Style de vie
Les femmes dans l’industrie vinicole
De la terre au verre, les femmes ont de plus en plus d’influence sur le vin que nous sirotons.
par : Lynne Faubert- 31 mai 2024
Domaine du Tix
Qu’on soit un « nez » qui crée de grands vins, une sommelière qui adore nous les conseiller, une crack du marketing qui veut nous les faire connaître ou une chercheuse qui travaille d’arrache-pied à les sauver, le vignoble mondial et québécois s’avère un terroir accueillant pour relever les défis et réaliser ses ambitions. Et les femmes, longtemps minoritaires au sein des métiers du vin, font sentir leur influence plus que jamais.
Dans un récent reportage, la chaîne France 24 indiquait que le tiers des vignerons de l’Hexagone étaient des femmes. Selon un rapport de la Santa Clara University, 14 % des vignobles californiens appartenaient à des femmes en 2022. Et récemment, plus de femmes que d’hommes ont obtenu des diplômes en matière de culture du raisin et de vinification, comme le constatent les établissements d’enseignement, par exemple le Cool Climate Oenology and Viticulture Institute, de l’Université Brock, en Ontario.
Les femmes ne font pas que bouleverser le statu quo: elles dictent les goûts et les tendances. Pas étonnant, car selon des professeurs du Center for Smell and Taste, en Floride, beaucoup plus de femmes que d’hommes seraient des «supergoûteurs», parce qu’elles auraient dès la naissance une sensibilité accrue aux saveurs. De récentes études Nielsen révélaient aussi qu’en Amérique du Nord, 60 % des consommateurs de vin sont des femmes, une proportion qui s’explique par le fait qu’elles jouent le rôle d’acheteuses dans leur foyer. Pour plusieurs des professionnels que nous avons consultés, l’influence des femmes se fait sentir partout, de la popularité grandissante des vins blancs et des bulles jusqu’à la montée des étiquettes bio et naturelles. Un autre revirement se profile à l’horizon: l’offre accrue et améliorée de vins faibles en alcool ou sans alcool. Quatre expertes nous ont parlé de leur industrie et de leur métier, à l’ère des changements sociaux et du réchauffement climatique.
Une viticultrice visionnaire
Véronique Lemieux n’a pas froid aux yeux, mais elle l’avoue tout de go: «Les derniers temps ont été incroyablement difficiles sur tellement de plans; c’est la première année que je ne finis pas sur le bord du burn-out.» Cette vinificatrice et coordonnatrice de projet de recherche au Vignoble La Bauge, en Estrie, doit jongler entre le travail physique dans les champs, les recherches scientifiques sur le terrain, l’élaboration de ses premiers vins (Les Cuvées de Véronique) et la vie de famille avec un jeune enfant. «Je fais 110 livres mouillée, et mon travail ressemble à un Ironman qui dure 7 mois. La seule raison pour laquelle j’arrive à tout faire, c’est que j’ai une volonté de fer viscérale…»
Travailler la vigne est une vocation qui est arrivée sur le tard pour Véronique, après ses études en commerce, puis un certificat en viticulture de l’Université Cornell, aux États-Unis. En 2017, elle fonde Vignes en ville, un concept de vignobles urbains et d’économie circulaire: «En broyant des bouteilles de vin, on obtient du sable, dont on se sert comme terreau où faire pousser les raisins pour créer du vin qui ira dans des bouteilles.» L’initiative plaît tellement que l’arrondissement de Rosemont, à Montréal, la contacte pour planter 1000 pieds de vigne dans les ruelles! Il aura fallu que Simon Naud, propriétaire du vignoble La Bauge, l’invite à travailler avec lui pour qu’elle cède l’administration quotidienne du projet emblématique Vignes en ville et parte planter ses premiers ceps sur une parcelle de ce grand vignoble estrien.
Aujourd’hui, la chercheuse en elle gagne du terrain, notamment grâce à un partenariat avec Génôme Québec et Génôme Canada, deux OSBL qui visent à créer un écosystème canadien durable autour de la bioéconomie. Le désir de préserver le vignoble québécois colore tous ses efforts: «En ce moment, on mène des recherches pour pousser la nordicité le plus loin possible. Par exemple, on va laisser des vignes sans protection à -40 degrés Celcius l’hiver ou pendant un gel printanier, puis on va s’installer et regarder ce qui survit et ce qui meurt. C’est difficile mentalement, mais nécessaire pour trouver des solutions.»
