Le manque de pluie a assoiffé la pelouse, et les brins d’herbe rêches s’impriment dans la chair. Nous sommes-là, dans l’une des rares taches d’ombre d’un parc de Rosemont où Sarah-Jeanne a l’habitude d’apprendre ses textes des Belles histoires des Pays-d’en-Haut. Vêtue d’un mom jean, d’un polo rayé lavande et prune, et munie d’un sac banane, elle est dans son élément. «On est chanceux de faire cette job-là. On dirait qu’on est en vacances.»

Je ne le lui dis pas, mais je suis dans un autre état d’esprit. Je me suis donné pour mission d’entrevoir une Sarah-Jeanne Labrosse plus contrastée que la fille parfaitement équilibrée – et dont le jupon ne dépasse jamais – qu’on a l’habitude de voir sur les plateaux de télé. Vrai. Elle ne fait pas les choux gras de la presse, ne parle pas publiquement de sa vie sentimentale et évite systématiquement de dévoiler ses états d’âme aux journalistes. Mais j’y vais doucement.

«Ça te stresse pas, toi, les entrevues?» Son rire rauque s’égraine: «Ce sont des questions sur moi. Normalement, je devrais avoir les réponses!» Elle les aura toutes en effet. À commencer par la réponse à la question de la performance. Conjuguer les tournages des Belles histoires, de Révolution, être associée à des marques comme Lise Watier, Frank and Oak et BonLook, animer des galas, être engagée auprès d’organismes comme Tel-Jeunes, ça doit faire monter la tension, non? «Je fonctionne bien sous pression. Même que quand il n’y en a pas, ça me déstabilise, alors, je m’en mets. Une bonne pression, ça amène plus loin.» Et ce qui permet à l’ancienne tenniswoman de haut niveau de dominer le jeu, c’est l’entraînement.  «Au fond, les seuls moments où il y a trop de pression, c’est quand on n’est pas assez préparé.»

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Crédit: Royal Gilbert

L’actrice a une présence d’une qualité exceptionnelle. Les silences suivent les points d’interrogation. Ses réponses sont généreuses et précises. «Et pour ce qui est de la pression de paraître, je m’en fous vraiment. Je suis dans une année de ma vie où je ne suis pas concentrée là-dessus pantoute. Je suis plus dans “la pression d’être”… d’être entière, je veux dire.» Quand elle parle, elle n’a pas peur de plonger son regard dans celui de son interlocuteur, de montrer un visage presque nu – elle porte un fond de teint diaphane et peut-être une couche de mascara – et les cheveux flous «de Donalda» dixit Sarah-Jeanne. «Le paraître, je let go. Je ne me demande pas si les gens vont trouver ma face ou mon corps à la hauteur de leurs attentes. Je n’ai pas envie de me mettre ces limites-là, parce que j’ai l’impression que si je me les mets, les autres aussi vont me les mettre. Et ça ne me tente pas de nourrir ça, parce que je vais vieillir et que je vais être la première à être coincée et mal psychologiquement si je tombe dans cette spirale-là.»

Je lui dis qu’à son âge – elle a eu 28 ans en août dernier –, elle pourrait donner des leçons d’acceptation de soi à ses contemporaines. Elle se défend. «Ça ne veut pas dire que ça va toujours être comme ça. Je suis encore jeune, et c’est le combat d’une vie, de s’accepter. Quand la face va commencer à me tomber, je vais peut-être dire “fuck”, j’aime pas ça. Je n’y échapperai pas, mais je préfère nourrir mon esprit plutôt que le désir d’être belle.» Cela dit, elle est bien consciente des raisons pour lesquelles elle a été choisie pour être l’égérie de Lise Watier. «Je sais que je corresponds à certains standards de beauté, mais ce n’est pas ce qui m’intéresse, ni chez moi ni chez les autres. J’aime les gens qui s’intéressent à eux-mêmes. Qui se comprennent, qui se questionnent. Qui se développent et qui me surprennent. Je les trouve beaux quand ils sont bien dans leur peau.»

