UNE BATAILLE GAGNÉE ET UNE GUERRE QUI NE FAIT QUE COMMENCER

Alors que nous soulignons le centenaire du droit de vote des femmes aux élections fédérales, il est de notre devoir de mettre en lumière certaines vérités moins reluisantes qui se cachent derrière ce jalon de notre histoire. ROSEMARY COUNTER lève le voile sur une lutte qui est loin d’être terminée.

Il est dans la nature humaine de raconter des histoires, de créer des mythologies, de célébrer. Dès l’école primaire, on nous a inculqué un récit familier que plusieurs d’entre nous connaissons encore aujourd’hui : alors que la Première Guerre mondiale tirait à sa fin, même les éléments les plus conservateurs du gouvernement du premier ministre Robert Borden ne pouvaient plus fermer les yeux devant le fervent effort de guerre fourni par les femmes canadiennes. Elles avaient pris la place des hommes sur le marché du travail, excellant dans des domaines aussi variés que la machinerie, l’ingénierie et l’agriculture, et n’étaient pas près de réintégrer sagement leur foyer sans qu’on reconnaisse leurs efforts. « Les femmes bien ne veulent pas voter! », criaient leurs détracteurs. Et pourtant, des femmes telles que la célèbre militante Nellie McClung et ses consœurs, les Célèbres cinq, ont persisté dans leur lutte. C’est le 24 mai 1918 qu’ensemble, solidaires, elles ont gagné la bataille pour le droit des femmes de voter aux élections fédérales. Fin de l’histoire.

Enfin, pas tout à fait. En réalité, seules certaines femmes ont obtenu l’émancipation politique ce jour-là. Le droit de vote des femmes était soumis à certaines stipulations – liées à l’origine ethnique et à la propriété foncière – qui en excluaient plusieurs. Voter était un privilège réservé aux gens « civilisés », et le christianisme, le nationalisme et l’eugénisme ont marqué le mouvement des suffragettes de manière indéniable et parfois gênante.  

En examinant de plus près l’histoire du droit de vote des femmes au Canada, on remarque que beaucoup des événements qui l’ont jalonnée méritent de plus amples explications. Le 24 mai 1918, que nous avons marqué d’une pierre blanche, s’insère en fait dans une longue lutte ayant débuté des décennies auparavant et qui se poursuit encore aujourd’hui. Cent ans plus tard, les femmes canadiennes sont amenées à réfléchir à ce que l’obtention du droit de vote signifiait pour les femmes de l’époque et à ce que signifie ce droit aujourd’hui. Tandis que nous rassemblons les différentes pièces du casse-tête afin de reconstituer l’histoire, nous n’avons pas le choix de nous poser la question : y a-t-il matière à célébrer une date où le droit de vote n’a véritablement été accordé qu’à quelques-unes?

Cette question était au cœur des préoccupations des politicien.ne.s et des universitaires canadien.ne.s qui se sont rencontré.e.s en mai dernier pour discuter des conséquences de la victoire de 1918. La rencontre se déroulait sur le site de l’ancien Victoria Memorial Museum (aujourd’hui le Musée canadien de la nature), à Ottawa – l’endroit même où a été adoptée la Loi ayant pour objet de conférer le droit de suffrage aux femmes. Sur le panel réuni à Ottawa siégeait Jane Hilderman, directrice générale du Samara Centre for Democracy, un groupe de réflexion non partisan. Elle explique : « Nous sommes porté.e.s à vouloir désigner une date pour célébrer, à identifier un moment historique, mais si on prend le temps de s’attarder à l’histoire du mouvement pour le suffrage des femmes, on réalise qu’il est composé de plusieurs moments qui se sont succédé jusqu’à cette date, et d’autres qui l’ont suivie. C’est une belle leçon d’humilité que de constater à quel point nous en savons peu. »

Cela dit, les noms des militantes méritent sans aucun doute qu’on les commémore. Les Célèbres cinq, dont faisait partie McClung, sont perçues par plusieurs comme les visages du mouvement pour les droits des femmes au Canada (bien qu’elles ne soient devenues « célèbres » qu’en 1929, alors qu’elles militaient auprès de la Cour suprême du Canada afin que les femmes soient reconnues comme des « personnes » à part entière au sens de la loi). Toutefois, de nombreuses autres femmes, moins largement connues, ont marqué ce mouvement. Mary Ann Shadd Cary était l’une d’elles. Enseignante issue d’une famille noire du Delaware, elle a immigré au Canada en 1851. Deux ans plus tard, elle devenait la première femme à occuper le poste d’éditrice au Canada en fondant le journal anti-esclavagiste Provincial Freeman, un hebdomadaire qui traitait des droits des femmes, d’abolitionnisme et de désobéissance civile. C’était 60 ans avant la naissance du mouvement tel que nous le connaissons.

