«Allons, tu ne vas pas aller te coucher! Madonna est en ville, et son D.J. se produit ce soir, après le spectacle! Si tu veux, on demande à Pablo, mon chef concierge, de t’arranger ça…»

Manifestement, Patricia Rault, de l’hôtel Sofitel, voulait absolument que je sache à quoi m’en tenir au sujet de Buenos Aires dès le premier soir. Même si j’étais claqué après une succession d’escales imprévues, je me suis donc retrouvé à The Library, le chic lounge de l’hôtel Faena Universe, pour entendre le D.J. Paul Oakenfold et… peut-être voir arriver la madone. Si l’interprète d’Evita n’a jamais montré le bout de son corsage, c’est sans doute parce qu’elle ne savait plus où donner de la tête: il y a des lustres que Buenos Aires est considérée comme la reine des nuits d’Amérique latine. Car les Porteños (habitants de la ville) apprécient l’art de vivre sous toutes ses formes. Ce serait même eux qui dépensent le plus pour se divertir, par individu, sur la planète. Ici, on dîne tard le soir, on sort encore plus tard la nuit et on rentre souvent très tôt… l’après-midi suivant.

Cette capitale à la vibrante vibe et au magnétisme certain électrise quiconque y débarque. Chaque jour, j’ai eu l’impression que mon corps était traversé par des particules et que l’atmosphère était chargée d’électrons. Buenos Aires, c’est un pôle d’attraction unique, une masse d’énergie qui ne cesse d’irradier et que seul tempère le «bain-marie» subtropical ambiant. Mais parfois, la température monte, et la marmite déborde.

 

Photo: La Boca, le plus coloré des quartiers de Buenos Aires

UNE VILLE RÉINVENTÉE

En 2001, après des années de frustrations politiques qui ont mené à une crise économique sans précédent, les Porteños sont descendus dans la rue, armés de leurs casseroles. Résultat: un boucan et un bordel pas possibles, et le réveil des vieux démons de la dernière dictature – des tas de civils ont été tabassés, une trentaine d’autres ont été abattus – qui ont asséné le coup de grâce à cette métropole déjà sur les rotules. Puis, Buenos Aires s’est relevée. Suprêmement. «Depuis la crise, le design et la créativité n’ont jamais été aussi ludiques, éclatés et délurés», constate ma guide, Silvia Gonzalez Verocay, une Porteña francophone et québécophile.

En quelques années, la gastronomie a été réinventée; des immeubles historiques ont été retapés avec mæstria; des bars, des boutiques, des commerces audacieux ont pullulé; de splendides hôtels-boutiques ont poussé comme des champignons. Et dans la foulée de toute cette créativité, la capitale s’est vue sacrée Ville UNESCO du design.

Pour me prouver que la métropole mérite ce titre, Silvia m’emmène flâner dans Palermo Viejo, le quartier bobo-branché de Buenos Aires. Elle m’introduit dans l’antre de plusieurs créateurs parmi les plus singuliers de l’heure: Nadine Zlotogora et ses vêtements de taffetas bigarrés, Juana de Arco et ses flamboyants dessous multicolores, ainsi que les meubles «vernaculaires » de la boutique Arte Étnico Argentino, façonnés à partir de matières premières récupérées dans le désert argentin. Sans compter quantité de boutiques qui élèvent la chaussure au rang d’oeuvre d’art.

Le lendemain, Silvia m’initie à l’univers de Puerto Madero, où d’anciens entrepôts désaffectés ont été revampés dans les années 1990. Ce quartier, qui connaît et subit unvéritable boum immobilier, est en pleine reviviscence. L’architecte Santiago Calatrava y a jeté un élégant pont piétonnier; la femme la plus riche d’Argentine, Amalia Lacroze de Fortabat, vient d’y inaugurer son musée et, non loin de là, Sir Norman Foster a conçu un fabuleux projet immobilier, The Aleph.

D’autres parties de Buenos Aires sont en mutation: San Telmo, le quartier colonial des antiquaires et des artistes, est en passe de devenir le prochain Palermo Viejo, alors que La Boca, ravissant berceau des bordels et du tango, vient d’hériter de la galerie d’art moderne de la Fondation Proa, un ovni de verre qui tranche avec les façades peinturlurées et l’ambiance canaille de ce quartier qui, jadis, a servi de porte d’entrée à de nombreux immigrants.

 

Photo: La célèbre Casa Rosada, d’où Eva Peròn haranguait la foule

UN PÔLE D’IMMIGRATION

 

«Les Mexicains descendent des Aztèques; les Péruviens, des Incas; et les Argentins, des bateaux», dit-on à la blague. De 1870 à 1930, plus de 3,7 millions d’étrangers ont débarqué ici, dont un nombre incalculable d’Italiens qui se sont vite mêlés aux descendants d’Espagnols déjà sur place, avant que le tout soit pimenté d’autres peuples d’Europe et d’Amérique latine. Aujourd’hui, cette réalité sert bien les voyageurs de passage: les Porteños sont curieux, d’approche facile et ont l’esprit ouvert. «Parce que nous descendons d’immigrants et que nous avons longtemps vécu loin de tout, nous avons toujours aimé recevoir des nouvelles du reste du monde», explique Silvia.