Oser être multiple

Des rayons percent le canopée, la sueur perle, les enfants crient. Et le temps passe inaperçu. Sarah-Jeanne sirote un café glacé sans regarder l’heure une seule fois. Quelles peuvent bien être les priorités dans la vie de cette femme-orchestre, adepte de la rénovation et du design autant que du jeu? «Ma priorité, c’est de trouver un équilibre entre ma liberté artistique en tant qu’actrice et mon côté entrepreneur. J’essaie de me définir dans les deux sphères, et que ça ne dérange personne que je fasse tout ça.»

Je me dis, voilà un fil de jupon sur lequel tirer. Est-ce que ça dérange vraiment quelqu’un qu’elle s’adonne à ses passions? «Ça confronte les gens qui voudraient être multiples mais qui n’osent pas. On a appris à préférer ceux prennent une direction claire. Mais moi, je ne suis pas indécise! Chacun de mes projets, je veux les faire! Et si, à un moment donné, mon propre milieu ne m’accepte pas parce que je fais du linge et que je joue, je vais trouver mon bonheur autrement!»

Ça semble impossible, mais la femme derrière la série de rénovation Passion poussière insiste: «Il se peut que ça arrive, il se peut que, pour certains créateurs, le fait que je fasse autre chose, ça m’enlève du mystère.» J’évoque Charlize Theron et Nicole Kidman, qui collaborent respectivement avec Dior et Chanel. Les exemples de personnalités associées à des marques pullulent, et ça ne semble pas entacher leur curriculum. «Je suis de ton avis, et je le teste en ce moment mais, si ça ne marche pas, je vais être déçue de mon milieu. Je vais quand même faire mon chemin. Je ne suis pas inquiète.»

Perdre pour gagner

On a beau chercher, difficile de trouver la faille, le point de bascule chez cette jeune femme. Les racines de la confiance en soi y sont profondes. Elles puisent dans un sol riche: «Je n’ai pas vraiment peur de l’échec. C’est quoi, un échec? Qu’un film ne marche pas? Ce n’est pas si risqué; alors, j’ai confiance. Que je ne sois pas bonne dans un rôle? Je vais essayer de m’améliorer. Je ne pense pas que je puisse me perdre en essayant et en me trompant. Au contraire.»

Visiblement, le mal du siècle qu’est l’anxiété ne l’a pas gagnée. Très sensible aux questions de santé mentale, elle bénit l’équilibre chimique de son propre cerveau et de ses gènes qui, selon elle, sont aussi responsables de l’ambition qui semble habiter chaque cellule de son être. «J’ai été élevée dans une grande confiance. J’ai la chance d’avoir une famille aimante et encourageante, qui m’a à la fois dit que tout était possible et à la fois montré qu’il fallait travailler pour ce qu’on voulait obtenir.»

Elle évoque les années passées sur le court de tennis avec ses frères. «Si t’es pas préparée pour un match, tu perds. Pour bâtir sa confiance, il faut travailler, il faut perdre, il faut gagner.» Et si un jour les projecteurs s’éteignent? «Quand tu fais un métier qui est incertain, il faut s’adapter au mouvement. Ça fait 10 ans que tout le monde me dit de prendre le succès pendant qu’il passe. Je comprends que, à un moment donné, ça s’arrête. Est-ce qu’il faut que j’y pense maintenant? Si je le fais, ça nuit au bonheur que j’éprouve en ce moment. Alors, je n’y penserai pas tout de suite, et je vais m’adapter le temps venu. Je verrai bien comment mon cœur prendra ça.»

Crédit: Royal Gilbert

S’appartenir

Je lui dis qu’elle devrait lancer une application de méditation pleine conscience. Encore ce rire merveilleux. J’ose cette fois. Je lui dis qu’elle semble tellement bien maîtriser la situation, et en tout temps. Elle hoche la tête: «C’est vrai. Dans toutes les sphères de ma vie, il y a une grosse part de contrôle. J’aime être en contrôle de… de ce qui sort sur moi! Je suis tellement dans l’œil du monde. Je veux m’appartenir aussi.» Légitime.

