Si vous me demandiez quelles téléséries j’ai aimées au point de les compter parmi mes préférées de tous les temps, j’aurais deux réponses à vous donner: Succession (Crave), un drame shakespearien sur une famille riche et malicieuse dirigeant l’un des plus grands conglomérats de médias du monde, et New Girl, une sitcom mettant en vedette l’ingénue Zooey Deschanel et diffusée de 2011 à 2018. À première vue, ça ne semble pas si inhabituel. Mais je suis une personne qui voit (presque) tout et qui a toujours une recommandation à faire aux autres lorsqu’ils ne savent plus quoi regarder. Si ça passe à la télé, j’ai un avis sur la question. Ajoutez à ça le fait qu’il y a maintenant plus de séries télé que jamais; vous comprendrez pourquoi ma pile de bouquins à lire ne cesse de croître… 

Évidemment, toutes les émissions n’ont pas besoin de figurer dans mon palmarès – mes préférées y sont pour une raison précise. Mais le plus gros problème est simple, en fait: j’ai réalisé que je suis épuisée par le visionnement en rafale, communément appelé binge-watching. Je suis fatiguée de m’écrouler dans mon canapé, de consommer avidement des saisons de 6 à 13 épisodes d’un seul coup avant de passer à la prochaine nouveauté. Après des années passées à nourrir ce type de consommation pour mon travail, toutes les séries que j’ai regardées – dont beaucoup m’ont vraiment, vraiment plu – se confondent. Ne me demandez pas de vous dire ce qui s’est passé dans la dernière saison de la série policière Ozark, dirigée par Jason Bateman: je ne pourrais pas vous le dire. (J’en ai pourtant regardé chaque minute, promis.)

Et qu’est-ce que New Girl et Succession ont en commun? C’est qu’elles ont été diffusées sur une base hebdomadaire. Tout comme bon nombre des séries les plus médiatisées de 2021, à savoir Euphoria, Mare of Easttown, ou And Just Like That…, la suite attendue de Sex and the City! Ici, au Québec, on pense au succès de Plan B (ICI Radio-Canada Télé) et à celui d’Aller simple (Noovo). En général, lorsque je suis obligée d’étaler le visionnement d’une série et d’attendre le prochain épisode, j’aime davantage la série. Même si c’est une histoire qui me rejoint moins, je m’en souviens plus longtemps. Et si l’on en croit les critiques des nouvelles séries qui ont eu un grand impact dans les dernières années, il semble que je ne sois pas la seule.

«Cette idée de l’épuisement du visionnement en rafale est très logique, surtout après la pandémie, car les gens ont été rivés de longues heures devant leur téléviseur», explique Myles McNutt, critique de télévision canadien et professeur au Département de communication et d’arts du théâtre à la Old Dominion University, en Virginie, aux États-Unis. Les épisodes hebdomadaires engendrent un phénomène social, car il y a davantage de conversations qui s’engagent autour de la série, et ça crée ainsi un sentiment d’anticipation.» 

Myles McNutt se souvient parfaitement du moment où nos habitudes de consommation ont commencé à changer. Le binge-watching n’est, en réalité, pas nouveau. Auparavant, les gens avaient l’habitude de se procurer des coffrets de leurs émissions préférées et de les regarder de nouveau en rafale. Mais Netflix est entré en scène en 2012 avec sa première série exclusive de diffusion en continu (streaming), soit Lilyhammer, une dramédie policière américano-norvégienne, qui a été diffusée dans le monde entier d’un seul coup. Puis, à l’été 2013, ce service de vidéo à la demande a lancé sa troisième série originale, Orange Is the New Black, et Myles McNutt a dû discuter avec son rédacteur en chef de l’époque – c’était pour le site de culture pop The A.V. Club – de la façon dont il allait couvrir cette série, car elle était diffusée en un seul bloc, ce qui était une nouveauté pour les médias télévisés (il a fini par faire la critique de deux épisodes par semaine). Il n’a pas fallu longtemps pour que, comme le dit Myles McNutt, «le visionnement en rafale devienne la manière de regarder la télévision par défaut».