Il y a également eu Flora MacDonald Denison, une couturière de Toronto devenue journaliste, qui a été l’une des plus influentes commentatrices du mouvement des suffragettes. (« Ne vous enflez pas la tête », lui intimait l’une des nombreuses lettres haineuses qu’elle a reçues à l’époque.) Denison a été nommée présidente de la Canadian Suffrage Organization en 1911. Elle a manifesté à Washington en 1913 et à Queen’s Park en 1916 afin d’obtenir le droit de vote provincial. Peu de temps après, atteinte de la grippe espagnole et de pneumonie, elle s’est éteinte pour être ensuite pratiquement oubliée.

Sur la côte ouest, Helena Gutteridge était une immigrante britannique issue de la classe ouvrière dont la pensée féministe était teintée par la lutte pour le droit de vote, le socialisme, l’appartenance au mouvement ouvrier et les droits des personnes sans emploi. Parce qu’elle était une femme, le mouvement ouvrier de Vancouver l’a maintenue à distance; parce qu’elle était issue de la classe ouvrière, les suffragettes ne l’ont pas accueillie parmi elles. Cent ans plus tard, en mars dernier, on a finalement inauguré une plaque commémorative honorant la mémoire de Gutteridge, la première femme à devenir conseillère municipale pour la Ville de Vancouver.

Il est navrant que le travail acharné de ces femmes et de nombreuses autres ait été effacé par le passage du temps, mais il ne faut pas se laisser gagner par le découragement : « Ces personnes ne sont jamais vraiment perdues – nous pouvons les retrouver », affirme Joan Sangster, auteure de One Hundred Years of Struggle. La parution de cet ouvrage, en mars 2018, avait été prévue pour célébrer le centenaire du droit de vote des femmes, mais l’historienne y raconte une histoire qui va bien au-delà de ce seul jalon : « Je veux montrer que la lutte s’est étirée sur de nombreuses années et a duré beaucoup plus longtemps que ce que nous avons pu imaginer par le passé », explique-t-elle. Aujourd’hui, les enseignant.e.s ne limitent pas le mouvement des suffragettes aux quelques années entourant la Première Guerre mondiale et ne le présentent plus comme le récit linéaire d’un petit groupe de femmes partageant les mêmes idées. 

En fait, les suffragettes étaient un groupe extrêmement diversifié sur les plans intellectuel et idéologique. « Le mouvement incluait des socialistes et des conservatrices, des militantes anti-alcool et des libertines, des impérialistes et des pacifistes », souligne Sangster. Elles voulaient toutes obtenir le droit de vote, mais pour des raisons tout à fait différentes. « Certaines voulaient accéder à la classe dominante, d’autres souhaitaient l’abolir. Certaines se réclamaient du caractère biologiquement et psychologiquement distinct de la femme, d’autres, de l’unité de l’espèce humaine et des points communs entre les hommes et les femmes… Certaines faisaient la promotion d’idées qui nous semblent aujourd’hui tout à fait contradictoires avec la pensée féministe, d’autres avaient des rêves utopiques d’égalité qui s’accordent mieux à notre vision moderne. » 

L’histoire ne nous permet pas de trier les vérités sur le volet. Lorsque des anniversaires comme celui-ci surviennent, il faut donc s’y intéresser de près et exercer notre esprit critique : « Nous avons l’occasion, aujourd’hui, d’enrichir ce récit historique en se demandant quels ont été les acteurs de ce mouvement, qui en a été écarté et pour quelles raisons », affirme Hilderman. Parmi celles ayant été exclues de la loi de 1918, on retrouve les femmes d’origines asiatique et autochtone, qui n’ont vu leurs droits reconnus qu’en 1949 et en 1960 respectivement.

