« Féministe » … n’est-ce pas là un mot qui fait peur à certain.es ? Mais qu’entend-on par féministe, surtout quand vient le temps de penser à notre culture médiatique et artistique ? Comment juger une œuvre en regard du féminisme ? Il existe bien des études à ce sujet qui traitent notamment du bien-fondé des personnages dans les histoires, par exemple. On arriverait en effet à juger l’angle féministe, selon l’échelle de Bechdel, par les discussions que certaines femmes auraient entre elles : si elles portent sur les garçons ; ou si les personnages féminins en question occupent des rôles secondaires dans le film. Bien que cette étude ait été conçue de manière satirique, il reste qu’elle est encore utilisée pour noter le degré de féminisme d’un film, d’une série ou encore d’un livre.

Les livres. Aventurons-nous maintenant dans le monde de la littérature : celui des histoires complexes, ou devrais-je dire, dans ce monde longtemps dominé par les hommes. À cela ne tienne ! Et remercions notre époque de permettre la publication de récits audacieux et d’autrices talentueuses.

Les récits audacieux… Mais qu’entend-on par féminisme quand on parle de littérature ? Je me permets un peu de liberté dans ce que j’entends moi-même par féminisme lorsque j’explore un livre. Trop souvent le féminisme rime avec recherche d’égalité politique, mais dans la fiction, il faut parler d’une démarche qui influence le plan narratif. Les questions que je me pose cherchent à déplier l’histoire de sorte à interroger les personnages, l’action et vont même jusqu’à questionner l’originalité de l’histoire ! Car le féminisme, c’est aussi explorer des points de vue marginaux… Et si l’égalité est de mise, elle inspire davantage l’ouverture et la nouveauté.

Je m’emporte souvent en parlant de féminisme, de littérature et des liens entre les deux. Il faut souligner les œuvres qui ont de l’audace et qui mettent de l’avant des femmes inspirantes ou des histoires inclassables, sans nécessairement avoir une étiquette rouge-3D-fluorescente qui crie CECI EST FÉMINISTE. Je m’amuse donc à vous proposer mes coups de cœur de la rentrée littéraire, des livres que je considère comme féministes qui revisitent des thèmes avec des perceptions originales. Des livres qui sont loin d’être militants ou théoriques, juste des bons livres qui font du bien. Des livres qu’on peut appeler différents sans qu’ils soient difficiles d’accès. Juste des bons livres qu’on peut par la suite référés comme étant féministes.

Des images en mots, bienvenue aux romans graphiques.

1/10

Mes ruptures avec Laura Dean

Mes 10 coups de cœur féministes de la rentrée

Titre original: Laura Dean keeps breaking up with me.
Auteure : Mariko Tamaki
Illustratrice : Rosemar Valero-O’Connell
Éditeur : Rue de Sevres
Parution : 14 juillet 2020

Que dire de ce livre et du bonheur que j’ai eu en découvrant que Laura Dean avait été traduit en français. Laura Dean… la belle Laura, la rebelle, la grande blonde qui rock la coupe garçonne… Laura Dean, aussi connue comme la petite amie de Freddy. Et Freddy en est folle… comme la plupart des filles de l’école d’ailleurs. Car Laura Dean est une charmeuse, elle est drôle, elle aime faire la fête et surtout… elle n’arrête pas de laisser Freddy en plan. Dans ce livre aux illustrations magnifiques, la très récompensée Mariko Tamaki se surpasse en mettant en scène les débats amoureux d’une adolescente qui cherche désespérément l’amour de l’autre avant l’amour-propre. Un livre pour adolescente, mais surtout pour adulte puisqu’il met en lumière le toxique de certaines relations… et surtout parce que nous avons toutes eues une « Laura Dean » dans nos vies à un moment ou à un autre.

Bouées : dérives identitaires, amours imaginaires et détours capillaires

Mes 10 coups de cœur féministes de la rentrée

Auteure + illustratrice : Catherine Lepage
Éditeur : La Pastèque
Parution : 10 novembre 2020

Dans ce nouveau livre de Catherine Lepage, on retourne dans la genèse de son adolescence, en plein cœur de la décennie 80. Les dessins économes et très drôles se mêlent ici à un récit intime, à des histoires inventées, à des relations amoureuses et surtout à la quête d’identité qui est si propre à l’adolescence. En passant par les coupes de cheveux, appelons-les gentiment « intenses », des années 80, la jeune femme se promène à tâtons dans la culture populaire, dans le secondaire et dans sa propre imagination qui se nourrit de cette époque qui a tout pour faire sourire et rendre nostalgique. Un délice pour les yeux et pour l’âme de toutes les femmes qui se sont elles aussi cherchées.