On sent la conquérante en elle quand elle confirme que, oui, «il se passe quelque chose au Québec. Nous avons la chance, ou la malchance, d’être parmi les vignobles les plus nordiques, qui subissent les pires conditions au monde. Donc, notre vécu contribue énormément à la recherche. Dans les vieux pays comme la France, les vignerons n’ont pas le droit de planter de nouveaux cépages, ni même de couvrir leurs vignes contre le gel, parce que c’est interdit dans le fameux cahier des charges, établi par région. Quand le climat devient hostile, comme maintenant, ils ne peuvent pas agir avec la même souplesse que les vignerons du Québec. Notre travail servira donc à tous.»
«[...] beaucoup plus de femmes que d’hommes seraient des “supergoûteurs”, parce qu’elles auraient dès la naissance une sensibilité accrue aux saveurs.»
Véronique Lemieux
Une chroniqueuse qui a du flair
Carolyn Evans Hammond, chroniqueuse vin au quotidien Toronto Star, autrice de guides vinicoles et personnalité médiatique, préfère se présenter simplement comme une sommelière qui a plusieurs cordes à son arc et sait communiquer sa passion pour le vin. Elle anime plusieurs séries YouTube sur la chaîne Access Luxury, où elle a réalisé près de 200 vidéos sur ce sujet. Elle est membre du très niché Circle of Wine Writers, comme le sont aussi Natalie MacLean et Liz Palmer, deux Canadiennes qui se sont hissées au sommet de leur profession.
À ceux qui lui demandent pourquoi elle n’écrit pas de chroniques sur le rôle des femmes au sein de l’industrie vinicole, elle répond en soupirant: «Ce n’est pas nouveau: les femmes font partie de cette culture depuis des centaines d’années. Je trouve démoralisant de continuer d’en parler. En 20 ans de carrière, pour moi, l’important n’est pas de savoir qui fait le vin, mais ce qu’il y a dans le verre.»
Elle s’anime en revanche en parlant du rôle de Jancis Robinson, autrice d’Oxford Companion to Wine, qui a été choisie comme la critique de vin la plus influente du monde dans des sondages en Europe et en Amérique (n’en déplaise à ces messieurs). «Je pense que les gens boivent moins et mieux, ce qui ne veut pas nécessairement dire qu’ils paient plus cher. Pas besoin de dépenser beaucoup pour une bouteille; il suffit de comprendre le vin. C’est pourquoi les critiques ont toujours leur place.» Bien qu’elle jouisse d’une aura médiatique, Carolyn rappelle que le métier de critique souffre du déclin actuel du journalisme et que les occasions de le pratiquer se font de plus en plus rares. «Je ne suis pas convaincue que les jeunes trouveront facilement à percer sur le marché dans cinq ans. Même dans les médias sociaux, les voix se multiplient et il faut avoir acquis beaucoup de crédibilité pour arriver à y gagner sa vie.»
Carolyn Evans Hammond
Être maître du vin
Barbara Philip est une gestionnaire de catégories pour BC Liquor Stores qui peut se targuer de posséder le prestigieux titre de Master of Wine, un fait d’armes peu banal, car elle est la seule Canadienne à détenir ce diplôme parmi les 413 professionnels qui en possèdent un dans le monde. Pas étonnant qu’elle agisse aussi à ce titre pour des compétitions internationales, telles que les Decanter World Wine Awards.
Ces différents atouts lui ont permis de suivre l’évolution du vin canadien sur la scène internationale, et cette évolution la remplit de fierté: «Voilà 10 ans, les gens étaient surpris d’apprendre que le Canada faisait autre chose que du vin de glace. Aujourd’hui, les curieux se pressent à nos tables de dégustation dans les foires et les concours.» Elle explique que le monde voit le Canada comme un pays qui produit de petites quantités de vins d’une très grande qualité; d’où le défi que représente l’expansion du vignoble canadien de demain. La Colombie-Britannique vient d’ailleurs d’ajouter six sous-sous-appellations, et les vignerons de cette province s’intéressent aux vins pétillants, qui sont l’un des fleurons de la Nouvelle-Écosse, à l’autre bout du pays. «Ici, en Colombie-Britannique, nous avons une grande diversité de terroirs: des coins presque désertiques au sud et en altitude vers le nord, des parcelles près de lacs et des vignobles de pinot noir sur l’Île de Vancouver.»
