«Tous les musiciens te le diront: la vie de tournée, c’est exigeant. À force d’aligner les shows, tu glisses dans une drôle de réalité parallèle et tu finis par perdre tes repères. Après un long séjour sur la route, tu te sens presque comme un extraterrestre en revenant à la maison.»

Il a l’air de se plaindre, mais Conner Molander avoue du même souffle qu’il ne changerait de vie pour rien au monde. C’est grâce à la scène que son groupe Half Moon Run a pris son envol – les quatre concerts à guichets fermés donnés au Métropolis en 2016 ont cimenté sa réputation -, et c’est en tournée que la formation a récemment rodé les chansons de son troisième album, A Blemish in the Great Light. «Je connais des gens qui sont accros à la route, qui ne vivent que pour le côté bohème de la vie d’artiste, et d’autres qui sont de vrais rats de studio, poursuit Conner. Notre groupe se situe quelque part entre les deux. L’un de nos plus grands défis est de trouver le juste équilibre, le dosage parfait entre ces deux mondes.»

L’équilibre, voilà un mot qui reviendra souvent dans la conversation, à laquelle participe aussi le claviériste et batteur Dylan Phillips. Alors qu’ils s’apprêtent à fêter leurs dix ans de carrière et qu’ils contemplent avec une certaine sérénité leur entrée dans la trentaine, les gars de Half Moon Run semblent plus que jamais en quête de stabilité. «On commence même à faire attention à notre santé!» lance Conner en riant.

Mais n’allez pas croire qu’ils ont emprunté la voie de la facilité: certes, ils ont choisi de travailler à Montréal plutôt que de retourner en Californie, où ils ont créé une bonne partie de leur deuxième album, Sun Leads Me On. Oui, ils ont pris leur temps – quatre ans, pour être précis – avant de lancer le troisième. «On était épuisés par tous ces spectacles, et il a fallu qu’on se demande ce qu’on voulait vraiment, se souvient Conner. Est-ce qu’on continue à avancer simplement parce qu’on est sur une bonne lancée ou est-ce qu’on a vraiment quelque chose de neuf à dire?»

Half moon run

Une écoute rapide pourrait laisser croire que le groupe revenait en terrain familier. Les premières chansons de l’album réunissent les éléments habituels du son de Half Moon Run: un savant dosage de folk et d’indie rock, rehaussé par des touches plus expérimentales et une abondance d’harmonies vocales envoûtantes, dominées par la voix claire de Devon Portielje. Lorsqu’on plonge avec attention dans ces compositions, on découvre toute la richesse de la production. Un quatuor à cordes s’invite sur Then Again, et le groupe se permet même, avec la mélancolique Undercurrents, une instrumentale au piano. Et si Black Diamond est un morceau acoustique qui semble avoir poussé sous le soleil de Laurel Canyon il y a quarante ans, l’ambitieuse Razorblade passe d’un single pop à un assaut sonore fracassant en un peu plus de sept minutes. «Au point où nous sommes rendus dans notre carrière, il est important de repousser les limites de ce qu’on peut faire, explique Conner. Dans le passé, on s’est parfois sentis coincés dans le format classique de la chanson de trois minutes. On se demandait souvent s’il n’y aurait pas moyen de se laisser aller un peu, de faire éclater le moule, et c’est ce qu’on a fait avec cet album.»

La réalisation soignée, assurée par l’Américain Joe Chiccarelli (qui a entre autres travaillé avec Joan Baez, The White Stripes, Beck et Rufus Wainwright), est à la hauteur de leur réputation de perfectionnistes. Mais selon Dylan Phillips, la sagesse consiste aussi à savoir lâcher prise: «Le secret d’une bonne chanson, c’est l’émotion. Plutôt que de passer des heures et des heures à tenter de trouver la perfection, il faut que tu acceptes que c’est un polaroïd d’un moment de ta vie. Si tu passes trop de temps sur la même toune, tu vas forcément la dénaturer.»

«Je pense que ça fait partie des choses que nos fans apprécient, poursuit Conner. Ils s’attendent à ce que nous soyons extrêmement exigeants envers nous-mêmes, et j’espère qu’ils vont comprendre que c’est pour ça qu’on a mis quatre ans avant de sortir un nouvel album. Mais j’aimerais leur dire que nous avons l’intention d’être plus prolifiques à l’avenir!»

A Blemish in the Great Light, à paraître le 1er novembre.

Photographie SAAD (Faces MGMT)

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