Mon dernier séjour à Berlin datait de 1993 et n’avait pas été jojo. Quatre ans après l’ouverture des frontières, la balafre entre Berlin-Ouest et Berlin-Est laissait encore une plaie béante. Potsdamer Platz, autrefois une des places phares d’Europe, n’était plus qu’un terrain vague déroutant, et Alexanderplatz rimait avec morosité à la mode soviétique. Attristée par la grisaille de la ville comme par sa douloureuse histoire, j’avais levé le camp, schnell (rapidement).

J’y suis retournée l’été dernier. Stupeur et ravissement: les plus grands architectes du monde ont si bien raccommodé Berlin que j’ai eu du mal à la reconnaître! À la cerner, aussi. Car la capitale de 3,4 millions d’habitants est tout sauf monolithique. À côté du Berlin qui prend son kaffee et sa torte l’après-midi, il y a celui de Lola, qui court les bars after-hours. Parallèlement au Berlin qui compte plus de musées que de jours de pluie en une année, il y a celui qui rameute les artistes des quatre coins du globe et leurs 13 happenings à la douzaine.

Enfin, pour reprendre la célèbre formule de Klaus Wowereit, le maire ouvertement gai de la ville, il y a le Berlin «pauvre mais sexy», qui marie ouverture d’esprit et coût de la vie relativement peu élevé, en raison de sa situation en ex-République démocratique allemande (RDA), moins développée que l’ouest du pays.

 

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PHOTOS: Istock.com ( La Porte de Brandebourg)

 

À CHACUNE SON BERLIN!

Pour l’Allemande Inès Thielbeer, venue s’installer dans la capitale après la chute du Mur, Berlin est la ville de toutes les renaissances, y compris la sienne. Cette ancienne ballerine est en train d’écrire son premier scénario de film, «ce que je peux me permettre parce que je suis moins pauvre ici qu’à Barcelone».

Elle est aussi guide life-style, et c’est à ce titre qu’elle m’accompagne dans Mitte, le temps d’un rallye gastronomique. Ce parcours nous fait prendre l’apéro au bar à vin Rutz; un plat chez Maxwell, une ancienne brasserie néogothique située non loin de l’appartement du couple Brangelina; le dessert au chic resto-bar Gendarmerie; et trop de mojitos au sky bar Solar.

Mitte est un quartier branché, jadis contrôlé par la RDA, que les Berlinois de l’Ouest ont envahi après 1989 parce que les loyers y étaient moins chers. Et pour cause: on s’y chauffait au charbon et on partageait les toilettes du palier! Les artistes y ontaussi migré en masse, s’établissant dans des immeubles abandonnés, comme Tacheles, le célèbre squat de l’Oranienburger Strasse. «Aujourd’hui, tout le monde veut vivre à Mitte, affirme Inès. C’est le coin qui bouge leplus. Et puis, on pourrait y faire ses courses en pyjama et personne ne verrait rien à redire à ça!»

La Montréalaise Geneviève Schetagne vit depuis deux ans à Berlin. Elle et son époux allemand ont choisi «Kreuzkölln», un quadrilatère bouillonnant situé à la jonction de Neukölln et de Kreuzberg, le fief des immigrants turcs et autrefois le centre de la culture punk que fréquentait David Bowie.

 «Berlin est une ville tellement inspirante, dit-elle. Il n’y a pas UN évènement de l’heure, mais 300, à tout moment du jour et de la nuit!» Évidemment, il faut redoubler d’ardeur pour s’y tailler une place et la conserver. Détentrice d’une maîtrise en études cinématographiques, Geneviève se destinait à l’enseignement lorsque Berlin s’est imposée à elle. Elle offre donc des cours de français, signe la section cinéma du mensuel francophone Berlin Poche et confectionne… des bibis. «L’idée m’est venue par hasard, explique la jeune femme. Comme j’avais déjà suivi une formation en chapellerie, je me suis mise à travailler le feutre. En fait, je n’avais rien d’autre à faire que d’essayer de créer.» Aujourd’hui, elle est pleine de gratitude envers Berlin pour l’avoir inspirée, d’autant plus que la capitale allemande et le monde – grâce à son site monbibi.com – achètent ses chapeaux!

 

 

PHOTO: Florian kammerer (La coupole de verre du palais du Reichstag conçuepar l’architecte Norman Foster).

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ART DE VIVRE ET LIBERTÉ

Née à Berlin-Est, Nicole Röbel avait 10 ans lors du démantèlement du Mur. «Ma génération a eu de la chance, note-t-elle. Dommage que mes parents n’aient pas pu jouir dans leur jeunesse de toutes les possibilités que j’ai actuellement.» Étonnamment, la fin du régime communiste est loin d’avoir été un soulagement pour eux, du moins au début. Non compétitive par rapport aux normes occidentales, la ferme d’État qui les embauchait a fermé ses portes. «Du jour au lendemain et pour la première fois de leur vie, ils ont dû, comme tous les Allemands de l’Est, se responsabiliser. Parce que la liberté vient avec des responsabilités», fait-elle remarquer.

Aujourd’hui, Nicole a une conscience aigüe de ce que signifie être libre. «Je profite de tout ce que la ville a à offrir, de ses parcs paisibles comme de ses bars décalés, et j’ai la chair de poule chaque fois que je passe devant la porte de Brandebourg.» Le 9 novembre prochain, cet imposant symbole, qui divisait la ville, servira d’ailleurs de toile de fond aux commémorations du 20e anniversaire, jour pour jour, de la chute du Mur.

