Oui, il y a de grandes longueurs monotones. D’accord, le bitume est gondolé et craquelé par endroits comme la peau d’un vieux chamane. Et quand le mauvais temps s’y met, on peut le trouver long, le temps, justement.

Mais dès lors qu’on épouse sa cadence, la Côte-Nord devient un lieu apaisant et émouvant, avec des rivières larges comme des fleuves, un fleuve – que dis-je, une mer! – aux embruns vivifiants, des forêts comme on en voit peu au Québec et des gens au coeur grand comme ça.

Ajoutez-y du plein air à profusion, des fruits de mer en abondance, des plages aussi nombreuses qu’interminables, et la Côte-Nord aura tôt fait d’enjôler quiconque se donne la peine de la longer.

Une côte agréable

Moi qui voulais oublier mon statut de père de deux enfants, me voilà en train de donner le biberon à… un faon. C’est ce qu’on peut faire tous les jours à la Ferme 5 étoiles (www.ferme5etoiles.com), à Sacré-Coeur, près de Tadoussac, qui recueille des animaux blessés ou orphelins. En plus de permettre aux visiteurs de s’approcher de caribous, de ratons laveurs et de loups arctiques, ce centre de villégiature propose plusieurs activités familiales (rando, canot, vélo…).

Pour voir des baleines, je mets le cap sur Tadoussac, le plus ancien village du Québec, membre du Club des plus belles baies du monde (www.world-bays.com) et siège du Centre d’interprétation des mammifères marins (www.gremm.org), qui suit l’évolution de la faune du parc marin du Saguenay. En soirée, je peaufine mes connaissances sur la mer en gobant les sublimes pétoncles U8 à l’huile de coriandre et au pernod du restaurant Le William, à l’Hôtel Tadoussac (www.hoteltadoussac.com). Le lendemain, j’attaque la 138, direction Les Escoumins. Ici, pas besoin de jouer les «femmes-grenouilles» pour apprécier les fonds les plus foisonnants du Québec: le Centre de découverte du milieu marin (www.pc.gc.ca) envoie des plongeurs-biologistes filmer la faune et la flore, qu’on observe en direct sur un écran géant, bien au sec.

 

Après m’être empiffré de fruits de mer obèses au restaurant de la poissonnerie Manicouagan (418 233-3122), aux Escoumins, je gagne bientôt Portneuf-sur-Mer, petit village côtier qui compte 4,5 km de jolies plages blondes, où «roulent» chaque été des milliers de capelans (des petits poissons qui s’échouent pendant le frai), ce qui donne lieu à plusieurs festivités.

À une soixantaine de kilomètres plus à l’est, la péninsule de Manicouagan est elle aussi bien pourvue en étendues sablonneuses. Les eaux à Pointe-aux-Outardes sont parmi les plus chaudes de la région: elles se réchauffent rapidement parce qu’elles sont peu profondes et que leur sol argileux emmagasine la chaleur à marée basse. C’est d’ailleurs grâce à ce sol qu’Argile eau mer peut proposer des bains de boue régénérateurs et bourrés de minéraux dont les vertus seraient multiples: ils raffermiraient la peau, élimineraient les toxines, éradiqueraient les affections cutanées comme l’acné, le zona…

Je m’offre un soin d’une heure sur les mains, puis je reprends le volant (en douceur) et passe devant les plages élancées de Pointe-Lebel. Pas le temps de m’arrêter: ce soir, je dîne au «Toqué! nord-côtier»: la Cache d’Amélie, à Baie-Comeau (37, av. Marquette 418 296-3722). Entre autres délices, je me délecte d’une cuisse de caribou tendre comme du beurre en poêle, en songeant que le lendemain je brûlerai mes excès de table au Jardin des glaciers. Inauguré l’an dernier, ce site comporte un jouissif parc d’aventures douces (rando, kayak de mer, etc.), des tyroliennes (câbles suspendus au-dessus d’un lac et d’une baie) et deux via ferratas (parcours sécurisés à flanc de falaise), dont une des plus longues d’Amérique du Nord. Il comprend aussi la Vallée des coquillages, seul banc coquillier du monde à être situé en pleine forêt boréale, et la Station d’exploration glaciaire, dont l’impressionnant parcours-spectacle multimédia nous fait remonter le cours de 20 000 ans d’histoire géologique, en plein coeur de la Réserve mondiale de la biosphère Manicouagan-Uapishka.

