Ce n’est pas une biographie, mais un roman. Le quatrième de l’auteure française Lola Lafon, née en 1975, qui a passé une grande partie de son enfance en Roumanie. C’est d’autant plus intéressant qu’elle replace la trajectoire de son héroïne dans le contexte politique de l’époque. Elle montre à quel point la gymnaste a été utilisée comme symbole national dans son pays et manipulée par le système en place.

L’auteure prend le soin de préciser au début du livre qu’il ne s’agit pas d’une reconstitution de la vie de Nadia Comaneci. Elle a respecté les dates, les lieux, les évènements mais, pour le reste, elle a comblé les silences par l’entremise de la fiction. Un peu comme Joyce Carol Oates l’avait fait en 2000 dans son magnifique roman Blonde, sur Marilyn Monroe. Lola Lafon pousse l’audace jusqu’à faire intervenir la voix de Nadia Comaneci. Comme si, à la fin de chaque chapitre, Nadia réagissait aux propos de Lola: elle tempère, elle tempête parfois. Elle va jusqu’à contredire l’auteure. Ce qui permet d’apporter des nuances et de la profondeur au récit.

On replonge dans l’enfance de Nadia. On va la suivre jusqu’en 1990, peu après son déménagement aux États-Unis, alors qu’elle était devenue une star déchue. On voit tout ce qu’elle a traversé, à quel point son corps a été malmené par la privation de nourriture, la surconsommation de médicaments, les entraînements excessifs. On comprend que, dès le moment où elle a commencé sa puberté et qu’elle a vu son corps se transformer, elle s’est rebiffée. Elle considérait la puberté comme une maladie. Elle est devenue dépressive, suicidaire.

Les médias n’ont pas arrangé les choses, au contraire. Ils avaient magnifié son corps filiforme et androgyne, et ils ont ensuite refusé de la voir grandir et grossir. «La petite fille s’est muée en femme et la magie est tombée», titrait un journal français aux JO d’été de Moscou en 1980. Son corps, sa personne, sa vie ont cessé de lui appartenir. Les médias, mais aussi les dirigeants politiques, l’entraîneur, ainsi de suite, se sont approprié Nadia. Et c’est ce qui apparaît le plus troublant dans ce roman. À quel point on peut instrumentaliser le corps d’une fillette et refuser à cette dernière le droit de devenir une femme. À quel point on peut voler à quelqu’un sa propre vie.

La petite communiste qui ne souriait jamais, de Lola Lafon, Actes Sud.

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