Elle a souvent déclaré aux journalistes qu’elle ne parlait pas de son cercle intime, pour préserver ceux qui n’avaient pas fait le choix d’être à l’avant-scène. Elle avoue cependant que ni ses frères, ni son ex ne se sont jamais soucié d’être vus ou pas sur son Instagram. Elle ouvre un peu plus grand la porte: «C’est aussi une façon de me protéger. Si je donne accès à ça, je donne accès à tout. J’en donne déjà beaucoup. Par exemple, on va parler pendant deux heures, toi et moi. Puis, on va se séparer, tu vas tout savoir de moi, et moi, je ne saurai rien de toi.» Lucide, Sarah-Jeanne fait donc le choix conscient de ne pas révéler un part de sa vie sur ses réseaux sociaux.  «Je sais très bien que si je mettais ma vie personnelle de l’avant, je serais encore plus populaire. Je sais comment faire pour que mon Instagram marche deux fois plus, et je ne le fais pas. Je pourrais montrer qui je «frenche» et ce que je fais tous les jours de ma vie, comme dans une téléréalité. Ça marcherait au boutte

Mais voilà. Elle craint, avec raison, les gros titres. «C’est dur! C’est beaucoup plus dur de ne pas mettre une photo [sur Instagram] que de la mettre. Et si un jour j’ai le goût de partager quelque chose et que je me sens armée pour tout ce qui vient avec, je le ferai!» Pour conclure cette belle leçon de respect de soi, elle explique qu’il est possible d’être soi-même sans tout révéler: «Je ne me sens pas mal, je suis complètement moi-même. C’est juste qu’il y a un 5 % que je ne mets pas à l’avant-scène. Je suis entière dans le reste, mais il y a des affaires qui sont privées.»

Avant de se lever, de traverser le parc, d’emprunter une petite allée et de disparaître dans une ruelle en pente, elle me parle du futur rapproché et de ce qui l’occupera cet automne. Il y a bien sûr les tournages de Révolution, des Belles histoires et son travail à la radio (Rouge FM) avec Les Fantastiques, mais quoi encore? «Je ne sais pas ce que mon automne me réserve d’autre, et j’aime ça. Dans la dernière année, mon corps m’a demandé de me calmer les nerfs. Les dates des projets auxquels je participais depuis des années se sont croisées. À un moment donné, je ne dormais plus. Même si j’étais rigoureuse et que je me couchais en arrivant à la maison, il n’y avait juste pas assez d’heures entre deux projets. Ce n’était pas possible. Il fallait que je le vive pour le «catcher». J’ai éprouvé une grosse fatigue physique et mentale. Ça a levé un flag, et je l’ai compris. Une belle fatigue, c’est nice, mais l’épuisement, c’est laid.»

Le soleil est toujours haut, et les sages paroles de l’actrice sont encore suspendues dans l’air dense. On consulte nos téléphones, machinalement. Elle rigole en posant ses yeux sur l’écran. Elle confie adorer l’astrologie depuis toujours. Un message de ce que l’alignement des planètes lui réserve parvient par le truchement d’une application: «Today is one of those days when it’s not even worth trying to make yourself understood.» [Aujourd’hui est l’une de ces journées où ça ne vaut même pas la peine d’essayer de faire comprendre qui vous êtes]. Et pourtant…

Ce qu’elle dit de…

Son compte Instagram
«J’adore les réseaux sociaux. Mon Instagram m’amuse, mais j’ai l’impression qu’il m’élève aussi… Ça dépend toujours de la personne que tu décides de suivre!»

Son féminisme
«Mon féminisme est partout. Je le partage et je le vis dans chaque microdétail et chaque décision. Ce n’est pas un féminisme sur la défensive. Je trouve ça plus payant.»

Sa dernière lecture
«Je n’ai pas le temps de lire beaucoup ces temps-ci, alors j’écoute des audiolivres. Le dernier était Text me when you get home. C’est un ouvrage [de Kayleen Shaefer] sur le girlpower, sur la façon de ne jamais tomber dans l’envie entre filles. C’est tellement important de se trouver belles, de s’aimer et de s’augmenter en tout! Il faut prendre soin des autres, de ses amitiés. Être là.»

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