Françoise. Tout simplement. C’est le titre de la passionnante biographie que la journaliste et historienne Laure Adler consacre à une des grandes figures françaises du 20e siècle: Françoise Giroud. C’est dire la dimension intime de cet ouvrage publié chez Grasset, où se dévoile une grande amoureuse, une mère brisée par le décès de son fils, une femme complexe luttant pour préserver ses secrets enfouis. Mais dans lequel Laure Adler trace aussi le portrait d’une époque, plonge dans la France politique et sociale où cette battante, morte en 2003 à l’âge de 86 ans, a fait sa marque comme journaliste.

Qu’est-ce qui vous fascinait chez Françoise Giroud?

Je l’ai toujours admirée en tant que journaliste. Son oeuvre maîtresse demeure la création, avec Jean-Jacques Servan-Schreiber, de l’hebdomadaire L’Express. Elle a innové sur plusieurs plans, a mis de l’avant le journalisme d’investigation et celui d’opinion. Et puis elle a ouvert la porte aux femmes de la nouvelle génération, elle leur a donné accès au journalisme politique, qui était jusque-là une chasse gardée masculine. Dès 1946, dans le magazine Elle, elle prônait l’émancipation des femmes. Elle leur disait de ne pas épouser des hommes qui ne savaient pas leur faire l’amour…

Après sa rupture avec le grand amour de sa vie, Jean-Jacques Servan-Schreiber, elle lui a fait parvenir des lettres anonymes très noires. Vous avez été déçue par ce comportement?

Très déçue. Ces lettres étaient atroces, vraiment antisémites. Françoise avait complètement perdu le contrôle d’elle-même. C’est ce que les psychanalystes appellent le retour du refoulé: elle-même avait des origines juives, qu’elle a tues toute sa vie. Avec cette histoire de lettres, elle est allée aux limites de l’égarement. Il y avait plusieurs Françoise Giroud. Elle s’était construit plusieurs identités, et finalement, elle n’a pu survivre que grâce à la psychanalyse: elle a alors compris beaucoup de choses sur elle-même.

On se demande comment une femme aussi forte, aussi importante socialement, a pu penser au suicide…

Elle a vraiment voulu mourir. Ce n’était pas une tentative, mais un vrai désir d’arrêter sa vie. Elle est morte à elle-même à ce moment-là. Elle a dit au médecin qui l’avait sauvée que c’était le pire service qu’on lui ait rendu: c’est dire à quel point elle avait le désir d’en finir.

 

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