Grâce de l’écriture, profondeur des sentiments et appel à la beauté: Jean-François Beauchemin ne cesse de se démarquer comme romancier. Dans
Le temps qui m’est donné (Québec Amérique), il se tourne vers la figure du père.

1. L’enfance et la beauté sont deux de vos grands thèmes. Quel lien faites-vous entre eux?

Certains écrivent sur l’enfance afin de se la rappeler. C’est leur affaire. Je ne l’ai fait que pour m’en détacher. Je ne me sentais pas bien à cette époque où, sans me consulter, on décidait d’une partie de mon avenir, on m’indiquait une voie que j’allais plus ou moins suivre et que j’aurais préféré tracer moi-même. Je n’en veux pourtant pas à l’enfance, puisqu’elle est justement au service de l’avenir. En cela, elle est solidaire d’une certaine beauté: pour peu qu’on croie à l’affermissement de l’homme, imperceptible mais constant, l’avenir sera plus beau que le passé et même que le présent.

2. Vous refusez qu’on dise de vous que vous êtes un nostalgique. Pourquoi?

La pensée des nostalgiques ne me convient pas. Bien installés dans leur mélancolie, ils manquent de curiosité. Je crois qu’ils se trompent dans leur façon de concevoir les effets du temps qui passe, de préférer ce qui est arrivé à ce qui se prépare petit à petit. Les jeunes héros du Temps qui m’est donné sont impatients d’arriver à l’âge adulte. Vieillir ne leur fait pas peur: ils se tiennent sur la pointe des pieds et tentent fébrilement de voir ce qui les attend. Je suis comme eux.

3. Dans Cette année s’envole ma jeunesse, vous disiez que votre mère vous avait enseigné le plus important: aimer, construire, mourir. Que vous a légué votre père? J’ai longtemps cru qu’il ne m’avait rien appris car, dans mon esprit, nous étions trop différents l’un de l’autre. Il aura fallu qu’il meure et que je vive quelques années sans lui pour comprendre que j’avais tort. Ma gentillesse me vient de lui, tout comme le sentiment à peine descriptible que j’éprouve pour la musique de Bach. Je me suis aussi souvenu récemment de l’émotion intense que lui procuraient certains paysages, certains travaux de génie. L’émoi que je ressens depuis toujours face à ce monde si douloureusement beau, je le tiens de lui.

 

Photo: Martine Doyon (Jean-François Beauchemin)

 
Béatrice et Virgile: le livre évènement

Pas étonnant que son nouveau roman soit des plus attendus. Yann Martel est, à 47 ans, un des auteurs canadiens les plus célèbres du monde. Son Histoire de Pi, qui sera bientôt adaptée au cinéma par Ang Lee, s’est vendue à près de sept millions d’exemplaires. Barack Obama lui-même a encensé le fabuleux ouvrage dans une note personnelle au romancier, y voyant «une élégante preuve de Dieu et du pouvoir de la narration». Mais pas de questionnement autour de la religion dans Béatrice et Virgile (XYZ éditeur). Pas directement, en tout cas. Pas de traversée de l’océan en solitaire sur une embarcation de fortune avec un tigre du Bengale affamé, non plus. Plutôt: un âne et un singe, qui symbolisent les victimes des camps nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Et un romancier, qui s’interroge sur la meilleure façon de représenter, par la fiction, l’holocauste. Puissant.

 

 

 

 

L’extrait d’Amélie Nothomb

forme-de-vie-250.jpgUne forme de vie 
Amélie Nothomb (Albin Michel)

Dans ce livre, l’écrivaine fantaisiste et imaginative se met elle-même en scène. Romancière à succès, elle reçoit des tonnes de lettres de ses lecteurs, auxquelles elle se fait un devoir de répondre. Arrive un jour une missive d’Irak, signée par un certain Melvin Mapple. Il se dit obèse, incapable de s’arrêter de manger, la nourriture étant à ses yeux le seul réconfort au milieu de la terreur. S’engage alors une correspondance suivie entre la célèbre auteure et son admirateur en peine. Et ça va mal tourner, car le délire va s’en mêler. La pauvre Amélie trouvera-t-elle une porte de sortie? À moins que ce soit elle, la vilaine, qui nous mène en bateau…

«Depuis ma première publication en 1992, j’avais entretenu tant de correspondances avec tant d’individus. Il était statistiquement fatal que dans le nombre il y ait une bonne proportion de tordus et cela n’avait pas manqué. Mais un de l’envergure de Melvin, je n’en avais jamais vu, ni de près, ni de loin. Comment fallait-il réagir? Je n’en avais aucune idée. Fallait-il réagir, d’ailleurs? À défaut d’avoir la réponse à cette question, j’avais une envie: celle d’écrire à Melvin en jouant cartes sur table. Dont acte.»