Nous ne sommes pas dans une autobiographie classique pour autant. Le récit est écrit au tu: du haut de sa jeune soixantaine, l’auteure de
La virevolte et de
Professeurs de désespoir s’adresse à elle-même comme à un personnage sur le point de naître. C’est-à-dire qu’elle s’adresse au foetus dans le ventre de sa mère pour lui dire ce qui l’attend au-dehors.

Enfant non désirée: c’est ainsi qu’elle se voit. Bataillant pour voir le jour, s’accrochant à la vie, tandis que ses parents sont pris ailleurs, préoccupés par leurs études universitaires et soucieux de joindre les deux bouts. La famille compte déjà un garçon et il y aura un autre bébé par la suite. De sorte que l’enfant du milieu se sentira coincée, aura peur de déranger.

Problèmes de confusion mentale du père, désir d’affranchissement de la mère. Comment exister aux yeux de papa, de maman? En devenant un petit chien savant, qui excelle au piano, saute des années scolaires, etc. Dès l’adolescence, ce désir d’être valorisée s’est traduit par un besoin de séduire les hommes à tout prix.

Dans le récit sont évoqués aussi les nombreux déménagements des parents. Chaque fois, la fillette doit s’adapter à un nouveau milieu. Plus tard, elle vivra un temps aux États-Unis avant d’aller étudier à Paris, puis de s’y établir dans les années 1970. Elle se sentira toujours un peu étrangère, où qu’elle se trouve.

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Ses parents: deux êtres contraires. Lui, fils d’une mère féministe avant l’heure, rêvait de faire sa vie avec une femme au foyer. Elle, qui avait eu une mère conformiste, rêvait d’une carrière universitaire, de liberté. Leurs querelles finiront par avoir raison de leur union. Le père s’est vite remarié, avec une femme d’origine allemande qui a pris en charge l’éducation des enfants.

Le titre du livre, Bad Girl, renvoie au sentiment de nullité ressenti par la petite, privée de sa maman à l’âge de cinq ans. Elle croyait mériter le malheur qui lui arrivait, se disant que sa mère l’avait quittée parce qu’elle était une mauvaise fille: «Comment ne pas se sentir nulle quand votre mère vous quitte? Cela n’arrive jamais, qu’une mère quitte son enfant. C’est donc que l’enfant en question doit être nulle.»

La petite a longtemps cherché sa place. Très tôt, elle s’est évadée dans la lecture. Elle s’est trouvée dans les mots, dans l’écriture. Le livre est d’ailleurs sous-titré Classes de littérature. Nancy Huston considère que tout ce qu’elle a vécu et ressenti, enfant, lui a servi de classes pour se lancer en littérature, pour faire de l’écriture son noyau.

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Crise d’identité

Sophie-Bienvenu.jpg1. Dans la peau d’un sans-abri Une mère castratrice et narcissique, un père absent et lâche. Une relation amoureuse dévastatrice, une paternité précoce, un emploi dévalorisant, mal payé. Et… tout s’écroule. Comment se refaire une vie à 25 ans quand on n’a nulle part où aller, personne à qui se rattacher? Comment se reconstruire une identité? C’est la réalité à laquelle se heurte le jeune sans-abri de Chercher Sam, de notre collaboratrice Sophie Bienvenu. C’est cru. Troublant. Et poignant. «Parce que les itinérants, tu peux leur donner de l’argent, tu peux leur faire un sourire, ou même leur demander comment ça va, mais tu peux jamais, jamais, jamais les toucher. Parce que t’as beaucoup trop peur que notre misère s’attrape.» 

 

HARUKI-Murakami.jpg2. Vivre le rejet L’écrivain japonais Haruki Murakami (trilogie 1Q84), qui figure parmi les 10 auteurs de livres les plus vendus dans le monde, revient à la veine réaliste avec L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage. On y suit un architecte japonais d’une trentaine d’années, solitaire et tourmenté. Alors qu’il entend l’amour cogner à sa porte, les vieilles blessures qu’il croyait enfouies refont surface: peur d’aimer, peur de l’abandon. Il est contraint de ressasser son passé. Pourquoi ses amis d’adolescence, avec qui il était très lié, lui ont-ils tourné le dos du jour au lendemain sans explication? Bienvenue dans l’univers des êtres brisés, dans l’exploration de leur face obscure.

 

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