Dès son ouverture en décembre dernier, le bar Waverly est devenu une référence en matière de nightlife, malgré ses airs de «trois fois rien». «Mais vous savez», dit Zébulon Perron, qui en a fait l’aménagement de A à Z, «le Waverly est le genre de projet qui coûte cher en temps!» À voir les chaises bonnes pour la casse, les suspensions rafistolées et les vieilles lattes des murs, on aurait juré, pourtant, qu’il s’agissait d’un bar conçu à la va- vite. Renseignements pris, dénicher des matériaux de récup et du mobilier usagé, en ayant en tête «la poétique de l’objet industriel», n’est pas une mince affaire.

De surcroît, selon Zébulon, «il n’y a aucun élément standard dans le bar. Tout le mobilier est réalisé sur mesure.» Tout l’art zébulonien – aux antipodes du luxe ostentatoire – consiste à mettre le temps qu’il faut pour transformer une vieille chose usée en plafond, en accessoires d’éclairage ou en comptoirs exceptionnels.

À l’évidence, cet ex-étudiant en design art à Concordia et en design de l’environnement à l’UQAM est bien dans ses baskets. Démocratique par conviction, branché par hasard, il a 38 ans, le geste doux et les cheveux en pétard. Attablé au Waverly, désert en plein après-midi, il parle de son travail avec un sérieux décontracté. Ses paroles laissent deviner un être à la fois bohème et ordonné, rêveur et réfléchi, terriblement sympathique et aussi hors normes que ses aménagements.

 

Depuis le bistrot Les Folies – grand prix du concours Commerce Design Montréal 2000 -, le maestro du brutalisme sophistiqué suit son propre chemin, sans se préoccuper outre mesure des modes, des codes et des cliques. Le bar idéal serait «un lieu pluriel» fréquenté aussi bien par les artistes que par les professionnels, les jeunes que les vieux, les gens d’Outremont que ceux d’Ahuntsic («l’exclusivité me dérange », affirme-t-il). En 2008, avec la Buvette Chez Simone, bar à vin sans prétention qui lui a valu le prix Intérieurs Ferdie et le grand prix du jury de Créativité Montréal, il crée le buzz… et gagne ainsi sa liberté. «Plus je fais de projets, moins mes clients exigent qu’ils soient beaux.»

Car plutôt que «faire beau», Zébulon a toujours préféré «faire vivre une expérience». Ainsi donc, il se concentre sur les bars et les restaurants, puisque son «approche se prête bien aux lieux festifs, là où on vend de l’ambiance »: le Lustucru, le Hachoir, le Philémon (tous trois ouverts en 2010) le Plan B, le Continental bistro (qu’il a fait renaître de ses cendres en 2008). Derrière ces réalisations, une seule intention: «Provoquer des rencontres entre inconnus. » Et ça marche du tonnerre de Dieu! Sous ses allures de vieille taverne hors du temps, le Waverly vaut tous les réseaux sociaux pour tisser des liens. «Ça, c’est le plus beau compliment qu’on puisse me faire!»

Les bars et les restos signés Zébulon

 

L’univers de Zébulon, c’est…

Son drôle de prénom «Mes parents, mère psychothérapeute et père pianiste de jazz, étaient un peu hippies sur les bords.»

Son spot favori à Montréal «Le mont Royal. C’est notre Central Park à nous, et ma cour à moi, parce que j’habite tout près. Un parc de ce type dans la ville, c’est un privilège, et un privilège non exclusif en prime. Rien de plus démocratique qu’un jardin urbain.»

Son bureau annexe «Le bistrot Leméac. Je m’assois au coin du bar, je sors mon sketchbook, ma panoplie de stylos, et j’observe le comportement des clients.»

Ses références «Je suis plus intéressé par le milieu de l’art contemporain que par le design. Plusieurs artistes ont une façon très immersive d’intervenir sur l’espace, ce qui brouille la perception et nous fait perdre tous nos repères. Les idées en art sont souvent pures, puisqu’il s’agit d’une zone d’expérimentation. Donc, c’est moins contraignant que le design, où il faut composer avec le budget, l’ergonomie, la durabilité, le code du bâtiment, etc. Dans la phase où je conçois un projet, les idées en art me stimulent.»

Le premier espace qui l’a impressionné «Lorsque j’étais jeune, mon père vivait à proximité du Musée des beaux-arts. J’aimais beaucoup le pavillon Liliane et David M. Stewart: un bâtiment en béton plus récent, avec des masses assez austères mais une terrasse agréable, un petit jardin de sculptures, de la vigne, quelques arbres. J’ai le souvenir d’avoir eu là un sentiment fort du lieu. C’est un lieu propice à la réflexion.»

Un objet qui le fascine «Je suis obsédé par les galons à mesurer. J’en possède des tas et, chaque fois que je passe à la quincaillerie, j’achète les nouveautés.»

Son ambition «Rester pertinent longtemps!»

L’architecte qu’il admire Carlo Scarpa, un architecte et designer italien, mort aujourd’hui, reconnu pour son habileté à mélanger des éléments traditionnels et modernes. «Je partage sa sensibilité au passage du temps, son souci de la pérennité des choses. C’est important que les projets vieillissent bien.»

Ses adresses fétiches «J’aime me rendre chez les vendeurs de bois de récup à la campagne et aller dans les brocantes pour dénicher des meubles provenant d’ateliers de textile. Les manufactures de vêtements, c’est tout un pan du patrimoine montréalais.» Les endroits où il aime fouiner: le Marché aux puces Saint-Michel (3250, boul. Crémazie Est), le marché aux puces de Lachute (25, rue Principale), les brocanteurs de la rue Amherst, surtout Jack’s (au 1883) et ceux du boulevard Saint-Laurent, dans le Mile-End, à Montréal.

Un projet dont il rêve «Dessiner des parcs. J’ai peine à imaginer quelque chose de plus civilisé que ça.»

Ce qui l’inspire «La rue, les bouches d’égout, la vie de café à Paris et à Rome, les installations d’artistes comme Olafur Eliasson, Bill Viola, Damian Ortega, Gerda Steiner & Jörg Lenzlinger, les vieilles typos …»

C’est comment chez lui «Meublé scandinave années 1960. Finalement, je pense que je suis moi-même un peu vintage!»


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