Style de vie
Ariane Moffatt, service essentiel
Qu’elle chante un hymne au vivre-ensemble enveloppant ou qu’elle fasse naître des beats qui pénètrent le coeur comme autant de vagues sur nos plages intérieures, Ariane Moffatt tisse depuis 20 ans la trame sonore de nos vies. Dernièrement, par sa présence et sa musique, elle a mis un baume sur les angoisses provoquées par la pandémie. Bref, on a besoin d’elle, c’est tout, c’est comme ça.
par : Emilie Villeneuve- 13 août 2020
Royal Gilbert
8h43. La sonnerie du téléphone me retient de prendre une première gorgée de café. «Allô, allô! Je suis désolée, on vient de réaliser que la garderie est fermée. J’attends que la gardienne se réveille, alors je vais devoir faire l’entrevue sur fond de Peppa Pig, ça te va?» Lorsque, à 9 h 02, elle rappelle en mode vidéo, il y a effectivement un petit loup en arrière-plan et le bruit diffus d’une émission pour enfants. C’est la même chose chez moi, et c’est très bien ainsi.
Ce «nouveau normal», Ariane y voit du bon: «Ça m’a révélé le rythme effréné avec lequel j’essayais de composer, en me convainquant que la réalisation suprême, c’était de mener de front une carrière publique, des tournées et la vie de mère de trois jeunes enfants tout en gardant la tête hors de l’eau. En n’ayant plus la pression liée au travail, j’ai compris à quel point c’était exigeant. Le fait de ne pas être attendue quelque part, de ne pas devoir livrer quelque chose, ça m’a vraiment fait du bien. Je joue beaucoup avec mes enfants, j’en ai fait un genre de défi, qui a eu ses limites, évidemment, mais j’ai embrassé ça.»
Seule au chalet avec les bambins (Henri et Paul, 7 ans, et George, 3 ans) du lundi au jeudi, Ariane a passé son printemps à jongler avec plusieurs balles. «Florence [sa conjointe] venait me rejoindre le jeudi soir. J’avais quand même des entrevues pour le projet SOMMM, que je donnais pendant la sieste de George.» Outre la promo de cet album pop ensoleillé, réalisé avec son comparse Étienne Dupuis-Cloutier (D R M S) et une jolie poignée d’artistes de la nouvelle vague, il y a aussi eu sa prestation magique à Tout le monde en parle, à un moment de grande vulnérabilité collective. «Mais sinon, l’annulation d’un paquet de choses m’a permis de réaliser que je ne suis pas obligée d’être toujours dans une quête d’efforts soutenus.»
Évidemment, ce constat vient après quelques mois qui lui ont permis de prendre du recul. Sur le coup, lorsque tout s’est arrêté, il y a eu l’inquiétude de se retrouver devant le néant: «J’avais quand même tout un été de festivals devant moi, plein de shows pour la fin de la tournée de Petites mains précieuses. C’était la promesse de plein de bons moments, et de beaucoup de sous aussi. Mais je ne me suis pas roulée en petite boule longtemps. Cette sensation qu’on était tous en train de faire des deuils chacun dans nos vies, ça m’a aidée à relativiser les choses. Il y a aussi que, le jour où j’ai appris qu’il n’y aurait pas de festivals, on a su que la mère de ma blonde avait eu un test positif à la COVID-19 et qu’elle n’allait pas bien. Je n’avais aucune raison de m’apitoyer sur mon sort.»
Se réinventer
S’il est une phrase que plusieurs artistes en ont marre d’entendre, c’est bien qu’ils doivent se réinventer. N’empêche, le confinement aura balisé de nouveaux territoires pour Ariane: «Quand on brasse les cartes et qu’on se retrouve devant un nouveau jeu, il y a quelque chose de stimulant. Comment on compose avec ça? C’est un challenge! J’ai un projet qui ne serait peut-être pas arrivé à ce moment-ci s’il n’y avait pas eu la pandémie. Je suis en processus de création pour un truc…» Elle prend une pause, ne veut pas trop s’avancer, lever le voile sur ce qui est en gestation. Un album? «Oui, un projet très intime, piano-voix. J’avais dans ma besace des chansons très minimalistes, dont j’avais besoin après SOMMM, qui était plus pop. Je ne veux pas trop en parler, je veux juste dire qu’il y a des réflexions qui n’auraient pas surgi si on n’avait pas vécu ce que l’on a vécu.» Je referme tout de suite la porte sur ce bébé qui dort au chaud, traité aux petits soins par Ariane. On en reparlera.
Justement, George en a terminé avec Peppa. Il vient me saluer, magnifique, attentif. Sa maman lui demande s’il veut faire autre chose. «Écouter Lady Gaga!» Elle éclate de rire, et c’est sur fond de Rain on Me que l’entrevue se poursuit.