Rumeurs

Mes 10 coups de cœur féministes de la rentrée

Auteure : Chandler Baker
Éditeur : Albin Michel
Parution : 27 juillet 2020

Chandler Baker signe un livre féroce, féministe et digne des téléséries à la The Good Wife. En effet, dans ce thriller juridique, quatre femmes se retrouvent liées malgré elles par Ames, leur supérieur immédiat et candidat officiel pour le tout récent poste vacant de PDG chez Truviv inc.  Mais Ames est un homme dont la réputation est mauvaise auprès des femmes : Sloane, Ardie, Grace et Rosalita savent trop bien quels genres d’inconduites sexuelles le patron a pu faire au cours de sa carrière. Bien plus que des rumeurs, ses allégations d’harcèlement et ses inconduites ne peuvent plus être tenues sous le silence. J’ai particulièrement aimé l’articulation déconstruite du récit qui entremêle l’avant et l’après-dénonciation et qui rend le suspense tout à fait captivant du début à la fin. Un livre tout à fait dans l’ère du #Metoo qui désarticule les rouages de la justice et le droit à la parole.

La valse des tulipes

Mes 10 coups de cœur féministes de la rentrée

Auteur : Ibon Martin
Éditeur : Actes Sud
Parution : Septembre 2020

Vous êtes à la recherche d’un page turner ? Voilà, c’est un cadeau que je vous fais. Ce livre d’Ibon Martin m’a rappelé une des meilleures téléséries de ma vie (je ne rigole pas), Top of the Lake, parce qu’il décore le suspense sombre et sordide d’une enquête par les paysages paradisiaques de la mer Cantabrique. En effet, les fresques de la Biscaye contrastent avec l’histoire et le meurtre de plusieurs femmes dérange la quiétude des lieux. Ces femmes ont un dénominateur commun : elles sont toutes âgées d’une cinquantaine d’années et ont toutes été portées disparues de 1979 à 1980. Pourquoi les retrouver une à une mortes… et que dire de la signature du meurtrier qui les marque d’une tulipe? Un suspense enlevant, une ambiance dépaysante et une énigme bien tissée sont le rendez-vous que vous propose un des meilleurs polars de l’automne (à mon avis).

Anan T01. Le prince

Mes 10 coups de cœur féministes de la rentrée

Auteure : Lili Boisvert
Éditeur : VLB éditeur
Parution : juin 2020

Anan, tome 1 est le premier livre d’une trilogie fantasy de la bien connue Lili Boisvert. Cette fois, la blogueuse nous mène complètement ailleurs dans un monde imaginé à l’inverse de ce qu’il est présentement : c’est-à-dire dominé par des instances politiques féminines. Le genre de la fantasy implique que nous sommes dans un monde totalement inventé, et Lili Boisvert nous plonge rapidement au royaume d’Anan, état matriarcal égalitaire et dont les armées sont pour l’heure imbattables. Or, les temps de paix tirent à leur fin et Anan est menacé : seule une alliance entre royaumes peut sauver le Continent. Pour ce faire, c’est à la jeune capitaine Chaolih qu’incombe la tâche de devoir porter le prince à sa future épouse, la cruelle reine du royaume adjacent. La route n’est pas facile et les défis de la mission ne cessent de s’accumuler. C’est un récit qui porte toutes les qualités du genre fantasy et qui nous sort totalement de notre zone de confort. Personnellement, j’attends avec impatience les prochains tomes de la série.

Les abysses

Mes 10 coups de cœur féministes de la rentrée

Auteure : Rivers Solomon
Éditeur : Aux forges de Vulcain
Parution 1er octobre 2020

Je vous propose encore une fois un livre fantasy, écrit cette fois-ci par l’écrivaine afro-américaine (et trans!) Rivers Solomon. Les abysses raconte l’histoire de Yetu, une historienne du peuple des Wajinrus, sirènes et surtout… descendantes des femmes esclaves, enceintes et lancées à la mer lors du commerce triangulaire. Par un enchantement magique du fond des océans, on raconte que les enfants se seraient extirpés du ventre de leur mère pour devenir ce qu’on peut appeler des sirènes. Or, le secret des Wajinrus est bien gardé et nul ne connaît l’origine exacte de ce peuple, pas même les Wajinrus eux-mêmes. Délaissé de cette expérience traumatique et donc de leur histoire, le peuple vit dans l’ignorance totale des injustices qui sont à l’origine de leur existence. Quand Yetu découvre le secret, elle n’en peut plus…  Un livre, à mon avis, hyper important et qui traite du thème de la mémoire et de l’holocauste noir de manière complexe, multiple et libérateur. Rivers Solomon donne à sa fiction une dimension transhistorique et pousse le discours sur le racisme une coche plus loin.

