«L’Amérique, celle que tu idéalises parce que tu l’as trop vue dans les films, elle n’existe que dans ta tête», m’avait prévenue un copain avant que je quitte pour mon premier voyage dans le Southwest. Treize ans plus tard, après trois pèlerinages au royaume de Road Runner et de son coyote, je lui jurerais de nouveau: «L’Amérique existe, je l’ai vue.» Mais pour combien de temps encore?

«D’ici 40 ans, tout le désert sera exploité», affirme Marion Hook, copropriétaire du très accueillant Adobe Rose Inn, à Tucson, en Arizona. Faudra-t-il dire adieu aux jack rabbits et aux cactus? «Pas tout à fait, étant donné la quantité de terres préservées par le gouvernement», m’explique Marion. En 1960, un million d’habitants résidaient en Arizona. Mais en 2007, on en comptait un million uniquement à Tucson, et cinq millions à Phoenix, la capitale… «Il faut donc en profiter maintenant», conclut-elle.

Profiter de quoi? Du ciel bleu cobalt et du silence qui plane au-dessus des canyons; des villes perdues où vivent encore six habitants (incluant les chiens); des saguaros géants qui poussent dans la pure solitude; du vent qui hurle avec les coyotes; des parfums de sauge et de lupin bleu… et du soleil qui griffe le sol entre les yuccas.

Ne me demandez pas pourquoi, mais la chaleur des Caraïbes, je ne suis pas capable de l’endurer, alors que la chaleur cruelle et incandescente du Southwest, j’adore. Particulièrement celle qui balaie les déserts de Sonora et de Chihuahua, au sud de l’Arizona et du Nouveau-Mexique. Annette, qui prodigue des soins dans un spa, à Las Cruces, a vécu quelque temps au Tennessee avant de retourner au Nouveau-Mexique. «Je ne supportais plus de voir du vert, lance-t-elle en rigolant. Les gens pensent que le désert est brun ou gris. Moi, j’y décèle plein de nuances de beige, d’orangé, de doré… C’est le plus beau paysage du monde!» Et les serpents à sonnette, Annette? «Ouach, je les déteste! Au printemps, ils sortent de leur trou et viennent parfois dans ma cour. Mais ils ne m’ont pas encore mordue.»

Voyez? Moi, qui les crains tellement, je n’en ai pas croisé un seul en 50 jours passés dans le Southwest. D’accord, j’oublie les cinq ou six crotales écrasés au bord de la route (pauvres bêtes!) et les trois qui faisaient la sieste à l’Arizona-Sonora Desert Museum, le formidable zoo de Tucson. Mais bon, ce n’est pas une raison pour se priver du Far West.

Un secret bien gardé
Première étape: le Nouveau-Mexique, souvent ignoré des touristes, qui lui préfèrent le Colorado ou l’Utah. Honte à eux! C’est là que j’ai fait les plus belles découvertes. Patrie de Billy the Kid, le célèbre hors-la-loi, et de Julia Roberts, qui vit dans un ranch près de Taos, le Nouveau-Mexique est le moins développé des États du Sud-Ouest (5 habitants au km2 comparativement à 17,5 en Arizona). L’État est donc plus proche de ce qu’il était à l’origine, et on y voyage à bien meilleur marché.

Il s’y trouve plein de trésors cachés, à commencer par Albuquerque, qui possède tous les avantages d’une grande ville avec, en plus, un mélange des cultures amérindienne, espagnole et mexicaine, les monts Sandia, qu’on peut grimper en téléphérique, la très kitsch route 66, le désert de poussière, la musique country, ainsi que le bar le plus sympa à l’ouest de la rivière Pecos: le Caravan East. De galants hommes vous y enseigneront le two-step, la danse des cowboys, sans rien vous demander en retour, à moins que vous ne les invitiez à votre table.

Le Nouveau-Mexique recèle également une des plus incroyables merveilles des États-Unis: White Sands National Monument, un désert de gypse blanc à l’ambiance surréaliste. C’est tout à côté, à Alamogordo, que brillent les plus beaux clairs de lune du monde; et au sud-est, à Carlsbad, que se trouvent d’ahurissantes cavernes où pendent, tête en bas, des dizaines de milliers de chauvesouris.

C’est aussi au Nouveau-Mexique que j’ai vécu des expériences de spa quasi paranormales. Je mets cet étonnant constat sur le dos des chamans, dont les esprits hantent les montagnes; sur le compte des vortex d’énergie qui grouilleraient mystérieusement sous terre; de la radioactivité qui trouble l’air depuis le lancement de la première bombe nucléaire sur ses landes en 1945; et des soucoupes volantes qui auraient atterri à Roswell en 1947.

