Il est 10 h du matin, dans un café presque désert du Mile End, à deux pas de chez Xavier Dolan. L’artiste aux lunettes d’iconoclaste, à la tignasse en épi et au visage d’enfant ensommeillé (il vient de sortir du lit) chasse une mouche qui menace de lui voler son copieux déjeuner. Les chaises sont déglinguées, les murs décolorés par les années. «J’aime venir ici, pour l’ambiance», dit-il.

Il a acheté un nouvel appart dans le même quartier et s’apprête à déménager. Il a mille et un projets en tête, dont une télésérie traitant de la famille. Surtout, il travaille à un nouveau film. Après J’ai tué ma mère, qu’il a réalisé à 19 ans avec des bouts de ficelle, qui a été présenté à Cannes et encensé par la critique; après Les amours imaginaires (dont la sortie en DVD est prévue pour le 26 octobre), qui a connu le même sort heureux, il se prépare à tourner Laurence Anyways avec l’acteur français Louis Garrel dans le rôle principal. «Ça raconte les tribulations d’un couple qui essaie de survivre à la décision de l’homme de changer de sexe.»

Le premier tour de manivelle devrait être donné en février. Et cette fois, pour cette coproduction franco-québécoise, le plus jeune des surdoués du cinéma d’ici devrait disposer d’un gros budget: huit millions… S’il n’était pas réalisateur, ce fort en gueule à l’âme écorchée et au sens de l’esthétique à toute épreuve aurait bien aimé devenir peintre. «Mais je n’ai aucun talent de ce côté-là.» Et s’il n’avait pas réussi à faire sa place dans le septième art? «Je me serais dirigé vers le milieu de la mode. J’aurais aussi pu devenir directeur artistique, photographe… ou encore chasseur de mouches!»

 

Une ville où il souhaiterait habiter «Je suis content d’être né au Québec et de vivre ici. S’il y a un autre endroit du monde où je pourrais habiter, c’est New York… mais en tant que Québécois. Je n’aurais pas voulu naître là-bas, parce que je n’aimerais pas être Américain.»

L’époque à laquelle il aurait désiré vivre «Je trouve que les années 2000, c’est de la merde. La ville pue, Montréal est engorgée, tout est bloqué. J’aurais voulu avoir 20 ans en 1989, pour pouvoir dire entre autres: « Ah, oui, je me souviens, quand le mur de Berlin est tombé, j’étais à tel endroit… » J’aurais aimé avoir en mémoire ce genre d’évènements, me souvenir de tout ce qui est arrivé dans les années 1990 et qui ne se passe plus de nos jours. Par exemple, les guerres et les conflits qui ont été résolus. Aujourd’hui on n’a que des conflits, aucune solution. Et puis, évidemment, j’aurais voulu vivre le référendum québécois…»

Ce qu’il aurait voté au référendum de 1995 (il avait six ans…) «Ça commence par un O.»

Coup de gueule «Le citoyen qui se plaint que les artistes vivent aux crochets de l’État se doute-t-il que, sur les 15 000 piastres qu’il paye en impôts, c’est environ 2,50 $ qui vont à la culture? Par contre, combien sont attribués au plan d’armement de Stephen Harper?» 

Ses drinks préférés «Vodka tonic. Ou vin blanc: un pinot gris, un riesling, un vin d’Alsace – un peu parfumé, un peu sucré, mais pas trop.»

Sa spécialité culinaire «Je ne cuisine jamais. Mais si je recevais chez moi, c’est sûr que je préparerais des pâtes au pesto avec tomates séchées, parmesan et olives noires. C’est facile à faire et je sais que ça serait bon.» 

Son but quand il fait des longs métrages «Réussir à toucher les gens.» 

Les cinéastes à qui il aime être comparé «Woody Allen. Je vois une filiation sur le plan du ton, des dialogues, de l’humour. J’essaie de lui rendre hommage en réalisant mes films. Et Jean Cocteau, que j’adore de la tête aux pieds, jusqu’au bout des ongles. Question de destin, de goût, de valeurs, de credo.» (Xavier baisse son pantalon et montre sa cuisse, où est tatouée cette phrase de Cocteau: «À l’impossible je suis tenu.») 

Son livre-culte «Les liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos.» 

Un réalisateur qui l’inspire «Michael Haneke. J’aime son esprit, sa perversion, son regard, son talent de metteur en scène, et aussi son style sans affectation, direct, très réfléchi et très intelligent. Je trouve l’intelligence extrêmement attirante. Ça me stimule.»

L’auteur qu’il affectionne «Roland Barthes. J’aurais aimé avoir écrit Fragments d’un discours amoureux. Et son Journal de deuil m’a beaucoup touché, à cause de sa sensibilité, mais aussi de son thème: la mère.» 

Ses muses «Monia Chokri et Magalie Lépine-Blondeau , qui jouent dans Les amours imaginaires. Suzanne Clément, Patricia Tulasne, Anne Dorval. Les femmes de mon entourage, parce qu’elles ont une sensibilité que les hommes n’ont pas toujours. Ma belle-mère. Et Odile Tremblay.»

La chanson qu’il écoute le plus souvent en ce moment «Brandt Rhapsodie, de l’album La superbe, de Benjamin Biolay. Deux amants se lisent les mots qu’ils se laissent sur la table en partant le matin, et on suit leurs échanges, jusqu’à leur rupture.» 

 

Son idéal de beauté masculine «Marlon Brando dans Un tramway nommé désir. C’est une beauté suave, sexuelle… talentueuse, aussi. C’est une beauté parfaite, géniale. Si je le croisais ici, au coin de Saint-Viateur et de Saint-Laurent, peut-être que j’interromprais l’entrevue…» (rires)

Son idéal de beauté féminine «Brigitte Bardot… dans ses jeunes années.»

Le secret de sa coiffure «Mon ami John, qui est coiffeur dans des salons et dans le milieu de la mode.»

Son designer de référence «Yves Saint Laurent. Pour sa robe Mondrian, en particulier.» 

Un designer dont il porte les créations «Dans la vie de tous les jours – et aussi quand je vais à certains cocktails -, je mets du Paul Smith. Il est créatif et ses vêtements sont bien coupés. Ils ont quelque chose de naïf. Ça me plaît. Ils sont colorés, mais certains sont relativement sobres. On a encore une image très psychédélique de ce que fait cet homme, alors qu’il s’est beaucoup calmé.»

La période qui le fascine sur le plan de la mode «Les années 1980-1990: je suis un fanatique du kitch.»

Ses lunettes, une deuxième peau? «Quand les gens me demandent de les enlever pour prendre des photos, je leur dis: « Êtes-vous certains? » Si je les garde, il y aura peut-être des reflets fâcheux sur la photo mais, sans elles, je ne serais pas moi-même. Et je ne pourrais rien voir, ce qui représente quand même un certain désagrément!»

 

 

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