Une belle mise en scène

Peu après Baie-Comeau, j’entre dans le si bien nommé «secteur des panoramas ». Sur une centaine de kilomètres, la route valse entre mer et montagnes, et offre de ravissants points de vue sur le Saint-Laurent. Je m’accorde une promenade de santé sur la longue plage de Godbout, puis je mets le cap sur Pointe-des-Monts, «là où meurent les Laurentides», dit-on. Son joli phare est classé monument historique et s’élève depuis 1830 sur une admirable pointe rocailleuse et dénudée. On peut s’y restaurer et y passer la nuit mais… l’accueil et le service laissent à désirer.

Environ 150 km plus loin, je réalise que Sept-Îles n’est pas la ville industrielle hideuse que j’appréhendais. Mieux: l’archipel qui se déploie droit devant est splendide, comme je le constate en débarquant du bateau de croisière qui fait escale à l’île Grande Basque, toute verdoyante et sillonnée de sentiers enchanteurs. De retour sur la terre ferme, je me familiarise avec les Innus en visitant le Musée Shaputuan (418 962-4000).

Tout juste avant Rivière-au-Tonnerre et son adorable église en bois commence la Minganie, qui s’étend sur plus de 360 km. Je découvre ses tourbières, sa nature franche et surtout ses îles tarabiscotées: celles de l’Archipel-de-Mingan, accessibles depuis Havre-Saint-Pierre. En kayak (idéalement) ou en zodiaque (si on manque de temps), on peut s’amuser à interpréter à sa guise les formes surréalistes des monolithes qui émergent de ces îles.

Je salue quelques familles de macareux moines et je débarque bientôt sur la Petite île au Marteau, où la flore est foisonnante et délicate. Avant qu’on quitte l’île, mon guide plonge une vadrouille dans l’eau et… fait remonter à la surface plusieurs oursins, bien accrochés aux cordes. Il les coupe et me les offre à déguster tout crus. Délectable!

De retour sur la route, j’entame l’étape qui me mènera à Natashquan, environ 150 km plus loin. À mi-chemin, je croise l’auguste maison Johan-Beetz, construite par l’artiste aristocrate du même nom en 1899. Puis j’arrive au terme de mon voyage.

Le village de Natashquan est à 1200 km de Montréal… et à des lieues de la réalité urbaine. Il compte 271 âmes et un chantre national, Gilles Vigneault, qui y est né et qui revient y séjourner tous les étés. L’ancienne école qu’il a fréquentée a été convertie en petit musée, où on retrace l’origine des personnages de ses chansons, de Mademoiselle Émilie à Jack Monoloy.

Dehors, une longue promenade en bois longe la mer, plus que jamais enchanteresse, tandis que se profilent au loin Les Galets, un bouquet croquignolet de baraquements acadiens. Mais voilà que s’annonce le crépuscule, et je tiens mordicus à voir le bout de la route, 18 km plus à l’est. Je reprends donc la 138 et tombe bientôt sur un panneau indiquant bêtement et brutalement: «Fin».

En fait, quelque chose me dit que ce serait plutôt le début de la fin si la 138 était prolongée. Depuis des années, on veut désenclaver La Romaine, Harrington Harbour et combien de villages inspirants de la Basse-Côte-Nord, qui vivent paisiblement de l’autre côté de la Grande rivière Natashquan. «Tout le monde ici en rêve, de cette route», entend-on dire à Natashquan. Peut-être. Mais moi, je préfère encore rêver d’un coin de pays tourné vers l’infini de la mer plutôt que soumis aux règles de la terre.

Carnet de voyage

Dormir à La Galouïne, à Tadoussac; au gîte Baie du Soleil Couchant, à Longue-Rive; à l’Hôtel Le Manoir, à Baie-Comeau; au Gîte LaRichardière, à Godbout; à l’Auberge La Cache, à Natashquan (418 726-3347).

Sortir au bar de l’Auberge de jeunesse de Tadoussac; au resto-pub Côté-Côte, à l’Onyx pour la danse (1257, boul. Laflèche) et au café-resto-pub L’Orange bleue, à Baie-Comeau.

Manger à la Terrasse du Capitaine, à Sept-Îles (295, av. Arnaud); Chez Julie (1023, rue de la Dulcinée) et à La Promenade (1197, Promenade des Anciens), à Havre-Saint-Pierre.

Savourer une glace à la chicoutai, à la Maison de la Chicoutai, à Rivière-au-Tonnerre.

Observer les baleines partout sur la Côte-Nord; les bélugas depuis le quai du Bistro du Fjord, à l’Anse-de-Roche; les ours noirs dans leur élément, à Sacré-Coeur.

S’informer Tourisme Manicouagan 1 888 463-5319) et Région touristique de Duplessis 1 888 463-0808.

 

 

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