La danse vit une forme d’âge d’or, étrangement catapultée par les contraintes de la pandémie, l’impossibilité pour les chorégraphes et les interprètes de se produire sur scène, devant un public présent en chair et en os. De Toronto à Montréal, en passant par la réserve autochtone de Wendake, des artistes en danse ont gagné l’admiration de millions d’abonnés sur TikTok pendant le confinement, au point de donner un souffle inattendu à leur carrière. 

Énola Bédard, une créatrice de contenu de la ville de Québec, que l’émission Révolution, diffusée sur les ondes de TVA, a révélée, est passée maître dans l’art de danser en public en surprenant les passants. Sa vidéo où on la voit bouger sur Chandelier, de Sia, un coup d’éclat tourné aux Galeries de la Capitale, a récolté pas moins de 2,3 millions de visionnements sur la plateforme de courtes vidéos. «C’est quand la pandémie est arrivée que j’ai commencé à produire des vidéos avec ma maman. Avant, j’étais à Los Angeles, où je m’entraînais, et j’ai dû revenir au Canada. Je n’étais pas capable de rester à ne rien faire en attendant que tout revienne à la normale. […] C’est bizarre, compte tenu du contexte, mais en un an, ma vie a changé du tout au tout.» 

Suivie par des vedettes internationales comme Jennifer Lopez, Cardi B et Shakira, qui la complimentent parfois sous ses publications, Énola Bédard travaille aussi avec une panoplie de marques comme Cacharel et L’Oréal pour créer du contenu commandité, qu’elle repartage sur son propre compte. Dernièrement, elle a même été engagée par l’entreprise Ubisoft pour la conception de la dernière version canadienne du populaire jeu vidéo Just Dance. Et ce n’est qu’un mince échantillon des projets généreusement rémunérés qui l’occupent ces mois-ci.

Enola Bédard

Enola Bédard

Secouer l’ordre établi

Aïcha Bastien N’Diaye, vue dans des spectacles de chorégraphes de renom comme Harold Rhéaume et Karine Ledoyen, baigne depuis plusieurs années dans l’univers de la danse contemporaine professionnelle. Formée à l’École de danse de Québec, une institution reconnue où elle enseignait jusqu’à tout récemment, l’interprète et chorégraphe originaire de Wendake a longtemps résisté au chant des sirènes. «Je suis arrivée tard sur TikTok; je ne voulais rien savoir, dit-elle en riant. J’étais de ceux qui avaient beaucoup de préjugés sur cette application, sur cet univers de l’instantané. Je pense que mon feeling par rapport à TikTok était lié à mes étudiants, qui faisaient des vidéos pendant que je leur donnais des consignes.» 

Finalement, la distanciation physique et les autres consignes sanitaires mises en place pour combattre la COVID-19 l’ont fait changer d’idée. C’est en filmant des chorégraphies de son cru destinées à son compte TikTok qu’elle a réussi à combattre l’isolement et l’ennui, au grand dam de ses collègues qui n’ont pas su suivre la vague. «Je pense qu’il y en a qui ne comprennent pas. Il y en a qui tombent dans des commentaires du genre: “Ah, toi, t’es célèbre!”, alors que non, pas du tout. Le milieu de la danse à Québec, c’est petit. C’est un milieu qui est surtout axé sur le vivant et l’humain, contrairement aux réseaux sociaux. À Québec, si tu veux un emploi en danse, on ne va pas te demander le nombre d’abonnés que tu as sur Instagram! À Montréal, par contre, ça se peut qu’on aille stalker tes profils pour voir ce que tu crées.»

Mais avec ses vidéos, sa gestuelle originale et très personnelle, Aïcha Bastien N’Diaye contribue à promouvoir l’intérêt du public pour la danse, à trouver de nouvelles personnes pour remplir les salles.

Dans l’ombre des grandes

Nombreuses sont les danseuses qui affluent vers la cité des anges dans l’espoir de tirer leur épingle du jeu, de rejoindre l’escouade des chanteuses pop qui s’entourent de bougeuses chevronnées. Le nombre d’appelées dépasse forcément le nombre d’élues, comme le veut l’adage, mais il y a une Montréalaise qui évolue là-bas auprès des plus brillantes étoiles. Son nom? Mel Charlot.