Je demande à Ariane ce que l’engouement pour la chanson Sunshine (feat. Clay and Friends) et la version feutrée de Debout a provoqué en elle ces derniers temps. «Savoir que le lien que j’entretiens avec les gens est encore là m’a réconfortée, car mettre ma musique au service des cœurs, c’est ça, ma job. Même si j’étais fragile en tant que personne durant la pandémie, mon alter ego artiste a réussi à entrer en connexion avec le monde. C’était vraiment intense. Je suis sensible à la manière dont la musique s’insère dans la vie des gens. Certains m’ont dit que Debout leur avait permis d’enfin sortir d’eux-mêmes, d’exprimer toutes les émotions qui se mélangeaient en eux. Participer artistiquement à cette épopée-là, ça m’a beaucoup nourrie et encouragée.»
Robe en tulle (Sid Neigum, chez Simons), boucles d’oreilles en argent sterling et escarpins en cuir, résille et métal (Bottega Veneta, chez SSENSE), camisole et culotte en Lycra (Wacoal, chez Simons), collant en nylon (Wolford, chez SSENSE).
Solidarité musicale
L’œuvre de l’autrice-compositrice-interprète est faite d’une rare étoffe, où les fils de trame que sont les mots et ceux de chaîne que file la musique s’organisent en une toile parfaite et tracent des motifs délicats. C’est de l’alchimie pure, si vous voulez mon humble avis. Je lui demande la recette: «C’est la fameuse potion magique associant l’instinct et le travail, mais plus ça va, plus que je me rends compte que c’est l’écoute de mon instinct qui mène à la composition d’une chanson. C’est très envahissant. Je repense à Petites mains précieuses. Je venais juste d’accoucher de George et j’étais complètement assiégée par le besoin de mettre en mots et en musique ce que je vivais. Il y avait des boires de nuit, pendant lesquels des paroles venaient se préciser sur une chanson. Ça roulait toujours en fond d’écran dans ma tête. Il y a une partie des choses qu’on ne peut pas rationaliser, et c’est parfois cette partie-là qui nous guide. Je pense qu’il faut faire de la place à ça dans notre vie, pour sentir qu’on est sur notre fameux X.»
On a parlé du chemin qu’elle a parcouru en 20 ans. Entre la fille qui faisait trois ou quatre de ses compositions (mais non les moindres, pensez à Point de mire) en première partie du spectacle Rêver mieux, de Daniel Bélanger, et la femme d’aujourd’hui. «La part d’enfant que je cultive en moi est restée intacte. La vie avec ses hauts et ses bas ne m’a pas enlevé ce caractère très candide. Mais j’ai traversé toutes sortes d’étapes, j’ai appris à me connaître. Il y a aussi eu l’engagement, les défis qu’il représente. Ça fait 14 ans que je suis avec ma blonde. Construire une famille, apprendre à gérer l’Ariane par rapport à l’Ariane Moffatt telle que le public la perçoit. C’est le travail d’une vie. Au début de ma carrière, mon succès a généré en moi un syndrome de l’imposteur plutôt que de la confiance. Beaucoup de femmes ressentent ça. Je me suis demandé pourquoi les phares étaient braqués sur moi. Je me disais qu’il y avait tellement d’autres gens talentueux.»
Après un début de vingtaine parfois difficile, émaillé de moments de déprime, il y a eu le défi de revoir, d’adapter sa définition de l’ambition professionnelle à mesure que sa famille s’agrandissait. «L’ambition, ça n’a plus été de voir ma carrière se développer à la verticale, mais plutôt d’apprendre à bien mener cette barque qui compte aujourd’hui trois enfants, une carrière et une conscience sociale un peu plus développée. Il y a quelque chose qui s’est ouvert. Aujourd’hui, je ne crois plus que faire de la chanson me suffit pour me réaliser.»
Aussi, c’est avec plaisir qu’elle a accepté l’invitation de Reitmans à faire partie de la campagne pancanadienne Portez votre engagement. L’idée? Demander à des personnalités de choisir un illustrateur pour créer un t-shirt qui véhicule un message de diversité. «Je ne m’étais jamais associée à une campagne de ce genre. Je trouvais que la vision de Reitmans était super. La compagnie m’a approchée parce qu’elle veut faire rayonner l’homoparentalité et, évidemment, j’ai eu envie de promouvoir ça et de l’incarner. Je pense qu’on ne parle jamais assez des enjeux liés à la diversité. Les choses progressent, oui, mais il faut continuer de dire qu’on peut être soi, peu importe qui on est. Il y a une place pour chacun. Il faut le répéter ad nauseam pour essayer d’aider certaines personnes qui se sentent marginalisées à se sentir validées.»
