Même au moment de son arrestation, Jane Fonda affiche un air sensationnel. Ces temps-ci, elle arbore une panoplie de bérets chics et de superbes manteaux dont un en particulier, un audacieux trench rouge, a assurément capté l’œil des caméras. Après tout, l’actrice sait bien que les images circuleront plus vite que ses mots. À 82 printemps, génie des médias sociaux, elle continue de se présenter à l’avant-scène pour attirer l’attention sur les changements climatiques à Washington: l’automne dernier, elle s’affichait aux Fire Drill Fridays [clin d’œil aux exercices d’évacuation en cas d’incendie] avec ses amis célèbres, comme Sam Waterston et Ted Danson. Chaque semaine, ironiquement, c’est avec des menottes de plastique à usage unique que la police l’appréhendait.

La bonne nouvelle est que Jane est hyperlaxe, c’est-à-dire que ses articulations sont souples à l’extrême. Elle me fait cette confidence à Toronto, début septembre, en sirotant un verre de mescal. Voilà qui explique comment, à sa première arrestation, à Cleveland en 1970, elle a su enlever ses menottes pour brandir un poing en symbole de solidarité, instant immortalisé dans son portrait d’identité judiciaire. Les ouï-dire veulent que, sous les ordres de Richard Nixon lui-même, Jane ait été appréhendée par les autorités tandis qu’elle revenait d’une tournée de conférences au Canada. Son crime: avoir transporté des vitamines dans un sac de plastique. Bien que l’actrice en ait par la suite été innocentée, les images de sa première arrestation, où elle affiche sa coupe nuque longue emblématique du film Klute (qui lui valut son tout premier Oscar en 1972), sont passées à l’histoire.

Elle me fait ensuite une autre confidence. Elle a su négocier un congé de quatre mois de Grace & Frankie, une série prisée du public et diffusée sur Netflix dans laquelle elle partage la vedette avec Lily Tomlin, afin de pouvoir mener de front ses activités à Washington. Inspirée par Greta Thunberg et par l’autrice et militante sociale canadienne Naomi Klein, qu’elle surnomme «ma gourou», Jane Fonda ressent l’irrépressible envie de «perturber le confort de [sa] vie». Elle voit le nouvel ouvrage de Naomi Klein, La maison brûle – Plaidoyer pour un New Deal vert (On Fire: The (Burning) Case for a Green New Deal), comme le manifeste de la voie à suivre. Jane Fonda est dans la ville Reine au nom de L’Oréal Paris, auprès de qui elle est ambassadrice de la marque Age Perfect depuis l’âge de 68 ans. «L’Oréal Paris ne m’a pas choisie en dépit de mon âge, mais bien en hommage à mon âge, révèle Jane Fonda en souriant. Ils sont convaincus que la beauté ne tient pas simplement à la jeunesse et à une allure de top-modèle, mais qu’elle réside en chacun de nous, peu importe notre ethnie ou notre âge.» Il est près de 19 h lorsque Jane Fonda s’installe confortablement dans une salle à manger privée de l’hôtel Shangri-La. Pendant près de 12 heures d’affilée, elle a serré des mains, prononcé des discours et accordé des entrevues, mais sa posture impeccable n’a pas flanché d’un millimètre. À l’heure où la dégaine relâchée est à la mode, le maintien de Mme Fonda lui donne un air royal. Elle est dans une classe à part. À l’effet de sa présence se jouxte une capacité d’expression phénoménale: elle enchaîne les phrases à la syntaxe recherchée, pesant chaque mot et manifestant son intelligence tout autant que son charisme.

Des décennies à l’avant-scène

Durant six décennies, Jane Fonda a incarné mieux que quiconque le terme «pertinence». Fille de l’acteur mythique Henry Fonda, elle est entrée dans la sphère publique à titre de mannequin en 1959 à l’occasion d’une couverture de Vogue où elle a été croquée sur le vif par le légendaire Irving Penn. Après avoir foulé les planches à New York et suivi une formation auprès de Lee Strasberg, grand maestro de la Méthode de jeu, l’actrice émerge à titre de minette du cinéma français des années 1960. En 1965, elle épouse Roger Vadim, qui la dirige dans Barbarella, une parodie classique de science-fiction parue en 1968.