« C’est un pan beaucoup plus sombre de l’histoire, que les Canadiens n’aiment pas aborder », souligne Melanee Thomas, professeure au Département de science politique de l’Université de Calgary. Bien qu’elles s’inscrivent mal dans l’esprit d’une célébration, nous nous devons de raconter et de prêter oreille à ces parties de notre histoire. « Cent ans plus tard, nous sommes encore à débattre de politiques raciales », affirme Thomas en allusion aux débats qui font les manchettes au sujet des « Canadiens de souche » et de l’immigration. « C’est un problème qui n’est pas chose du passé. »

Il ne s’agit pas de prétendre que nous avons tort de célébrer ce centenaire, qui a abattu une barrière importante. Aujourd’hui comme hier, « les avancées politiques demandent un travail acharné », note Thomas. Malgré les revers et les exclusions d’un mouvement imparfait, l’extension du droit de vote a été une victoire qui a permis à tou.te.s les Canadien.ne.s d’avancer – à petits pas – dans la bonne direction.

Alors que nous célébrons cet anniversaire, imaginons ensemble quel regard les suffragettes poseraient sur nous. « Certaines d’entre elles admireraient les progrès que nous avons accomplis, c’est certain. Elles se réjouiraient de nos nouvelles lois et de nos nouvelles approches face au marché du travail », affirme Sangster. « D’autres remarqueraient les mêmes problèmes qu’autrefois, tels que la violence faite aux femmes et l’iniquité salariale. » Elles constateraient que bien que le taux de vote chez les jeunes ait augmenté dans les dernières années, moins de six électeurs sur dix âgés de 18 à 24 ans se sont présentés aux urnes en 2015. Elles verraient un nombre record de femmes au Parlement, mais remarqueraient qu’elles n’occupent toujours qu’un quart des sièges à la Chambre des communes. Elles ne manqueraient pas de noter l’ironie qu’un tel anniversaire se superpose au mouvement #MoiAussi, rappelant que malgré un siècle de progrès gagnés à la sueur du front des femmes qui nous ont précédé.e.s, la bataille est encore loin d’être gagnée. 

Hyodo Shimizu

Illustration par Jenn Kitagawa

Née à Vancouver, Shimizu était militante et enseignante. Dans les années 1930, elle s’est battue pour le droit de vote des immigrant.e.s d’origine asiatique et de leurs enfants aux côtés de la Japanese Canadian Citizens’ League (un organisme qui rassemblait plusieurs immigrant.e.s de deuxième génération canado-japonais.e.s issu.e.s du milieu universitaire). 

 

Catharine Sutton

Illustration par Jenn Kitagawa

Sutton était une femme ojibwé qui a fait pression sur le gouvernement canadien et, plus tard, sur la reine Victoria afin que cessent les mesures assimilationnistes et sexistes qui empêchaient les personnes autochtones de posséder des terres et de faire respecter leurs traditions tout en se prévalant de leur droit de vote aux élections fédérales. 

 

Dr. Emily Howard Stone

Illustration par Jenn Kitagawa

En tant que militante pour les droits des femmes et l’une des premières femmes médecins à pratiquer au Canada, Stowe était d’avis que le droit de vote permettrait aux femmes d’accéder à une meilleure éducation et à une meilleure situation professionnelle. Elle a fondé le Toronto Women’s Literary Club en 1876 (qui deviendra plus tard la Canadian Women’s Suffrage Association) afin de lutter pour une éducation supérieure plus accessible et pour de meilleures conditions de travail pour les femmes.

 

EN BREF

Un survol du droit de vote, hier et aujourd’hui par Tina Anson Mine

« N’AVONS-NOUS PAS UN CERVEAU POUR RÉFLÉCHIR? DES MAINS POUR TRAVAILLER? UN CŒUR POUR AIMER? N’AVONS-NOUS PAS DES VIES À VIVRE? NE JOUONS-NOUS PAS NOTRE RÔLE DE CITOYENNES? NE CONTRIBUONS-NOUS PAS À LA CONSTRUCTION DE L’EMPIRE? DONNEZ-NOUS NOTRE DÛ! » 

-Nellie McClung

« JE NE VEUX ÊTRE UN ANGE EN AUCUN FOYER; JE VEUX POUR MOI-MÊME CE QUE JE DÉSIRE POUR TOUTES LES AUTRES FEMMES : L’ÉGALITÉ ABSOLUE. ET UNE FOIS QU’ELLE SERA ACQUISE, LES HOMMES ET LES FEMMES POURRONT, TOUR À TOUR, ÊTRE DES ANGES. » 