La chanteuse a choisi de travailler avec l’artiste Mathilde Corbeil, qui a imaginé un dessin rempli d’empathie et de douceur. «Je souhaite qu’il y ait plus de modèles de familles avec deux mamans, ne serait-ce que pour mes garçons. Je ne veux plus que ce sujet-là soit tabou. Tant mieux s’il y a des occasions d’en parler.»
Body en jersey extensible (MM6 Maison Margiela, chez SSENSE), manches amovibles à paillettes (Denis Gagnon), collant en nylon (Wolford, chez SSENSE).
Imparfaite
Un autre sujet qu’il fait bon aborder avec une personne aussi vraie qu’Ariane, c’est celui de l’acceptation de son propre reflet dans le miroir. Ariane en a glissé un mot sur plusieurs tribunes au fil des années, en confiant avec une franchise qui fait un bien fou à quel point la tyrannie de la minceur l’a fatiguée.
Aujourd’hui, à 41 ans, elle parvient à rejeter la pression constante qu’Instagram injecte à nos vies. «J’essaie surtout de trouver un équilibre entre la santé physique et mes excès de jouisseuse de la vie et d’épicurienne.» Le bon vin, la bonne bouffe, oui, et le sport aussi. Ariane gravit son cher mont Royal plusieurs fois par semaine avant d’entrer en studio. «Désormais, c’est plus entre moi et moi que par rapport aux autres que ça se passe. Ça m’a pris du temps avant d’arriver là, mais j’y suis.»
Avec toute la sagesse qu’elle a acquise ces dernières années, je me demande comment elle a vécu la récente déferlante de commentaires haineux à son endroit, une sorte de «drapeau gate» qui a suivi le Grand Spectacle de la Fête nationale 2020, dans lequel elle était coanimatrice. Alors que, à la fin des festivités, elle publiait sur Facebook et Instagram un message rempli de gratitude, certains détracteurs ont profité de sa publication pour accuser la chanteuse de tous les maux, sous prétexte que le fleurdelisé n’avait pas flotté sur la scène. «Je suis une personne assez nuancée dans la vie et je n’ai jamais pensé que je ferais toujours l’unanimité. La vérité, c’est que j’ai été attaquée par des trolls, et que ça m’a atteinte. Ma vision du Québec, celle que je souhaite partager, elle vient avec des valeurs communes de respect et d’égalité. Ça commence par le refus de cultiver la haine.» Elle l’a dit et répété: bien sûr qu’il aurait dû y avoir un drapeau, c’est un oubli de la part de toute l’organisation, mais y avait-il matière à un lynchage public? «Constater que certaines personnes ne partagent pas ces valeurs, ça me fait mal. Je sais que ce n’est qu’une petite frange de la population qui pense ainsi. J’ai tellement reçu d’amour, mais cette violence dans les propos sur les réseaux sociaux… c’est un fléau, un gros fléau.»
Et même quand on a vendu des centaines de milliers d’albums, qu’on a allégé par ses créations des millions de cœurs lourds, même quand on a récolté assez de trophées pour comprendre qu’on est vraiment à sa place derrière un micro et un clavier, même quand on a été nommée chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres par la France, on n’est pas immunisée contre le fiel qui suinte d’Internet. «C’est dur de rester de glace. Je lis les critiques, les commentaires, je ne suis pas au-dessus de tout ça. Je suis très perfectionniste, et même si j’ai reçu 10 critiques positives, une critique négative, ça me tire vers le bas. Je sais rationnellement qu’il ne faut pas accorder de crédit à ce genre de critique, mais se faire «poker» 40 fois dans une journée, se faire traiter de tous les noms, ça fait de la peine. Ça serait faux d’affirmer le contraire. Mais là, je suis back. Je vais bien.»
Si j’étais assise à sa table et que c’était permis, je la prendrais dans mes bras, non pas pour la consoler, mais pour la remercier de son humanité et de son ouverture d’esprit. Comme elle l’a si bien chanté, cette ouverture, ce «n’est pas une fracture du crâne». Et si on s’autorise à tordre le cou d’une autre chanson, de Cohen celle-là, c’est peut-être bien ainsi qu’entre la lumière.
ELLE Québec - Septembre 2020
Royal GilbertPhotographie Royal Gilbert Stylisme Patrick Vimbor Direction de création Annie Horth Maquillage Sophie Parrot Coiffure Laurie Deraps Production Estelle Gervais Assistant à la photographie Jules Bédard Assistante au stylisme Laurence Labrie
On s’infiltre dans les coulisses de notre séance photos avec Ariane Moffatt pour le magazine ELLE Québec de septembre!
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