Daddy

Mes 10 coups de cœur féministes de la rentrée

Auteur : Antoine Charbonneau-Demers
Éditeur : VLB Éditeur
Parution : Septembre 2020

Pour celles qui connaissent Antoine Charbonneau-Demers, vous savez dans quel genre d’univers ce jeune auteur peut amener le lecteur et pour ce faire, Daddy ne les décevra pas. Pour les autres, il faut savoir que le livre traite de l’amour complexe entre un homme, appelons-le Daddy, et un jeune écrivain qui est aux prises d’une chlamydia, appelons-le Fiston. Daddy est vingt ans plus âgés que Fiston. Daddy n’aime pas les livres et est banquier. Daddy prononce les mots empoisonnés « je t’aime ». Et Fiston ne sait plus rien puisque Daddy est défiguré par la jalousie et par l’amour qui devient soudainement un concept presque inspiré par Lolita de Nabokov. Ce livre très court nous sort complètement des relations hétéros clichées et nous force à revoir tous nos stéréotypes. Daddy était un livre que j’attendais avec impatience et je dois l’avouer, il ne m’a pas déçue.

Croc fendu

Mes 10 coups de cœur féministes de la rentrée

Auteure : Tanya Tagaq
Éditeur : Alto
Parution Nouvelle édition: 28 septembre 2020

Tanya Tagaq est une artiste canadienne d’origine inuit. Dans ce livre, l’écrivaine dresse le portrait d’une famille du Nunavut des années 1970, et ce, dans un drame éloquent. En collant les fresques de la mythologie inuit à la réalité dure des autochtones (alcool et violence), Tanya Tagaq nous invite à percevoir le monde sous le blanc glacial et les journées écourtées du Nord. Il faut cependant s’attendre à lire des récits intimistes puisque le livre constitue une forme de collage à la fois réflexif et immersif dans l’architecture de la mémoire d’une jeune fille. Je dois avouer que toute la force de l’écriture réside dans cette absence de ligne entre la réalité et la fiction et, en mêlant la mythologie aux banalités du quotidien, Tagaq ne peut laisser aucun lecteur insensible à la lecture de Croc fendu.

Mon (jeune) amant français

Mes 10 coups de cœur féministes de la rentrée

Auteure : Josée Blanchette
Éditeur : Druide
Parution : 23 septembre 2020

Chroniqueuse bien reconnue du Devoir, Josée Blanchette nous propose une histoire d’amour qui m’inspire presque L’Amant de Marguerite Duras. Or, dans ce livre, Jeanne vit un choc traumatique lorsqu’elle apprend que son mari médecin la quitte pour une jeune résidente de l’hôpital. Suivi par des médecins et par un psychiatre, le verdict devient alarmant : il faut que Jeanne sorte de sa peine, qu’elle recommence à vivre et surtout… à aimer. C’est en se laissant tenter par des soirées de swing que la narratrice tombera dans les bras d’un jeune français. Et cette rencontre sera aussi l’élément déclencheur d’une redécouverte de son corps : ébats passionnels, érotisme et abandon illuminent dès lors la vie de cette femme. J’aime vraiment les récits qui parlent a priori d’amour, mais qui s’étendent davantage dans le thème de l’amour-propre. Sans parler du fait qu’on ne parle pas assez de la réalité des femmes lorsqu’elles vieillissent. Ce livre d’apparence simple est pourtant très profond et nous laisse un peu (nous aussi) rêver à ce genre de relation enlevante. Enfin, dans une société qui est axée sur le corps des femmes, et qui glorifie la jeunesse, un livre qui fait l’éloge du corps malgré les impacts du temps est tout à fait pertinent et mérite d’être lu.

 

Lola et les filles à vendre

Mes 10 coups de cœur féministes de la rentrée

Auteure : Marisol Drouin
Éditeur : La Peuplade
Parution : 8 octobre 2020

J’espère que vous aimez vous laisser tenter par des genres littéraires de toutes sortes. Anyway, je comprends que si vous vous êtes rendues à ce point dans l’article, c’est bien parce que vous êtes curieuses. La poésie est un genre difficile à vendre et surtout à faire avaler. Quand on pense à la poésie, on s’imagine la bonne vieille Phèdre hurler l’injustice en alexandrin. Ce n’est plus tout à fait le cas et de plus en plus je me surprends à consommer des poèmes rapidement, presque au vol, dans ma journée. Je lis et relis souvent des vers que je trouve inspirants et secrètement, je suis abonnée à Rupi Kaur sur instagram ! Bref, ce recueil polyphonique (plusieurs voix narratives) de Marisol Drouin a de quoi nous lancer les thèmes récents du féminisme : pornographie, prostitution et amours étranges s’entremêlent ici pour former un texte hors norme. Et la poésie a ça de beau, c’est-à-dire qu’elle rend le laid beau…

Voilà un top 10 franchement féministe, ni trop criard, ni trop cliché. Juste un top 10 de bons livres qui sortent des clichés parfois redondants qui forment des personnages féminins plastiques et figés dans le temps (je pense aux personnages de la télé qui ne vieillissent pas, par exemple). 10 livres qui, je l’espère, vous donneront envie d’en découvrir encore plus !

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