Style de vie
Janette Bertrand : un siècle de vérité
Janette Bertrand est, à mon avis, la personne la plus importante que le Québec ait jamais connue.
par : Judith Lussier- 15 août 2024
Marie H Rainville
Je m’assois avec une femme, à l’aube de ses 100 ans, qui a profondément amélioré notre société, en espérant mieux comprendre comment on fait pour changer le monde et toucher si profondément le cœur des gens.
Janette Bertrand a un agenda qui intimiderait un premier ministre. Pour réussir à lui voler quelques minutes afin de m’entretenir avec elle, j’ai dû me faufiler au studio où avait lieu la séance photo de la couverture. C’est qu’elle doit tout faire entrer dans son horaire avant de partir à son chalet du lac Sawin pour un peu de repos bien mérité. Je lui pose des questions pendant qu’elle déguste un biscuit au chocolat avant de se rendre à une autre rencontre.
À 99 ans, comment peut-on avoir un agenda aussi chargé? «J’ai toujours plein de projets en cours. En ce moment, je suis notamment impliquée dans la Fondation Institut de gériatrie de Montréal [NDLR: avec le projet Les aînés, en manque de modèles]. Je suis devenue un modèle de vieillesse et grâce à ce projet, je reçois des lettres de vieux qui veulent, eux aussi, inspirer les autres!» Ne vous attendez pas à ce que Janette parle d’aînés ou de personnes du troisième âge. Ce n’est pas par manque de sensibilité; c’est parce qu’elle déteste les euphémismes. «On est vieux! C’est un fait!», dit Janette avec la légitimité de celle qui fait partie des doyennes du Québec.
Cette idée d’être un modèle pour ses pairs lui est venue pendant la pandémie. «Les vieux sont souvent oubliés. Même moi, au plus fort de la crise sanitaire, je disais à Donald [NDLR: son jeune chum de 80 ans]: “S’il m’arrive quelque chose, ne m’emmène pas à l’urgence, laisse ma place aux plus jeunes!”» Mais Janette ne s’est pas laissé aller à la déprime trop longtemps, car elle avait conscience que sa parole et son travail pouvaient encore être utiles. Depuis, elle s’engage bénévolement dans ce projet qui occupe beaucoup de son temps: «Je lis toutes les lettres et je participe à plusieurs capsules. Ça marche très fort!» Si ça fonctionne à ce point, c’est que de nombreuses personnes craignent la vieillesse et, parmi ses écueils, la démence. «Mais nous sommes nombreux à être vieux et à avoir toute notre tête. Ça se peut!»
Janette donne envie d’être vieille. Comme elle. Probablement parce qu’elle s’assume. Lorsqu’elle a pris la pose récemment pour la promotion de l’émission radiophonique Il restera toujours la culture, elle n’a pas eu l’orgueil de demander d’exclure son fauteuil roulant du portrait. Je me serais attendue à ce qu’une femme fière rechigne à afficher ce signe de vieillesse. «C’est le fauteuil qui me transporte, dit-elle. Faut bien que je l’assume!» C’est autre chose lorsqu’elle remarque les signes de sagesse qui sillonnent son visage, alors que la photographe lui montre les clichés qui feront peut-être partie de la sélection finale. Je la vois grimacer. «Mes rides, ça me choque plus, parce que j’oublie que j’ai ce visage-là. Dans ma tête, j’ai encore 20 ans.»
La recette de Janette
Être un modèle n’est pas nouveau pour Janette. Elle a été un exemple pour les femmes tout au long de sa carrière. Elle a pratiquement inventé la conciliation famille-travail lorsqu’elle enregistrait chez elle une émission de radio pour CKAC. À l’époque, elle convainc les patrons d’installer un studio dans sa cuisine, en prétextant qu’elle veut donner un caractère intime à l’émission, ce qui n’avait jamais été fait auparavant. Dans les faits, c’est surtout parce qu’elle voulait être à la maison le midi pour pouvoir faire manger ses enfants. Janette cuisine à la radio pendant que son mari, Jean Lajeunesse, explique la vie politique aux ménagères. Aujourd’hui, on dirait qu’il fait du mansplaining. Janette est convaincue que les mères au foyer sont avides des connaissances qui étaient alors réservées aux hommes. Et elle a raison. Mais comme on peut difficilement sortir les femmes de la cuisine, l’émission produit un effet indirect: la parution d’un livre de recettes.
