«Bon appétit, et tentez de ne pas mourir», dit la cueilleuse américaine et éducatrice en aliments sauvages Alexis Nikole Nelson, mi-sérieuse, mi-comique, à la fin de ses vidéos. Qu’elle publie des textes à propos des champignons hurleurs, qu’elle déconstruise les mythes entourant les pommetiers ou qu’elle explique comment utiliser les mûres pour se maquiller, il est facile de comprendre pourquoi les internautes sont tombés sous le charme de cette vedette de TikTok. Mais se faire connaître sur les médias sociaux ne faisait pas exactement partie de son plan de vie — du moins, il y a deux ans, lorsque tout a commencé. «J’étais terrifiée à l’idée d’aller à l’épicerie», se souvient Alexis, en parlant de la première vague de la pandémie. C’est pourquoi, en avril 2020, la jeune femme, alors âgée de 28 ans, a décidé de publier ce qu’elle cueillait dans son quartier urbain, à Columbus, en Ohio. (Dans sa première vidéo, elle a donc parlé d’herbe à ail, de feuilles de pissenlit, ainsi que de fleurs de violette, à partir desquelles elle a concocté un sirop simple.) Alors que la COVID-19 perturbait toujours les chaînes d’approvisionnement et nous montrait à quel point nos systèmes alimentaires sont fragiles, sa publication — à sa grande surprise! — est devenue virale. «J’ai pensé: “Oh, les gens veulent cueillir des plantes”, dit-elle. Je peux leur montrer comment faire ça!» Aujourd’hui, avec 4,1 millions d’adeptes sur TikTok (@alexisnikole) et 1,1 million d’abonnés sur Instagram (@blackforager), Alexis continue d’inspirer le changement dans un secteur du plein air historiquement limité, à prédominance masculine — et très blanc.

La végétalienne utilise ses plateformes pour informer les spectateurs sur les merveilles que sont le «bacon» fait à partir de glands, la gelée de pommes de pin, le «chocolat» de tilleul, ou encore la tisane aux feuilles d’armoise. Le tout est présenté avec beaucoup d’humour et un sens du style extraordinaire! «On nous apprend habituellement qu’il y a du gazon, des arbres et des buissons… et c’est tout. C’est de cette façon qu’on nous apprend ce qu’est la nature qui nous entoure. Je trouve ça très cool, donc, que les gens aient envie d’en savoir plus sur les plantes. Chaque fois qu’une personne décide de ne plus acheter de Roundup (un herbicide à base de glyphosate, banni dans plusieurs pays), c’est une victoire, dans mon livre à moi!»

«Reprendre possession de certains espaces est très difficile. Il faut y consacrer beaucoup de temps, d’énergie, de courage.»

Cette passionnée d’aliments sauvages touche une nouvelle génération de cueilleurs tournés vers l’avenir, qui accordent désormais plus d’attention au monde qui se trouve sous leurs pieds, et sa présence sur les médias sociaux rend également ce type de cueillette plus accessible aux personnes noires. Une grande partie de son travail attire l’attention sur les raisons historiques, raciales, culturelles et socio-économiques pour lesquelles les communautés noires sont actuellement sous-représentées dans les espaces sauvages. Par exemple, même après l’abolition de l’esclavage, les lois relatives à l’intrusion sur les propriétés privées ont rendu certaines activités alimentaires dangereuses pour les personnes noires, comme la cueillette, la pêche, la chasse et même l’agriculture. Avec le temps, ces compétences et ce savoir-faire ont commencé à disparaître. C’est là que Black Forager, l’alias d’Alexis, prend tout son sens. «Reprendre possession de certains espaces est très difficile. Il faut y consacrer beaucoup de temps, d’énergie, de courage, dit-elle. Par mes gestes, je veux inciter les gens à être braves et à se sentir plus libres de pratiquer certaines activités.»

Tout au long de son enfance, ses parents, fervents de plein air, lui ont enseigné à reconnaître les plantes autour de leur maison, à Cincinnati. «Nous vivions dans un quartier où beaucoup de rues portaient des noms de plantes et d’arbres qui poussaient en abondance dans notre région», raconte Alexis, qui a grandi sur Rose Hill, en face de Betula Avenue [avenue des Bouleaux]. Elle ne pouvait pas s’empêcher de penser que les plantes étaient censées faire partie de sa vie. Mais, lorsqu’à 12 ans, elle a quitté l’école Montessori, à l’esprit écologique, pour entrer dans le système scolaire public, on a commencé à se moquer de sa curiosité pour la nature. Aujourd’hui, elle espère que son travail permettra à des activités comme grimper aux arbres, manger des «mauvaises» herbes, barboter dans les étangs et partir à la chasse aux champignons pour le plaisir retrouvent leur juste place.

Alexis n’est pas toute seule à remarquer que la communauté de cueilleurs d’aliments sauvages change de visage — et de mains! Au début du mois de juin dernier, elle a reçu le prix de la James Beard Foundation (haut lieu de l’art culinaire aux États-Unis) dans la catégorie Médias sociaux. «J’espère que ça signifie que je lègue quelque chose de bien dans les médias, et dans le contenu culinaire. Honnêtement, je me pince encore! Quel honneur!» Tandis que les éloges, les récompenses et les prix affluent, Alexis Nikole Nelson se réjouit de vivre une autre aventure en 2024: la sortie de son premier livre de recettes à base d’aliments sauvages, publié chez Simon Element. «J’ai l’impression que tout s’est mis en place pour que j’en arrive là.» 

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