La semaine prochaine, le romancier Marc Lévy sera de passage en ville pour l’édition colombienne du Hay Festival, un événement littéraire originaire du pays de Galles qui voyage notamment au Danemark et en Espagne. Et c’est sans compter le Festival international du fi lm de Carthagène qui, en mars, présente les meilleurs fi lms d’Amérique latine. Avec une vie culturelle aussi trépidante, c’est à peine si on a le temps de lézarder sur la plage. Mais qui s’en plaindra? En soirée, Susanna et moi nous rendons au bar Alquímico, aménagé dans une superbe demeure des années 1910. Si ce n’était de la faune animée qui y déguste des cocktails élaborés, j’aurais l’impression d’être à une tout autre époque. Tandis que Luis manipule devant nous des fi oles de sirops et d’amers, Susanna me raconte qu’elle a vécu pendant des années à Barcelone. «Chaque fois que je disais que j’étais Colombienne, on me parlait de narcotrafi quants. Aujourd’hui, je vois tous ces gens venus découvrir mon pays et ça me rend vraiment heureuse.» Oui, la beauté de Carthagène réside dans son passé, à la fois sombre et lumineux, mais elle n’a pas fi ni d’écrire son histoire.

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Pour l’apéro, rendez-vous au bar Alquímico! Photographe: Violaine Charest-Sigouin

SAVEURS CARAÏBÉENNES

Oubliez les buffets insipides des tout-inclus, Carthagène peut se targuer d’avoir une excellente gastronomie. Voici trois adresses où manger une cuisine locale au goût du jour.

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  Photographe: Instagram @jennyinstyie

LA VITROLA

La déco truffée d’antiquités et de photographies d’anciens clients (dont Gabriel García Márquez) donne l’impression de voyager dans le temps. Quant à la carte, elle fait la part belle aux poissons et fruits de mer. Laissez-vous tenter par la tarte à la noix de coco (la meilleure!).

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  Photographe: Violaine Charest-Sigouin

RESTAURANTE CANDÉ

Cet établissement aux allures de verdoyante cour intérieure propose des spécialités de Carthagène, comme des arepas, de délicieuses crêpes de maïs farcies à la viande, et la posta negra, du boeuf mitonné dans une sauce sucrée (que bien des Colombiens préparent avec du Coca-Cola!).

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  Photographe: Violaine Charest-Sigouin

COCINA DE PEPINA

Ce resto sans prétention de Getsemaní est toujours bondé. Et pour cause: on y sert une authentique cuisine familiale. Essayez la cabeza de gato (ou la tête du chat!), des boulettes de plantain et de yucca, ou encore la mote de queso, une onctueuse soupe au fromage.

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  Photographe: Violaine Charest-Sigouin

DEUX POUR UN

Vous rêvez de farniente après avoir arpenté Carthagène? Vous trouverez votre havre de paix sur l’une des 28 îles de l’archipel du Rosaire, où des hôtels comme le San Pedro de Majagua proposent des chambres avec vue sur la mer turquoise. Des excursions d’une journée sont aussi offertes.