C’est une petite révolution (une parmi d’autres que lancera Janette) dans le domaine. Dans les années 1970, les livres de recettes sont des «répertoires». Des guides pratiques sur la cuisine, sans plus. Les recettes de Janette, c’est le premier livre de cuisine de type lifestyle: les recettes d’une femme qui travaille pour les femmes qui travaillent. Et les Québécoises veulent (presque) toutes imiter Janette. Elle a une proximité unique avec le public, qui fait rêver les personnalités médiatiques, mais que très peu d’entre elles atteignent. Tout au long de notre rencontre, je n’ai pas le sentiment de m’adresser à une personne âgée vaguement familière. J’ai l’impression de carrément passer du temps avec MA grand-mère. Janette a toujours fait partie de ma vie. De nos vies.
Janette aurait-elle été Janette si elle avait grandi dans le quartier cossu d’Outremont plutôt que dans le Centre-Sud de Montréal? Rien n’est moins sûr. Toujours à l’affût des nouvelles réflexions, elle s’intéresse ces jours-ci au concept de transfuge de classe, après avoir lu le livre de l’heure sur le sujet: Rue Duplessis, ma petite noirceur, qu’elle a dévoré en quelques heures. Dans ce récit intimiste, à la fois roman et essai, l’auteur, Jean-Philippe Pleau, aborde la réalité de ceux qui passent d’une classe sociale à une autre, avec les défis que ça comporte. «C’est ma vie, ça! Mes parents n’étaient pas analphabètes, mais je viens d’un milieu populaire et je pense que ç’a teinté tout mon parcours.»
«Le succès de mon courrier du cœur, je pense qu’il a découlé du fait que je ne jugeais pas les gens. Je venais de la même place qu’eux.»
Les missives du cœur
Elle constate rapidement sa «différence» lorsqu’elle réussit à s’inscrire à l’université. Ses camarades — essentiellement des hommes — viennent des quartiers bourgeois, écoutent de la musique classique, et quand ils offrent de venir reconduire Janette chez elle, elle fait son indépendante. «Je ne voulais pas qu’ils se rendent jusque chez moi, dans l’Est, et qu’ils voient où j’habite!»
«Je n’aurais pas connecté autant avec le public si j’étais venue d’un milieu privilégié», croit-elle. Et ce lien avec les gens se concrétise très tôt dans sa carrière. «Le succès de mon courrier du cœur, je pense qu’il a découlé du fait que je ne jugeais pas les gens. Je venais de la même place qu’eux.» À l’époque, les missives que Janette reçoit sont lourdes de secrets. Un homosexuel qui envisage le suicide, une jeune fille qui a des pensées «impures»… Janette avait beaucoup de pain sur la planche.
Elle a d’abord refusé le mandat. «J’étais jeune, je ne connaissais rien et je détestais les courriers du cœur!» Ce n’est pas, comme la plupart des gens de cette époque, par mépris de ce format populaire. «Je trouvais juste ça plate. Il n’y avait jamais de vraie réponse. C’était toujours très général, du genre “La vie est ainsi faite”. Pour alimenter sa réflexion, le directeur du Petit Journal lui confie une boîte remplie de lettres. «J’ai été tellement frappée par le malheur des gens. Je recevais toutes les questions avec lesquelles ils ne pouvaient pas aller à confesse.» Des questions que sa prédécesseure n’osait souvent pas publier tellement elles s’éloignaient des bonnes mœurs. Janette accepte la chronique à une condition: pouvoir choisir elle-même les lettres qui seraient retenues et les éditer elles-mêmes. «Je voulais garder l’essentiel de leurs propos. J’y allais plus raide. Je ne tournais pas autour du pot.» […]
Pour lire l’intégralité de l’entrevue, procurez-vous le magazine ELLE Québec en kiosque le 15 août.
ELLE QUÉBEC — SEPTEMBRE 2024
Marie H RainvillePhotographie Marie H Rainville Stylisme Vanessa Giroux Maquillage Jacques Lee Pelletier Coiffure Michel Desormeaux Production Joanna Fox, Laurie Dupont, Anne-Sophie Perreault Assistante à la production Mélissandre Lurette Assistant à la photographie Alex Palomares Assistant au stylisme Hugues Quenneville Bergevin
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