Pendant qu’elle vit en France, à une époque marquée par les manifestations étudiantes, Jane Fonda s’éprend de justice sociale. Elle trouve là une deuxième vocation et se réinvente en militante contre la guerre du Vietnam, son rôle le plus controversé et qui restera longtemps associé à sa personne. Elle transforme peu à peu son image à l’écran en jouant des rôles atypiques. Ses plus mémorables sont ceux qu’elle a interprétés dans Coming Home en 1978, qui lui vaut son second Oscar (elle aura sept nominations aux Academy Awards), et dans The China Syndrome en 1979. Entre-temps, en 1973, elle a épousé le militant californien Tom Hayden. Elle se considère comme une démocrate progressiste.

Toujours à l’avant-garde de la culture pop, elle braque les projecteurs sur la place des femmes au travail dans 9 to 5, en 1980. Puis, elle devient entrepreneure pour une bonne cause lorsqu’elle lance la série de vidéocassettes d’entraînement Jane Fonda’s Workout, très en vogue à l’époque, afin de financer ses projets de justice sociale avec Tom Hayden. À la surprise générale, c’est vêtue de jambières qu’elle convainc le monde entier de son message. Elle prend ensuite une pause du monde du cinéma et, en 1991, épouse Ted Turner, un homme d’affaires très influent. Les années 1990 et le début des années 2000 sont pour elle synonymes de respectabilité, mais elle continue de s’activer sur le terrain tant pour l’organisme féministe américain Women’s Media Center qu’au nom de la prévention des grossesses chez les adolescentes de Géorgie, où elle réside avec son mari.

En 2001, elle décide de quitter Ted Turner, qu’elle nomme affectueusement son «ex-mari préféré». Elle entreprend alors de se trouver elle-même en célébrant une version bien à elle d’une chrétienté féministe et spirituelle, démarche qui l’incite à coucher ses mémoires sur papier. L’ouvrage nous apprend une foule de détails, à l’instar d’une longue thérapie, au sujet de sa personnalité marquante. En 2005, elle fait un retour triomphal à l’écran dans le film à succès Monster-in-Law, qui lui donne l’occasion de sortir ses griffes.

Ce survol des moments forts d’une carrière longue et prolifique trace un portrait lisse de l’actrice, mais, au fond, Jane Fonda trépigne d’impatience à l’idée de retourner au front. La Jane revendicatrice, la vraie de vraie, est à des lieues de celle qui foule les tapis rouges avec tant d’élégance. Certes, Jane Fonda y est redoutable, en partie grâce à sa nouvelle styliste, qui l’habille de pièces de haute couture défiant les conventions de l’âge. Elle défile en combinaison chic, en smoking moderne et en robe du soir glamour en accord avec l’air du temps et n’est aucunement ébranlée par les jeunes femmes d’Hollywood. Son succès repose sur le fait qu’elle ne se prend pas au sérieux. «Les vêtements, ce n’est qu’une façade, dit-elle, esquivant un commentaire. J’ai ça en horreur, les tenues de gala, les tapis rouges… C’est si inconfortable!»

En fait, quand Jane Fonda décide d’entreprendre un projet, elle ne le fait pas à moitié: sa série télé à succès a renouvelé sa pertinence auprès du public. La gloire lui offre une plateforme, même si cela signifie que ses moindres faits et gestes seront scrutés à la loupe. Il lui a fallu toute une vie pour trouver l’équilibre entre son apparence physique et sa destinée.

Max Abadian

Apprivoiser l’apparence

C’est elle qui aborde la question. «Je ne prétendrai pas que je suis dénuée de toute vanité, mais pour moi, la chirurgie plastique, c’est terminé. Je ne passerai plus sous le bistouri. Je travaille à l’acceptation de moi-même au quotidien. Ça n’est pas inné pour moi.» Elle fait allusion aux années durant lesquelles elle a lutté contre la boulimie, dépendance qui s’est installée durant son enfance et qu’elle ne maîtrisera pas avant la quarantaine. En fait, en plus de recourir aux médias sociaux pour partager son militantisme avec le plus grand nombre de personnes possible, elle utilise ces médias avec une honnêteté exemplaire. «J’essaie de mettre l’accent sur le fait que lutter contre la boulimie a été une longue bataille pour moi, et que ça l’est toujours. Je publie des photos de moi où j’ai le regard fatigué, et même où il me manque une dent. C’est une fausse dent, dit-elle en la montrant du doigt. Elle est tombée lorsque j’étais au restaurant au Portugal, et j’ai décidé de publier la photo.»