-Agnes Macphail, première femme à siéger au Parlement du Canada, élue en 1921

« LE DROIT DE VOTE EST L’UN DES GRANDS PRIVILÈGES D’UNE SOCIÉTÉ DÉMOCRATIQUE. APRÈS TOUT, C’EST LE PEUPLE, ET NON LE SONDAGE GALLUP, QUI DÉTERMINE À QUI SERA CONFIÉE LA GOUVERNANCE DES AFFAIRES PUBLIQUES. »  

-John G. Diefenbaker, ancien Premier ministre du Canada, qui a mis fin à l’exigence pour les personnes autochtones de renoncer à leur statut d’indien afin de pouvoir voter, le 15 juin 1962

« NOUS DEVONS OUVRIR LES PORTES ET NOUS ASSURER QU’ELLES DEMEURENT OUVERTES AFIN QUE D’AUTRES QUE NOUS PUISSENT LES FRANCHIR. »

-Rosemary Brown, la première femme noire canadienne à être élue à un Parlement provincial (Assemblée législative de la Colombie-Britannique, 1972)


68% : Pourcentage de femmes ayant exercé leur droit de vote en 2015 lors de l’élection fédérale, comparativement à 64% des hommes.

65 À 74 ANS : Tranche d’âge affichant le plus haut taux de participation chez les électrices canadiennes. Lors des élections fédérales de 2015, 78,6% des femmes de cet âge ont exercé leur droit de vote. Les 18-24 ans affichaient quant à eux le plus faible taux de participation.

93 : Nombre d’années séparant la première élection fédérale, en 1867, et celle de 1960, lors de laquelle les personnes autochtones ont pu exercer leur droit de vote sans renoncer à leurs terres ou à leur statut d’Indien.

88 : Nombre de femmes élues lors de l’élection fédérale de 2015.  

26% : Pourcentage des 338 sièges de la Chambre des communes à être occupés par des femmes à l’issue de l’élection fédérale de 2015.  

AVANT LE SCRUTIN

Un siècle après que les premières femmes canadiennes ont connu l’émancipation politique au niveau fédéral, l’écrivaine anichinabée RILEY YESNO, comme beaucoup d’autres Autochtones, se questionne sur le choix d’exercer son droit de vote.

« Voter ou ne pas voter? »

Plusieurs personnes issues de communautés autochtones peinent à répondre à cette question – et j’en fais partie. Lors de la plus récente élection provinciale en Ontario, la première depuis que je suis en âge de voter, j’ai hésité à exprimer mon vote jusqu’à la dernière minute. Durant les mois qui ont précédé l’élection, j’ai effectué des recherches et me suis penchée sur la question. Puis, alors que je me tenais devant l’urne au centre communautaire de mon quartier, j’ai dû prendre une décision.

L’héritage de générations de femmes qui m’ont précédée pesait lourd sur ma conscience. J’ai songé aux suffragettes et aux luttes acharnées qu’elles avaient menées pour que je puisse exercer mon droit. Je me suis rappelé que les femmes, en Ontario, n’avaient obtenu le droit de vote qu’en 1917 et que 2018 marquait le centenaire du droit de vote des femmes aux élections fédérales – bien que les personnes autochtones n’aient pu faire valoir le même droit qu’aux dépens de leur statut d’Indien jusqu’en 1960. (Les personnes inuites, elles, ont obtenu l’émancipation politique en 1950, bien qu’elles n’aient eu accès à des boîtes de scrutin dans les territoires du Nord qu’en 1962.) Ne pas voter me semblait être une insulte au mouvement pour les droits des femmes et une démonstration d’ignorance envers notre histoire. J’ai aussi songé à la ceinture de wampum à deux rangs et à l’importance de la souveraineté autochtone. Le Traité du wampum à deux rangs de 1613 montre bien pourquoi certains considèrent comme problématique le fait de participer à une élection canadienne. La ceinture est composée de deux rangs de billes violettes sur un fond blanc. Le premier rang représente le navire européen et le second, le canot des Premières Nations. C’est un symbole de respect et de paix qui représentait l’existence de deux systèmes parallèles, celui des Européens et celui des Premières Nations, qui s’engageaient à coexister sans que l’un des deux groupes n’interfère dans les processus de gouvernance et les modes de vie de l’autre. Le Canada a lamentablement échoué à respecter ce traité.