Quant au rôle des femmes dans la culture vinicole au pays, Barbara Philip admet que «les statistiques indiquent qu’il n’y a pas nécessairement un grand nombre de femmes dans les vignobles canadiens, mais qu’elles y jouent un rôle névralgique et sont très présentes en sommellerie et en commercialisation. Tous les acheteurs de la BC Liquor Stores sont des femmes qui gèrent un budget de plusieurs centaines de millions de dollars. J’ai longtemps été la seule femme juge dans les concours, mais plus maintenant. En Europe, je vois de plus en plus de vignobles repris par la fille, et non le fils, du vigneron. Le modèle change.»
Cela dit, le réchauffement climatique inquiète en Colombie-Britannique comme partout ailleurs: «Parfois, on me pose des questions assez simplistes, du genre: “Le climat se réchauffe; ça doit être bon pour le Canada?” Dans la vallée de l’Okanagan, nous frappons déjà les 40 degrés Celcius en été; nous n’avons pas besoin que ça soit encore plus extrême. Ça semble pire en Europe parce que la réputation des vins européens est bâtie sur de grands cépages, qui sont maintenant en danger…»
Pour elle, l’avenir de la Colombie-Britannique passe par un regain de confiance dans l’unicité de ses vins, qui ne feront que s’améliorer au cours des 10 ou 15 prochaines années. «Je pense aux pinots blancs herbacés de l’Okanagan, avec leurs arômes de pêche et de sauge; ils sont exceptionnels! Le Canada n’a plus besoin de se comparer aux vins de la vallée de Napa ou à ceux de la France.»
Barbara Philip
Une vigneronne pleine de bonhomie
Nathalie Bonhomme appartient à la classe des rares expatriés canadiens qui se sont taillé une place sur la «planète vin». Cette vigneronne et productrice de crus espagnols possède son propre vignoble, le Domaine du Tix, dans le Vaucluse, en France. «Un dernier rêve enfin réalisé», confie-t-elle. Fervente de voyages, Nathalie Bonhomme a quitté le Québec à 19 ans pour aller vivre en Angleterre, où elle a suivi ses premiers cours sur le vin, avant de devenir traiteur en Afrique du Sud, puis de s’installer en Espagne dans les années 1990. Rapidement, elle sillonne ce pays en autobus pour piquer un brin de jasette avec les propriétaires terriens. Le système de coopératives espagnol joue en sa faveur et elle réussit à convaincre les viticulteurs de lui confier leurs récoltes pour l’élaboration de vins. «J’étais une femme blanche, blonde, grande, qui ne parlait pas un mot d’espagnol. On me considérait comme exotique! C’était une question de timing. J’étais là au bon moment; alors, je suis rentrée dans le tas», révèle-t-elle en riant de ses premiers pas dans un fief d’hommes. «À l’époque, il n’existait aucun cours d’œnologie en Espagne; les futurs vignerons devaient s’exiler à Montpellier ou à Bordeaux pour faire leurs classes. Parler français m’a donné un coup de pouce.»
Quand Nathalie Bonhomme retourne au Québec, en 1996, pour présenter ses premiers crus, la magie n’opère pas aussi vite: «J’ai dû passer par la porte arrière, cogner aux succursales de la SAQ en région, parce que je n’arrivais pas à convaincre les bonzes du siège social de la société d’État.» Il lui arrive même de cuisiner de la paella, sa carte de visite. «Ça faisait tellement pitié que les gens achetaient mon vin», dit-elle aujourd’hui en rigolant. N’empêche, quelques années plus tard, elle peut se vanter de produire jusqu’à 15 % de tous les vins espagnols vendus au Québec, où la maison catalane Torres domine à ce moment-là. Le Québec demeure toujours son marché de prédilection: «Nous sommes présents des Prairies jusqu’en Colombie-Britannique. J’adore les provinces de l’Ouest et elles me le rendent bien. Mais rien à faire en Ontario, où les vins étrangers doivent dépenser sans bon sens en promotion pour obtenir une présence sur les tablettes; alors, j’ai abandonné.»
Aujourd’hui, elle planche sur son premier vin sans alcool. «Ce ne sera pas de la piquette, mais du vrai bon vin, pour les gens qui préfèrent le sans alcool par principe, ou pour les diabétiques et les femmes enceintes.» Bien qu’une certaine génération montante la laisse parfois pantoise par son manque de connaissances sur le terrain, elle s’émerveille en contrepartie de l’audace des millénariaux: «J’en connais qui font pousser des légumes dans les rivières en Gaspésie! C’est à eux de jouer maintenant», conclut-elle, un sourire dans la voix.
Nathalie Bonhomme
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