Parmi les autres choses qui hantent Jane, elle cite sa longue lutte dans les relations qu’elle a eues avec les hommes de sa vie. À première vue, il est difficile d’imaginer qu’on puisse avoir quoi que ce soit en commun avec cette actrice couronnée d’Oscar et mariée trois fois. Or, dans My Life So Far, les mémoires qu’elle a publiés en 2005, elle se révèle avec franchise, tout comme dans Prime Time, son livre sur le vieillissement publié en 2011. Dans un documentaire de HBO, Jane Fonda in Five Acts, sorti en 2018, elle montre qu’elle peut nouer un lien avec nous tous, le public.

«Je savais que si je disais la vérité, je livrerais un message universel, dit-elle. Mes batailles sont celles de toutes les femmes: “je ne suis pas assez bonne”, “il faut que je plaise, surtout à papa”, “je ne suis pas assez jolie”, “je ne suis pas assez mince”, “je ne suis pas assez intelligente”…»

Elle dévoile que, malgré sa carrière florissante, elle a épousé des hommes pour définir son identité: elle a été star du cinéma de la Nouvelle Vague avec Roger Vadim, guerrière de la justice sociale avec Tom Hayden, moitié d’un couple puissant avec le magnat Ted Turner. À chaque rupture, elle souligne: «Je me disais que c’était la fin, puisque personne ne rechercherait plus ma compagnie ni ne voudrait m’adresser la parole parce que je n’étais plus avec lui.» Elle dit que la maladie de vouloir plaire à tout prix l’a vidée. Aujourd’hui célibataire – un choix qu’elle assume tout à fait –, elle consacre le chapitre actuel de sa vie à sa propre personne. Et voilà qu’elle lance la phrase qu’elle répète à chaque entrevue: «J’ai fermé boutique sous ma ceinture.»

À présent, sa vie à l’écran dans Grace & Frankie reflète l’importance que les amitiés entre femmes revêtent dans sa vie. Lily Tomlin, sa covedette dans la série, est l’une de ses meilleures amies dans la vraie vie. «Les gens qui sont véritablement présents pour moi, et pour qui je suis également présente, sont mes copines. J’ai grandi dans les années 1950, et, de surcroît, ma mère s’est suicidée. Je me suis donc identifiée très fortement aux hommes, de qui je tiens un individualisme brut. Ç’a été un immense défi pour moi de surmonter tout ça.»

Cette abrupte allusion au suicide de sa mère pèse sur la conversation. L’actrice a longuement expliqué son profond sentiment de perte dans ses écrits. À 12 ans, le deuil a modelé son tempérament et l’a amenée à s’appuyer sur des modèles masculins. Des décennies plus tard, elle a su accepter la tragédie en faisant des recherches sur la vie de sa mère et en consultant les dossiers médicaux de celle-ci. La maturité a permis à Jane de reconnaître que ses parents et ses grands-parents étaient des personnes à part entière, possédant chacune leur histoire. Cela l’a aidée à comprendre des choses et à accepter que ça n’avait rien à voir avec elle.

Le parcours douloureux de Jane explique peut-être pourquoi elle est si attirée par les jeunes, à commencer par ceux d’une école de Parkland, en Floride [où a eu lieu la fusillade de 2018 ayant fait 17 morts], et par Greta Thunberg – des jeunes qui sont pour elle autant une source d’inspiration que de préoccupation. «Il a toujours été difficile d’être jeune. Il existe maintes études longitudinales – j’ai écrit un livre sur le vieillissement, alors j’ai eu l’occasion d’explorer la question – qui montrent que, la santé aidant, les choses deviennent beaucoup plus faciles en vieillissant. On sait reconnaître les pièges, on sait où le danger nous guette. On a connu des crises, auxquelles on a survécu.»

