Vous ne la connaissez pas? Moi non plus. Du moins, j’ignorais qui elle était jusqu’à ce que l’écrivain français David Foenkinos, traduit en 40 langues, en fasse l’héroïne de son 13e roman, Charlotte.

Je sais, ça semble incongru que l’auteur de La délicatesse, adapté au cinéma avec Audrey Tautou, se passionne pour un tel sujet. Mais celui qu’on associe plutôt à une certaine frivolité, à la légèreté, aux phrases qui virevoltent sur la page, est un jour tombé par hasard sur l’oeuvre de Charlotte Salomon dans un musée d’Amsterdam. Il a été subjugué par son talent. Et happé par son destin tragique. La mère de Charlotte s’est suicidée neuf ans après lui avoir donné la vie. Celle-ci n’apprendra qu’une fois devenue adulte les raisons de sa mort. Elle comprendra en fait qu’elle vient d’une lignée de suicidés. Elle-même porte le prénom de sa tante qui s’est enlevé la vie. Et sa grand-mère maternelle mettra elle aussi fin à ses jours.

Au fil du parcours de l’adolescente solitaire qui éprouve un mal-être dont elle ignore la provenance, on assiste à la montée du nazisme en Allemagne. Bientôt, son père, éminent médecin, héros de la Première Guerre mondiale, sera interdit de pratique. Sa belle-mère, célèbre cantatrice, n’aura plus le droit de chanter. Charlotte, quant à elle, sera exclue du lycée. Et alors qu’elle remporte le premier prix de sa classe à l’Académie des Beaux-Arts, on refuse de le lui remettre officiellement. Parce qu’elle est juive. Abandonnant à contrecoeur son père, sa belle-mère et un amoureux secret, elle se réfugie bientôt dans le sud de la France, question de survie. C’est là qu’elle se lance à corps perdu dans la création.

Peu avant d’être dénoncée puis envoyée à Auschwitz, où elle sera gazée, elle remet son manuscrit à quelqu’un de confiance en lui disant: «Gardez-le bien. C’est toute ma vie.» Vous serez déstabilisée, au début du moins. De quoi s’agit-il? D’un long poème? Une phrase par ligne. Ce sera comme ça jusqu’à la fin. Vous vous y ferez. Le romancier, qui intervient régulièrement dans le récit, s’en explique à un moment donné: il a mis des années avant de venir à bout de ce livre, il n’arrivait pas à écrire deux phrases de suite, il avait l’impression d’étouffer, il éprouvait la nécessité de changer de ligne pour respirer. Ça donne au roman un rythme très particulier. Ça nous envoûte, même si on est bouleversée par ailleurs. Là-dessous couve quelque chose comme un sentiment d’urgence. C’est fort, très fort. (Gallimard)

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