Le Betty’s Bath & Day Spa, blotti dans un quartier résidentiel, à Albuquerque, dispense des soins prodigieux, dont le shirodhara, qui consiste à laisser couler un filet d’huile tiède sur le front. À la fin de la séance, j’avais l’impression que mon corps flottait au-dessus du Rio Grande! Au Sierra Grande Lodge and Spa, dans la ville thermale de Truth or Consequences, une thérapeute en réflexologie a deviné, juste en touchant mon pied gauche, qu’on m’avait enlevé la rate. Spooky.

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Photo: Louise Dugas

 

Bizarre, bizarre
Plantée au milieu de nulle part, Truth or Consequences est d’un romantisme fou malgré son allure déglinguée. Appelée autrefois Hot Springs, elle a été rebaptisée d’après le quiz télévisé du même nom, qui a été très populaire dans les années 50. Les Indiens venaient soigner leurs blessures dans ses sources d’eau chaude bien avant l’arrivée des Blancs. On y a construit des bains dans les années 20 et 30. Puis l’autoroute a surgi, et les touristes ont fui ailleurs. Il y a quelques années, la mode des spas est revenue. Aujourd’hui, l’endroit attire des jeunes, des néohippies et des nouvelâgeux qui retapent les motels lépreux, en plus d’ouvrir des cafés et des galeries. Une communauté homosexuelle vit maintenant aux côtés des éleveurs de bétail, qui ont voté Bush… Les deux visages de l’Amérique, quoi!

Mais trêve de paradoxes. Le Nouveau-Mexique, c’est aussi Santa Fe, ses maisons en adobe, ses galeries d’art et son musée Georgia O’Keeffe, consacré à cette peintre américaine. Au nord, Taos ressemble à Santa Fe il y a 25 ans: l’ambiance y est plus bohème. La ville abrite un des hôtels chics du pays, le El Monte Sagrado – très, très bien – de même qu’une auberge super sympa et à la portée d’une plus vaste clientèle, le Taos Inn. Le soir, on peut y contempler les couchers de soleil derrière les montagnes et songer aux premiers Blancs qui se sont aventurés sur le territoire indien.

Le peuple oublié de l’Arizona
Je l’avoue, la première fois que je suis allée dans le Far West, je n’en avais que pour les cowboys et les mustangs qui s’ébrouent dans la plaine. Que les Indiens aient souffert de la conquête de l’Ouest m’attristait profondément, mais leur présence m’intimidait. À cet égard, je me souviens d’un déjeuner dans un crazy motel à Tuba City, aux côtés de Navajos peu bavards, qui avaient l’air tout droit sortis d’un roman de Tony Hillerman. Sinistre scène.

Cette fois, j’en ai rencontré quelques-uns et leur ai promis de repasser chez-eux. Hospitaliers, les Navajos? Disons que c’est difficile de leur arracher un sourire, mais quand on y parvient, on n’arrive plus à les oublier. Ils sont bel et bien l’âme du Southwest avec, entre autres, les Hopis et les Pueblos. Leur sol roussi, les Blancs n’en ont pas voulu. C’est pourquoi ces autochtones ont réussi à survivre mieux que les autres tribus d’Amérique.

Il faut les écouter parler de leur passé, car le présent, certains s’en passeraient bien. Mon guide, Ben Teller, qui dirige Antelope House Tours avec son fils et qui m’a baladée dans le canyon de Chelly – aussi splendide que le Grand Canyon mais à échelle humaine, presque intime –, m’apprend que des hommes vivaient dans ce canyon 2000 ans av. J.-C. Et que les Navajos, arrivés en Arizona au 17e siècle, y ont travaillé le sol. Il me raconte aussi les batailles que son peuple a gagnées contre les Blancs, mais que l’Histoire n’a pas retenues.

C’est dans cette faille géante, où gambadent des chevaux en liberté, que Ben, 68 ans, a grandi. Et c’est ici qu’il vit encore, dans une maison qui ressemble à une baraque. Il m’a présenté son frère, qui cultive le maïs comme ses ancêtres, et sa fille, qui tient une gargote pour touristes. «Je me fais un devoir d’amener mes ados ici le plus souvent possible, m’a confié celle-ci. Je veux qu’ils conservent leurs racines et qu’ils restent loin de la télé. Mais les choses changent, ajoute-t-elle avec tristesse. Avant, ce lieu était sacré. Aujourd’hui, nos jeunes dessinent des graffitis sur les ruines.»