Activiste jusqu’au bout

Le jeu d’actrice est un métier d’empathie, et il est clair que Jane Fonda tente d’aller au cœur des choses auxquelles fait face la génération actuelle. «Quand on est jeune, on se demande: “Qui devrais-je connaître? Que suis-je censé faire?”». La crise climatique occupe constamment ses pensées. «Nous vivons tant d’incertitude en ce moment. C’est cent fois pire que quand j’étais jeune. Or, je ne suis pas nostalgique du “bon vieux temps” de ma jeunesse. C’était une époque hyperstressante», ajoute-t-elle en sourcillant, pour appuyer ses propos. «Et encore: je suis blanche et privilégiée. C’est encore plus difficile pour les gens de couleur, les gais, les personnes ayant des incapacités physiques.»

À plusieurs reprises durant notre conversation, Jane reconnaît avoir joui de privilèges. C’est grâce à des thérapies qu’elle a gagné en sagesse et qu’elle déclare maintenant: «Il faut regarder en arrière avant de pouvoir voir en avant. Il faut apprendre à être présent, mais, je le concède, il arrive que des déséquilibres émotifs nous accablent dès notre jeunesse sans que nous puissions les éliminer. Certaines blessures psychiques m’accompagneront toujours. Il faut apprendre à composer avec elles, à les reléguer dans un coin de notre esprit, à les sceller pour les empêcher de se manifester.»

En rejetant les ruines de son passé et en bannissant la culpabilité, on s’offre la liberté de faire quelque chose de bien dans le monde. «J’ai grandi à une époque où le cliché disait que les femmes sont comme des chats, qu’elles compétitionnent entre elles, qu’elles se crêpent le chignon, alors qu’en vérité, il n’y a aucune limite à ce qu’elles peuvent accomplir si elles travaillent ensemble», souligne- t-elle, tandis que l’étincelle des causes qui l’animent brille dans son regard. «Nous sommes arrivés à un chapitre de l’humanité où nous devons poser des gestes collectifs. Les femmes sont les personnes les plus réceptives à l’idée de faire de tels gestes. Pour des raisons liées à l’évolution, nous sommes moins susceptibles de faire preuve d’individualisme. D’une certaine manière, c’est notre salut et notre force à la fois. Rien de bon n’est arrivé sans un mouvement de masse. L’heure est venue d’amorcer un mouvement de masse qui mette l’accent sur le climat.»

L’action collective coule dans les veines de Jane Fonda et définit son humilité. Elle veut participer à quelque chose de plus grand qu’elle et faire partie de la solution. La Hanoi Jane, jeune femme vilipendée de toutes parts pour s’être assise sur un canon anti-aérien dans le nord du Vietnam en 1972, geste impromptu qu’elle regrette, le pire de sa vie, est à des années-lumière de sa vie actuelle. Cette Jane Fonda-là, les gens l’ont digérée. Mais en reconnaissant sa vie, dans ses triomphes comme dans ses faux pas, Jane Fonda nous enseigne à tous que s’apitoyer sur notre sort n’est pas envisageable. La seule manière d’avancer est de marcher ensemble en signe de protestation.

ELLE Québec Mars 2020

ELLE Québec Mars 2020Max Ababian

Jane Fonda porte un trench en faille et une broche Lemarié (Alexandre Vauthier Haute Couture), des boucles d’oreilles en métal plaqué or et cristaux Swarovski (Joanna Laura Constantine, chez Archives) et une bague en vermeil (Charlotte Chesnais, chez Archives). Photographie Max Abadian. Direction de création et stylisme Annie Horth. Direction artistique Jed Tallo. Maquillage David De Leon (ASM). Coiffure Jonathan Hanousek (Exclusive Artists Management). Éditrice Sophie Banford. Rédactrice en chef Joanie Pietracupa. Direction artistique du ELLE Québec Isabel Beaudry. En partenariat avec L’Oréal Paris. Obtenez la mise en beauté de Jane Fonda en utilisant le correcteur Radieux Age Perfect, le fard à joues Éclat Satin Radieux Age Perfect, le traceur pour les yeux Tracé Satiné Age Perfect et le fond de teint Sérum Radieux Age Perfect, de L’Oréal Paris.