Depuis quatre ans, la Montréalaise Françoise Bourque-Fitzgibbons a élu domicile dans Prenzlauer Berg, un quartier de l’ex-Est qui lui rappelle le Plateau et où elle savoure la qualité de vie berlinoise: «Ici, la vie privée est tellement plus importante que la vie professionnelle! Tout le monde semble avoir un hobby. Le vendredi, les bureaux commencent à se vider vers 13 h. Et le dimanche, les magasins sont fermés. On prend le temps de vivre.» «Les jeunes Berlinois essaient aussi plein de choses, comme les "restos spontanés", ajoute-t-elle. Le lieu, clandestin, et l’heure du repas ne sont dévoilés par courriel que six heures à l’avance. On se présente, des plats sont disposés sur une table, on se sert, on paye à sa mesure et on lave la vaisselle avec ceux qui ont organisé l’évènement.»

Françoise, qui termine une maîtrise en enseignement des langues secondes, s’estime bien intégrée: elle a un chum allemand et des copines berlinoises avec lesquelles elle va «papoter au café des Galeries Lafayette». Mais les habitudes vestimentaires de ses amies restent pour elle un mystère. «Je n’ai toujours pas compris le style des Berlinoises: jean troué, t-shirt à tête de mort et coupe Longueuil, non merci!»

 

 PHOTO: Istock.com (La Fernsehturm et l’horologe Uania sur Alexanderplatz dans le quartier de Mitte).

 

LOOK À LA BERLINOISE

La designer Claudia Skoda, pionnière de la mode berlinoise, a quitté sa boutique new-yorkaise de SoHo pour rentrer au bercail en 1988, l’année où Berlin a été proclamée capitale européenne de la culture. «Puis est arrivée la nouvelle "situation", et ç’a été si excitant! dit-elle. Il y avait une énergie nouvelle qui donnait à tous l’envie de tenter des expériences. Mais, vous savez, avant la chute du Mur, Berlin-Ouest était déjà underground: nous étions enclavés en RDA, nous étions jeunes, et tout se passait la nuit. Après la chute, tout s’est déplacé à l’est de la ville: la scène musicale techno, les fêtes…»

Nullement nostalgique de ses années folles, où elle frayait avec David Bowie et Iggy Pop, Claudia est d’avis que le meilleur de Berlin est encore à venir. «Je me demande bien ce que le reste du monde trouve tant au Berlin d’aujourd’hui. Nous n’en sommes encore qu’au début d’un Berlin plus gros, plus beau.» Au fait, Mme Skoda, si la ville était un vêtement, que serait-il? «Un hoodie!», s’exclame-t-elle. Un pull à capuche, cool et réconfortant comme la capitale. Natürlich (naturellement)!

www.claudiaskoda.com

 

CARNET D’ADRESSES DE BERLIN

S’Y RENDRE avec Swiss International Air Lines (swiss.com) via Zurich.

SE LOGER au mythique hôtel Adlon, à deux pas de la porte de Brandebourg, pour se la jouer Marlene (hotel-adlon.de); ou au hip Arcotel John F pour se prendre pour Jackie O (arcotel.at).

SORTIR au Rodeo, un resto-bar dans un fond de cour de Mitte, où un cheval – sur grand écran -nous regarde manger (rodeo-berlin.de); au Club der Visionäre, une guinguette techno au bord d’un canal (clubdervisionaere.com); au Clärchens Ballhaus, pour danser le chachacha et le tango comme au début du siècle dernier (ballhaus.de).

MAGASINER au Berlinomat (berlinomat.com) pour les vêtements, les accessoires et les objets design de 140 créateurs berlinois; chez Claudia Skoda (claudiaskoda.com), la reine de la maille, plus à l’envers qu’à l’endroit (!); au Flohmarkt am Mauerpark, un marché aux puces dominical; aux Heckmannhöfe et aux Hackesche Höfe, de superbes cours intérieures regroupant des cafés, des galeries d’art, des friperies et des boutiques.

VOIR un film au Astor, un cinéma grand luxe où le champagne et les focaccias remplacent le popcorn (astor-filmlounge.de).

VISITER un des 175 musées de la ville. Les musts: les cinq musées de la Museumsinsel (Île des musées), inscrite sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco; le musée du mur de Checkpoint Charlie, à l’emplacement de l’ancien poste-frontière délimitant les zones d’occupation américaine et soviétique (mauermuseum.de); le musée de la photographie, inauguré en 2004, dans l’ancien casino de la Landwehr, abritant aussi la Fondation Helmut Newton, créée par l’illustre photographe du Vogue. (helmutnewton. com).

ADMIRER l’East Side Gallery (eastsidegallery-berlin.de), la plus longue section du Mur qui tient toujours, 1,3 km couvert des œuvres de peintres du monde entier.

DÉCOUVRIR le Berlin d’hier en louant les films Good Bye Lenin! et Les ailes du désir, ou en lisant Une femme à Berlin (Gallimard), qui témoigne du quotidien des Berlinoises dans les derniers mois de la Seconde Guerre mondiale.

S’INFORMER en lisant Week-end pas cher à Berlin (Éd. Les Beaux Jours) et en cliquant sur visitberlin.de

 

PHOTO: Hôtel Adlon