Avec la couverture médiatique exhaustive dont elle jouit et le public international qu’elle attire, la Semaine de la mode de Milan s’impose aux maisons de couture. Le mot d’ordre: créer avant les autres ce qui accrochera l’oeil, surprendra le public ou aura le plus d’impact. Cette année, l’heureux échange créatif entre griffes de mode, architectes, designers et artistes a donné lieu à la présentation d’installations d’envergure signées Versace, Tod’s, Louis Vuitton, Missoni, Jil Sander, Cos et plusieurs autres. Regard sur ces espaces éphémères et le supplément d’âme de ces collaborations éclectiques.

Objets nomades de Louis Vuitton

Au Palazzo Serbelloni, Louis Vuitton a présenté Objets Nomades, une série de 40 pièces nées de l’union entre la créativité d’équipes de design de renommée internationale et le savoir-faire technique de la marque française. Depuis 2012, la collection d’objets rend hommage à l’univers du voyage. Elle accueille cette année une sélection de rééditions et de nouvelles pièces signées Zanellato/ Bortotto, Fratelli Campana, Marcel Wanders et India Mahdavi.

semaine du design de Milan versace

Versace Home

Design d’intérieur, Sasha Bifoff
Art, Andy Dixon

Pour l’installation de la marque Versace Home, Sasha Bikoff, jeune designer d’intérieur new-yorkais, nous plonge au coeur du Miami des années 1990, dans un cadre de couleurs pop, de lumières au néon, de cuir lamé et de palmiers. Pour concevoir l’espace, la designer Sasha Bikoff a réinterprété des éléments du catalogue Versace Home en hommage à la campagne phare que le photographe Richard Avedon a croquée pour la marque en 1994 et mettant en vedette les top-modèles Nadja Auermann, Christy Turlington, Claudia Schiffer, Cindy Crawford et Stephanie Seymour. Vêtues de hauts en mohair aux teintes pastel et de minijupes de cuir métallique, elles incarnent à merveille, dans ces clichés, l’esprit de l’esthétisme à la Versace. L’artiste canadien Andy Dixon, qui crée des reproductions format géant des chemises à imprimés classiques de la marque, a quant à lui agrémenté l’installation, sise dans la célèbre résidence privée de Gianni Versace.

Sasha: Qui dit Versace dit palettes de couleurs pastel ou primaires. J’ai voulu célébrer ce que Versace représentait dans les années 1990, c’est-à-dire les fêtes et Miami, sans équivoque! Je réalise un rêve, moi qui admire la marque depuis mes 13 ans. Jamais je n’ai ressenti avec une marque un lien aussi fort que celui que j’entretiens avec Versace. La première fois où j’ai envié ma mère, c’est lorsqu’elle a porté une création Versace à un mariage. Ma première robe griffée était une robe Versace fleurie rose, jaune et vert.

Andy: Lorsque Versace m’a proposé une collaboration, j’ai senti que c’était une coïncidence incroyable: je travaillais déjà au projet. Je m’étais acheté une chemise Versace, et comme je voulais en créer une version surdimensionnée, il a fallu que je découse l’original, pièce par pièce. J’ai ensuite réuni les éléments que j’avais peints auparavant en les assemblant comme si je cousais une véritable chemise.

sashabikoff.com
andydixon.net

 

semaine du design de Milan Missoni

Home Sweet Home de Missoni

Installation artistique, Alessandra Roveda
Commissaire, Angela Missoni

L’artiste Alessandra Roveda travaille les enlacements de fils multicolores. Depuis des années, elle recouvre patiemment des objets de la vie courante d’une housse crochetée, d’après une technique qui a bien sûr attiré l’attention d’Angela Missoni, la reine incontestée du jersey en zigzag. Entre elles, un respect mutuel est né et une série de collaborations a suivi au fil des ans, Cette année, elle a atteint un point culminant avec l’installation féerique Home Sweet Home, signée par l’artiste et la directrice de la création de Missoni. L’oeuvre est exposée au siège social de l’entreprise, à Brera. Le concept? Réaliser l’ambitieux aménagement d’une maison tout entière avec des meubles et des articles ornés de crochet, dont certains appartiennent à Angela, que nous avons interviewée.