Bien que chacun ait sa propre plateforme et ses propres promesses, je crois qu’aucun parti politique canadien ne se préoccupe véritablement des besoins des communautés autochtones. À cet égard, je soutiens ceux et celles qui choisissent de s’abstenir lors des élections. Participer au vote dans le système actuel, c’est perpétuer le colonialisme qui a causé tant de torts à mon peuple.

D’autres personnes autochtones, toutefois, perçoivent le vote de manière différente. Plusieurs y voient une possibilité de faire entendre notre voix collective afin d’influencer les décisions politiques, un outil nous permettant d’assurer un avenir meilleur pour nos communautés.

En considérant chacune de ces perspectives, j’ai dû me poser certaines questions difficiles. Puis-je accepter de participer à un système à la fois si problématique et si durement acquis? Une abstention est-elle une forme de protestation ou est-ce, au contraire, accepter que d’autres décideront du sort de ma communauté, pour le meilleur ou pour le pire? 

Le moment venu, j’ai décidé d’exercer mon droit de vote. Je ne l’ai pas fait en dépit de la responsabilité que je ressentais de respecter la souveraineté autochtone, ni à cause du poids de l’histoire qui pesait sur mes épaules. Je l’ai fait parce que sur mon bulletin de vote, je voyais plus que des noms et des partis. Je voyais l’avenir de notre territoire et de l’environnement, la subsistance des plus vulnérables, le sort des prochaines générations. J’ai choisi de voir mon vote comme un acte qui permettrait de réduire les dommages, une tentative infime et imparfaite de lutter en choisissant la meilleure option disponible afin d’assurer la qualité de vie de mes concitoyen.ne.s, particulièrement ceux et celles qui sont moins privilégié.e.s que moi.

Toutefois, je continue de croire que les voix des Autochtones qui s’opposent au vote sont nécessaires et importantes. La protestation et la résistance face aux systèmes avec lesquels nous sommes en désaccord sont souvent les seuls moyens d’encourager le changement. Pour emprunter les mots de l’écrivaine féministe américaine Audre Lorde, je sais bien que « les outils du maître ne serviront jamais à démanteler la maison du maître ».

Ma première élection a été difficile sur les plans personnel, moral et éthique. Je ne suis toujours pas certaine d’avoir pris la bonne décision, et je ne sais pas si je participerai aux prochaines élections. Toutefois, je suis convaincue que ces conversations, aussi difficiles soient-elles, sont essentielles, particulièrement lorsque vient le moment de commémorer des événements historiques tels que le centenaire du droit de vote des femmes aux élections fédérales. Le changement ne survient jamais dans le silence. Si nous voulons que ce pays change de manière radicale, qu’il accepte et respecte la souveraineté des peuples autochtones, nous devons continuer de mettre en question l’état des choses et d’en débattre.

Mary Ann Shadd Cary

 Illustration par Jenn Kitagawa

 Shadd Cary, qui a longtemps emprunté le pseudonyme M.A. Shadd afin de masquer son identité féminine, a été la première femme noire à occuper les fonctions d’éditrice en Amérique du Nord. L’hebdomadaire Provincial Freeman (publié à Toronto et à Windsor, en Ontario) s’intéressait aux inégalités raciales et au droit de vote des femmes, et informait ses lecteurs au sujet des rencontres de suffragettes se tenant au Canada et aux États-Unis. 

 

UNE PAGE DE NOTRE HISTOIRE

Dessin du Daily Telegraph

Rappelant la controversée statue Fearless Girl affrontant le taureau de Wall Street, dans le Financial District de New York, cette illustration a été publiée en 1913 alors que le mouvement pour le droit de vote des femmes battait son plein. Les suffragettes canadiennes étaient alors pleines d’espoir : des pique-niques, des rencontres, des pétitions et des simulations parlementaires s’organisaient partout au pays. L’émancipation politique n’était plus exclusivement l’affaire de quelques privilégiées vivant en milieu urbain; les femmes issues de la classe ouvrière et des milieux ruraux se joignaient au mouvement, prêtes, elles aussi, à remodeler le paysage politique canadien. Cette illustration montre des hommes apeurés par la force montante que représente le mouvement pour le droit de vote des femmes. L’utilisation d’une jeune fille afin de représenter les femmes canadiennes est délibérée : elle symbolise la vertu et la réforme morale d’un système politique dominé par les hommes.