«C’est drôle, mais dès que je suis tombée enceinte, j’ai commencé à être de plus en plus occupée.» Dans une de ses vidéos, qui a été vue plus de 52 000 fois sur TikTok, l’artiste de 36 ans raconte le moment où, à 2 mois de grossesse, elle a dansé dans un numéro de la vibrante Lizzo aux BET Awards en 2019. «On me voit également dans le vidéoclip de la chanson Rumors, de Lizzo, en duo avec Cardi B, celui qui vient de sortir. J’ai même été aide-chorégraphe pour ce projet!» 

Entre les deux projets, Beyoncé (oui, «ze» Beyoncé!) a même fait appel au talent d’interprète de Mel pour une scène de son film Black is King, qui a été tournée avec trois autres femmes enceintes. «Sur les réseaux sociaux, je partage du contenu qui parle du fait d’être maman tout en évoluant dans l’industrie. C’est important pour moi de montrer que c’est possible.» 

Mel Charlot

Mel CharlotWes Klain Studio

Plus près de chez nous

Avant d’être une vedette à son tour grâce à TikTok et à Instagram, Angie Augustin, alias Citron Rose, s’est fait connaître aux côtés de la rappeuse québécoise Sarahmée. «Tout a commencé avec le vidéoclip pour la chanson T’as pas cru. Elle nous a remarquées, ma collègue Lily et moi, et elle nous a proposé de nous joindre à son équipe. Depuis, on n’arrête plus!»

D’ailleurs, Angie accompagne toujours la musicienne en tournée. «Cet été, on prenait le traversier pour aller à Tadoussac quand une petite fille m’a reconnue, et j’ai pris des photos avec elle. On l’a recroisée à l’hôtel, et elle a demandé à Sarahmée à quelle heure était le spectacle de Citron Rose. On a bien ri!»

Propulsée à l’avant-scène grâce aux vidéos qu’elle chorégraphie et produit elle-même, Angie se fait régulièrement reconnaître dans la rue. «Il y a des gens qui me disent: “Ah! c’est toi, la fille de TikTok!”. Oui, c’est vrai, mais je ne suis pas que ça. Je suis danseuse professionnelle, d’abord et avant tout.»

Citron Rose

Citron RoseFlamm'elle Studio

Un tremplin pour les artistes racisées

Longtemps mises de côté par les chorégraphes par souci d’uniformité, les interprètes afrodescendantes ou autochtones comme Aïcha Bastien N’Diaye brillent depuis que TikTok existe.

«Je suis très critique de mon petit milieu à Québec, confie Aïcha. Il est très homogène. C’est un milieu qui est fort inspirant et qu’on sous-estime trop souvent, mais on est dû pour du changement. Dans les dernières années, j’ai vraiment reconnecté avec les danses africaines et les danses de pow-wow, avec le Krump, avec des danses qui sont culturelles avant tout. Moi, ce sont des styles qui m’émeuvent, et j’ai envie de les mettre de l’avant.»

Née d’une mère wendat et d’un père guinéen, un enseignant en danse qu’on voit d’ailleurs à ses côtés dans ses vidéos TikTok, Aïcha Bastien N’Diaye estime que sa récente popularité sur le web lui donne l’audace de mener à terme des idées qui sortent des sentiers battus. «Quand je reçois des messages de petites filles qui me disent qu’elles ont recommencé à danser grâce à moi, je réalise que c’est tangible, que TikTok, c’est plus que des chiffres. Ça m’encourage. J’ai toujours voulu faire des pièces de danse dans des tenues qui scintillent, qui sortent vraiment du lot… Et la plateforme me donne la liberté de le faire, sans me soucier de ce que les gens de mon milieu vont penser. Même si c’est différent!» 

Des chiffres qui ne mentent pas:

Énola Bédard: 12 900 000 abonnés (TikTok: @enola.bedard)

Citron Rose: 533 300 abonnés (TikTok: @citron_rose)

Aïcha Bastien N’Diaye: 256 400 abonnés (TikTok: @aichella)

Kiera Breaugh: 262 500 abonnés (TikTok: @kierabreaugh)

Mel Charlot: 10 200 abonnés (Instagram: @melcharlot)

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