Comment votre collaboration a-t-elle pris forme?

C’était écrit dans le ciel! Depuis que j’ai acquis une chaise d’Alessandra à une foire artistique, à Turin, il y a quelques années, je suis éprise de son travail et je n’ai jamais cessé de lui commander des oeuvres.

Alessandra a entrepris une tâche colossale. Quelles pièces ont dû être créées en vue de l’installation?

Lorsque j’ai décidé d’aménager toute une maison avec les réalisations d’Alessandra pour la Semaine du design, je suis allée chez elle en éclaireuse. J’y ai trouvé une quantité phénoménale d’objets de toutes sortes et de toutes dimensions. Cependant, certains meubles brillaient par leur absence, dont un lit, une bibliothèque, des tables de chevet, des portemanteaux et des lampes de chevet. J’ai donc commencé à les chiner aux puces.

Qu’est-ce que Home Sweet Home a en commun avec la marque Missoni Home?

Non seulement je possède une immense collection de couvertures en crochet, mais ma maison est le temple du recyclage créatif. Je nourris une passion dévorante envers la brocante, et j’aime réinterpréter les objets à ma manière. Alessandra et moi aimons leur redonner vie.

C’est important de parler de réutilisation?

Le fait de présenter notre amalgame, qui ne compte rien de neuf, à la Semaine du design de Milan, ne cadre certes pas avec les idées reçues sur le design de conception. Pour moi, ce qui compte le plus, c’est de voir le regard rêveur que des milliers de personnes ont posé sur notre installation. Ça m’a apporté une satisfaction colossale et beaucoup de joie.

Alessandraroveda.it

semaine du design de Milan Jil Sander

Adjacent Field de Jil Sander

Artiste, Linda Tegg

Cette année, à l’occasion de la Semaine du design de Milan, Jil Sander a présenté une installation conçue par Lucie et Luke Meier, en collaboration avec l’artiste australienne Linda Tegg. Au siège social milanais de Jil Sander, l’équipe a reconstitué une communauté de plantes issues des parcs de Milan, donnant lieu à une recomposition du tissu urbain et banlieusard de la ville. À bien des niveaux, les éléments du projet ont été adaptés au site. À la fin de l’exposition, les créateurs ont renvoyé certaines plantes là où ils les avaient prises et en ont intégré d’autres dans l’installation permanente du siège social de Jil Sander, à Milan.

Comment le projet a-t-il vu le jour?

Lucie et Luke ont communiqué avec moi, car ils connaissent mon engagement à titre d’artiste: donner de l’espace à la nature. L’idée derrière Adjacent Field était de changer notre perception des plantes qui nous entourent, qui poussent malgré la surconstruction et l’urbanisation. Ces plantes auxquelles nous n’accordons pas de valeur, ni commerciale ni esthétique, forment une communauté vivante, et chacune des espèces qui en font partie possède un comportement propre. Elle entretient des relations, des besoins et des codépendances particulières. Nous voulions redonner de la dignité à ces plantes et offrir aux visiteurs l’occasion d’admirer ce qu’elles ont d’unique.

Pourquoi présenter un tel projet durant la Semaine du design de Milan?

Adjacent Field est un projet artistique. À mon avis, aujourd’hui, tant dans le monde de l’art que dans celui du design, l’exploration interdisciplinaire se doit de nourrir un dialogue fondamental sur de nouvelles manières de coexister avec la nature. Je crois qu’il est important de communiquer le besoin d’inclure la nature dans le quotidien.

Quel rôle l’éclairage conçu par Nic Burnham de NDYLight joue-t-il dans l’installation?

Nic a décidé de régler l’intensité et la température des lampes aux besoins des végétaux. Ainsi, les plantes ont pu puiser de l’énergie de ces sources d’éclairage et jouir d’une belle qualité de vie à l’intérieur.Voilà une des manières de lier le design à la nature.

lindategg.com

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Photos: Valentina Sommariva