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Un paysage hors du temps
À la tête du nouveau Explore Navajo Interactive Museum, Ella Many Goats déjeune avec moi au Quality Inn, à Tuba City, au nord-est de l’Arizona. Elle a hérité du tempérament rebelle de son père. «Le problème, à part le diabète qui fait des ravages, c’est que nos enfants ne connaissent plus nos traditions» déplore-t-elle. Ainsi, plus personne ici ne tresse les paniers et les splendides tapis que les Européens et les Texans s’arrachent à prix d’or.

Heureusement pour les générations futures, le peuple navajo a la garde du parc le plus mythique du Monument Valley, à la frontière de l’Arizona et de l’Utah. J’y suis venue à deux reprises, et j’en suis ressortie ébahie, étourdie, bouleversée chaque fois. Le sable rouge, les monolithes en forme de cathédrale, les flèches qui piquent vers le ciel, les bergers au milieu de leur troupeau… Combien de fois ont-ils été filmés?

Au Goulding’s Lodge – où il ne faut surtout pas s’arrêter manger –, un musée est consacré aux longs métrages qu’on a tournés dans la vallée, dont le premier en 1939: Stagecoach, de John Ford. On peut visiter le parc en voiture, mais la conduite sur la piste non pavée est assez rock and roll. Mieux vaut faire une excursion guidée mais, attention! dans un minibus ou un 4 x 4 muni d’un toit, pas dans une charrette où on rôtit comme des poulets. On pourra alors se rendre aux arches fabuleuses, qu’on ne peut voir qu’en compagnie d’un Navajo.

Quant au Grand Canyon, il est désormais accessible sur le territoire des Hualapais, à Grand Canyon West. Le panorama y est moins sensationnel que dans le très fréquenté Grand Canyon National Park, au nord de Flagstaff, mais on s’y sent plus proche de la nature. On peut par exemple piqueniquer au bord du gouffre. Exaltant! C’est aussi de ce côté qu’est érigé le Skywalk, la fameuse passerelle transparente suspendue à 1220 m (4000 pi) au-dessus du vide.

«Avant, Grand Canyon West était un lieu sacré», raconte Wilfred, mon guide hualapai, en pointant un rocher en forme d’aigle. «J’étais d’abord contre le projet du Skywalk: ce lieu ne devait pas être souillé par l’homme. Mais j’ai pensé à ma petite-fille. Dans 25 ans, la tribu sera entièrement propriétaire du parc. Actuellement, ça crée des emplois et un fonds qui permet à nos enfants d’aller à l’université.»

«D’ici 40 ans, tout le désert sera exploité», m’avait dit Marion, du Adobe Rose Inn. Alors, dépêchons-nous de profiter de ces vastes espaces sauvages…

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La belle vie dans un ranch
Existe-t-il plus beau spectacle que celui de chevaux s’ébrouant dans le désert? Le White Stallion Ranch, près de Tucson (AZ), en possède une centaine. Doux, curieux, espiègles, prêts à être montés ou caressés. Ce ranch, tenu par la sympathique famille True, accueille les cavaliers du dimanche dans de confortables casitas au décor vaguement western. On y mange tex-mex et merveilleusement bien, on va à la piscine, au spa, et on apprend à monter à cheval ou – si on est une pro – à mener le bétail à l’enclos. Pour des vacances pas ordinaires… (À partir de 1100 $ US par personne par semaine, incluant les repas et les randonnées)

Carnet de voyage

QUAND partir
En avril et mai, durant la floraison des cactus.

DÉJEUNER
Dans un truck stop, n’importe lequel, puis visiter une ville fantôme, dont Kingston (NM) ou Chloride (AZ).

S’ÉMOUVOIR
Devant les vieux camions photographiés par Barbara Bowles, à sa galerie de Santa Fe.

SE PROCURER
Les bijoux ornés de turquoises des Amérindiens au Palace of the Governors, à Santa Fe, plutôt que dans les boutiques, plus chères.

DÉVORER
Un fry bread navajo (pâte sucrée cuite dans l’huile) dans un kiosque au bord de la route.

GOÛTER
À la meilleure tarte aux pommes de votre vie au (1946), à Williams (AZ), sur la route 66. Rod’s Steak House

DANSER
À trois heures de l’après-midi dans un saloon de l’ancienne ville minière Jerome (AZ), parmi de vieux hippies et des bikers.

SOIGNER
Nos pieds chauffés par la chaleur au Duncan Noble Rejuvenating Spa, à Las Cruces (NM). Et se faire coiffer comme Claudia Cardinale dans Il était une fois dans l’Ouest.

SONGER
Que les films de Steven Spielberg ne seraient pas aussi fantastiques si le cinéaste n’avait pas grandi près du désert de l’Arizona.

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