On l’a vu produire des quantités de crystal meth, nettoyer des restes humains, manipuler son associé, mentir à sa femme et devenir un monstre de cupidité… Et pourtant, pendant six ans, on a été accros des aventures de Walter White, le prof de chimie converti en trafiquant de drogue de la série Breaking Bad. Puis, ç’a été au tour de Frank Underwood, le politicien véreux, menteur et meurtrier de House of Cards, d’exercer sur nous une véritable fascination. Depuis le début des années 2000, les figures paternelles et héroïques qu’on avait l’habitude de voir au petit écran ont fait place à une génération d’antihéros. Parfois, ce sont des personnages tourmentés, comme Nick Berrof, le policier taciturne de 19-2 qui est rongé par la culpabilité et plutôt agressif… parfois ce sont carrément des assassins, comme le brillant psychopathe de Dexter. On est loin de Steve Austin, le héros aux pouvoirs bioniques de L’homme de six millions, et des courageux policiers de Chips, toujours prêts à défendre la veuve et l’orphelin. «Les personnages des émissions populaires des années 1950 et 1960 étaient plutôt unidimensionnels», fait remarquer Richard Therrien, chroniqueur télé au journal Le Soleil. «Maintenant, à la télé, on voit davantage de héros habités par des paradoxes.»

Stéfany Boisvert, doctorante en communications à l’UQAM, s’intéresse justement à la représentation des hommes dans les téléséries. Elle est d’avis que, depuis la diffusion des Sopranos sur la chaîne américaine HBO en 1999 – mettant en scène Tony Soprano, un mafioso aux prises avec des angoisses existentielles -, on n’a jamais vu autant d’antihéros au petit écran. «Les personnages masculins d’aujourd’hui ne sont plus des héros infaillibles qui soumettent tout le monde à leur autorité. Par exemple, Walter White, dans Breaking Bad, est très loin du père de famille idéalisé du téléroman Papa a raison

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Héros au bord de la crise de nerfs

Selon Stéfany Boisvert, les téléséries produites ces dernières années au Québec et aux États-Unis déboulonnent l’archétype de l’homme viril et courageux, à une période où la société remet en cause ce modèle traditionnel. «Marc Forest dans Minuit, le soir ou encore Steve Chouinard dans Les Invincibles s’interrogent sur leur identité, leurs relations amoureuses et leur place dans la société. Ce sont des personnages plus complexes qu’avant, plus réalistes, et leurs questionnements sont le reflet des nouveaux rapports hommes-femmes dans la société.»

Les nouvelles téléséries ont aussi changé la façon de raconter des histoires. On recourt souvent à des techniques narratives comme le flashback et le monologue, ce qui permet d’exprimer l’intériorité des protagonistes et d’approfondir leur psychologie. «On montre de plus en plus les émotions des personnages, leurs questionnements, leurs conflits et leurs paradoxes», ajoute la chercheuse.

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Dans la télésérie The Walking Dead, Rick Grimes incarne à merveille cette masculinité nuancée. C’est un père dévoué et un policier courageux, prêt à combattre les zombies qui ont envahi sa communauté. Toutefois, ce rôle de chef finit par lui peser et Grimes devient, au fil des épisodes, égoïste, pessimiste et même misanthrope. Il est vulnérable, plein de contradictions, et c’est justement ce qui nous séduit autant chez lui.

Selon Simon Louis Lajeunesse, auteur de l’essai L’épreuve de la masculinité, on doit se réjouir de la popularité des antihéros qui sont sensibles, rongés par le doute ou la culpabilité et qui prennent leur rôle de père au sérieux. «Il y a 50 ans, l’homme idéal était insensible, peu intéressé par ses enfants et il devait agir en superhéros. Enfin, on montre des hommes qui aiment, qui souffrent, qui s’interrogent sur leurs relations. On donne à l’homme une dimension humaine, imparfaite.»

De vrais hommes, quoi. Comme on les aime.

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Affreux, sales et méchants

Que les héros n’aient plus à être surhumains, c’est bien. Mais qu’est-ce qui explique leur tendance à adopter une morale douteuse? Le journaliste Richard Therrien y voit surtout une stratégie des chaînes spécialisées – HBO, AMC ou encore le site Netflix – pour attirer un public jeune et exigeant, plutôt indifférent au contenu des chaînes généralistes. «Afin de maintenir l’intérêt de cet auditoire, les séries doivent être audacieuses, prendre des risques et proposer des intrigues moins traditionnelles», explique-t-il. Selon lui, les séries les plus addictives sont justement celles qui parviennent à rendre attachant un protagoniste qui commet des gestes répréhensibles. «C’est le genre de personnage qui nous tient en haleine: on se demande constamment jusqu’où il va aller!»

La doctorante Stéfany Boisvert est du même avis. «On est facilement fascinés par les héros qui transgressent les interdits. Ils nous font nous interroger sur nos propres limites. On se demande ce qu’on ferait à leur place, ce qui suscite beaucoup de discussions.» Les personnages masculins ne sont toutefois pas les seuls à révéler une part d’ombre. La mère de famille trafiquante de drogue de la série Weeds ou encore les détenues de Orange Is the New Black nous prouvent que les héroïnes sont, elles aussi, passées dans le tordeur!

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