Jusqu’à récemment, en fait. Le service Disney+ a été lancé en novembre 2019 avec la première émission de The Mandalorian, une série très attendue de l’univers de Star Wars, qui nous a donné le fameux (et très mignon) bébé Yoda. De nouveaux épisodes ont été diffusés chaque semaine, tout comme les émissions suivantes de Disney+, notamment les nombreuses séries Marvel. Lorsque le service HBO Max a été lancé aux États-Unis, en 2020, il a suivi un modèle hybride: au lieu de diffuser la saison entière en une seule fois, il a diffusé un, deux ou parfois trois épisodes par semaine – comme Station Eleven, acclamée par la critique, The Sex Lives of College Girls, écrite par Mindy Kaling, et Hacks, récompensée aux Emmys (bien des émissions de HBO Max sont maintenant offertes sur Crave). Enfin, le service Prime Video, qui a également commencé à produire ses propres programmes originaux en 2013, est devenu plus flexible en matière de programmation; par exemple, pour la quatrième saison de son hit, The Marvelous Mrs. Maisel, il a diffusé deux épisodes par semaine. Même Netflix, le créateur du binge-watching, a légèrement assoupli sa position et s’est écarté du modèle du «tout d’un coup» en offrant de récents succès de téléréalité, comme Love Is Blind.

Comme le souligne Myles McNutt, ne pas diffuser systématiquement en rafale est un excellent coup de marketing. Car si vous voulez suivre toutes les aventures de bébé Yoda, vous ne pouvez pas le faire uniquement en faisant un essai gratuit de Disney+ d’un mois. Puis, plus une émission populaire est diffusée sur une longue période, plus les abonnés restent fidèles. Mais il y a plus que ça. «En tant que téléspectatrice, j’apprécie vraiment cette approche hybride», déclare Alison Herman, qui est rédactrice pour le site The Ringer et s’intéresse à la culture et, particulièrement, à la télévision. Elle a beaucoup étudié les modèles de streaming. «Ça permet de faire durer le plaisir, précise-t-elle, de donner l’impression que les séries sont là un peu plus longtemps et de les regarder plus facilement. On peut vraiment s’y plonger, et notre écoute est plus active.»

Le plus souvent, les séries diffusées en rafale semblent être un simple feu de paille. Et de fait, un rapport récent de Bloomberg a révélé qu’un succès type de Netflix, comme celui que Stranger Things a remporté, disparaît de son Top 10 en deux semaines ou moins, et il finit par être remplacé par ce que l’algorithme propose de nouveau aux téléspectateurs.

Ce n’est pas le cas avec les séries qui sont diffusées hebdomadairement, et c’est exactement la raison pour laquelle je suis tombée amoureuse d’une série comme New Girl. Chaque semaine, je m’installais confortablement pour passer du temps avec ces colocataires loufoques, que j’ai commencé à considérer comme des amis (ou presque). Je les ai vus grandir et évoluer en ce qui m’a semblé être un temps réel, et j’ai continué à penser, par exemple, au flirt entre Jess Day (Deschanel) et Nick Miller (Jake Johnson) longtemps après le générique. Il en va de même pour Succession (des mois plus tard, je fais encore référence à des moments de la troisième saison dans mes conversations) et d’autres séries – comme Gilmore Girls, Friday Night Lights – qui encore aujourd’hui sont près de mon cœur.

Cela ne veut pas dire que les émissions hebdomadaires sont meilleures que les téléséries diffusées en rafale, que le binge-watching est mauvais et qu’il ne peut pas produire de succès incontestables. Moi aussi, j’ai eu le souffle coupé par l’exaltant drame coréen Squid Game et je n’ai pas pu m’empêcher de regarder les grands yeux brillants d’Anya Taylor-Joy dans The Queen’s Gambit. Les créateurs ont appris à concevoir des émissions adaptées au binge-watching, pour donner au spectateur l’envie de continuer leur visionnement en appuyant sur l’épisode suivant. «La télévision est un média intime par nature, et il est quand même toujours possible d’avoir une connexion très intense avec une œuvre avec laquelle on passe six heures sans interruption. Ça dépend de la personne qui la regarde, et ça dépend de l’émission», dit Alison Herman.

La bonne nouvelle, à la fois pour le média et pour les personnes qui, comme moi, sont d’avides consommatrices de séries télé, est que cette approche hybride, au cas par cas, semble être là pour de bon. Le visionnement en rafale n’a plus à être le mode d’écoute par défaut. «Je ne pense pas que nous remettrons un jour le dentifrice dans le tube: le binge-watching fait partie de l’ADN des plateformes de streaming, et il aura toujours son utilité, déclare la rédactrice. Tous ces modèles vont exister côte à côte. Ça peut être déroutant, mais en tant que téléspectateurs, c’est aussi excitant d’avoir toutes ces options dans un monde télévisuel en constante évolution!» 

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