 

Stylés mais pas guindés, dignes mais pas pédants, les Porteños affichent une fierté à peine voilée. Quant aux Porteñas, véritable pétarade visuelle de beautés sensuelles, elles se laissent volontiers regarder jusque dans le fond des yeux. Des yeux souvent auréolés de mélancolie, à l’image de cette ville à la gloire tristement déchue.

 

Au 19e siècle, Buenos Aires était une des métropoles les plus prospères des Amériques. Pour s’affranchir du passé colonial espagnol et affirmer sa modernité, elle s’est mise à faire des emprunts à tous les styles en vogue dans les grandes capitales d’Europe, à commencer par Paris. Aujourd’hui, même si de hideuses tours en béton gâchent parfois le décor, même si la ville est un éden d’éclectisme architectural, aucune autre cité du globe n’évoque autant la capitale française. Buenos Aires a même son Père-Lachaise, le cimetière de La Recoleta, du nom de ce quartier «où les riches vivent et où les célébrités reposent». La vaste nécropole, entourée d’immeubles, est une pure splendeur, avec ses mausolées vastes comme des temples et ses gracieux monuments élevés aux défunts, dont celui d’Eva Perón, alias Evita.

 

Honnie par les uns, adulée par les autres, cette femme fait toujours l’objet d’un culte inégalé. Cette simple paysanne qui est devenue la première dame du pays a pris sous son aile les travailleurs et les opprimés, et a accordé le droit de vote aux femmes. Elle avait un don pour soulever les masses par ses talents d’oratrice. Depuis sa mort – elle a rendu l’âme à 33 ans – et celle de son mari, Juan Perón, personne n’a jamais plus osé prononcer un discours sur le balcon de la Casa Rosada, le fameux Palais présidentiel d’où elle haranguait les Porteños. Personne, sauf le pape et… Madonna, pour les besoins du film Evita. Et comme elle, on a envie de chanter Don’t cry for me Argentina / The truth is that I never left you… Découvrir Buenos Aires, c’est ne plus jamais vouloir la quitter.

 

Photo: Église dans Recoleta

CARNET DE BORD

 

À 12 heures de vol environ du Québec.

 

QUAND

Surtout d’octobre à avril.

 

COMMENT

 Notamment avec LAN (www.lan.com), tous les jours via Miami.

 

DORMIR

divinement au Sofitel (www.sofitel.com);

au Home (www.homebuenosaires.com),  cool et branché;

en famille dans les vastes chambres contemporaines de l’Esplendor (www.esplendorbuenosaires.com);

à l’hôtel Lyon (www.hotel-lyon.com.ar), qui offre un bon rapport qualité-prix;

au Palacio Duhau (www.buenosaires.park.hyatt.com) pour son faste épuré.

 

LOUER

un étage ou la totalité du Jardin Escondido, l’hôtel-villa de Francis Ford Coppola, dans Palermo Soho (de 665 $ à 1935 $ US) www.coppolajardinescondido.com

 

MANGER

au 647 Dinner Club pour croiser Madonna (www.club647.com); à la Casa Cruz pour être vu (www.casa-cruz.com).C’est dans les petites grilladeries (parillas) de quartier qu’on mange les meilleurs biftèques du monde. El Pobre Luis (Arribeños 2393, dans Belgrano) sert des plats typiquement argentins. Pour la cuisine argentine contemporaine, on va au Sucre (www.sucrerestaurant.com.ar) ou au Divina Patagonia (www.divinapatagonia.com).

 

BOIRE

d’excellents Malbec au Gran Bar Danzon (www.granbardanzon.com.ar); un expresso dans une ambiance 18e siècle au Café Tortoni (www.cafetortoni.com.ar).

 

SORTIR

avec le gotha branché à The Library (www.faenahotelanduniverse.com); très tard au Pacha (www.pachabuenosaires.com) ou au Caix (www.caix-ba.com.ar).

 

DANSER

le tango au Salon Canning (Scalabrini Ortiz 1331, dans Palermo).

 

ASSISTER

au souper-spectacle de tango contemporain Rojo Tango (www.rojotango.com).

 

EXPLORER

le splendide MALBA (musée d’art latino-américain) www.malba.org.ar

 

ACHETER 

Des fringues, des chaussures et un peu de tout dans Palermo Viejo; des antiquités au marché aux puces de San Telmo.

 

FRÉQUENTER

des ateliers d’artistes contemporains grâce aux visites guidées de la Galeria de Arte 5006  (www.galeriadearte5006.com.ar).

 

DÉCOUVRIR

Le meilleur de la ville en français avec Silvia Gonzalez Verocay, qui connaît tout et tout le monde: www.tierraslejanasba.com.

 

LIRE

le guide Time Out Buenos Aires et son supplément, bourrés de renseignements à jour.

 

S’INFORMER

en consultant le site www.bue.gov.ar.

www.buenosairesaccueil.com

 

Photo: Hôtel Home