C’est grâce à Chanel que Jean-Pierre Jeunet a renoué avec Audrey Tautou, son actrice fétiche. Après Baz Luhrman et Nicole Kidman, au tour du réalisateur du Fabuleux destin d’Amélie Poulain de proposer une fable publicitaire d’une minute et demie mettant en vedette le parfum Chanel No5. Quatre mois de tournage et de pur bonheur plus tard, Jeunet a créé un superbe objet* qui tient davantage du court métrage que de la pub.

La mémoire olfactive a-t-elle une importance dans votre vie?

J’aurais aimé adapter «Le Parfum», que l’on m’avait proposé comme à tous les réalisateurs de la planète, s’il n’y avait pas eu une histoire moyennement intéressante. Mais l’idée de retrouver en images l’évocation de ce sens là est vraiment intéressante. Je pense que les meilleurs souvenirs viennent de l’odorat. J’ai des listes entières de souvenirs comme ça : l’odeur des petites gares désaffectées, les voies ferrées, la forêt sous la pluie, l’herbe que l’on vient de tondre, l’odeur des scieries…

Des odeurs et des parfums liés à des gens, aussi ? Des gens que vous avez aimés?

Oui, les parfums comptent, bien sûr. J’ai aimé une femme, aujourd’hui disparue, et quand je marche dans la rue et que je sens son parfum, qui se trouve être un parfum CHANEL: Coco, je me retourne, c’est bizarre.

Ça compte depuis toujours, donc ?

Depuis toujours, je ne sais pas.

Aviez-vous déjà fait un film publicitaire pour un parfum ?

Jamais. On ne me l’avait jamais proposé. J’ai fait des films publicitaires, 40 ou 50 mais de vraies publicités. Là, ce n’est pas une publicité, c’est autre chose. J’aurais tendance à dire que c’est du mécénat, c’est un court métrage de moi financé par CHANEL. Il suffisait juste que CHANEL y figure. C’est le genre de choses qui n’existent plus aujourd’hui : on vous laisse écrire l’histoire, on vous laisse une totale liberté, on vous fait totalement confiance. C’était presque bizarre.

* Le film sera sur le site d’ELLEQuébec.com dès le 6 mai. 

Suite: Refaire équipe avec Audrey Tautou, la vedette du Fabuleux destin d’Amélie Poulain

Photo-12.jpg Cliquez pour voir le storyboard du film!

 

 

 

Est-ce qu’il y avait des «figures imposées», malgré la liberté ?

Non. Bizarrement. C’est moi qui ai eu l’idée d’inclure, je ne vais pas dire le mot «produit» parce que ça ne me plaît pas et justement ça fait «publicité», le flacon. J’ai eu cette idée, puisque c’était un train de nuit et qu’on jouait sur les effets de lumière à l’intérieur du compartiment, de faire en sorte que l’on voit la silhouette, les reflets du flacon. Chez moi, dans ma chambre, mon épouse range ses flacons de parfum sur un petit meuble et parfois les effets de lumière provoquent ce genre de diffractions, c’est assez joli, je l’avais remarqué. J’ai eu l’idée d’intégrer le flacon de cette manière. A la fin, j’ai eu également l’idée de finir sur une mosaïque qui se transforme en logo CHANEL, le double C entrelacé. Ce genre d’idée a séduit.

Genèse de la participation d’Audrey Tautou… Est-ce vous qui avez amené Audrey ?

Pour moi, l’idée d’Audrey est venue tout de suite… C’était ma première idée, bien sûr… Il me paraissait tellement évident qu’il fallait une actrice extrêmement expressive, dans des plans très courts, rien qu’avec le regard et Dieu sait que je connais son regard. Je savais qu’elle serait absolument parfaite pour ça et je l’ai proposée à la Maison CHANEL. Nous avons fait de longs essais, pas pour elle, mais pour les effets de lumière et qui ont fait que nous nous sommes retrouvés avec bonheur et j’ai vu tout de suite que ça allait fonctionner. C’était évident pour moi.

Avez-vous été surpris qu’elle se retrouve dans un film de long-métrage dans lequel elle incarne Coco Chanel ?

C’est une coïncidence amusante, évidemment. Pour moi, si quelqu’un devait jouer le rôle de Coco Chanel, c’était elle. Physiquement et aussi probablement dans la volonté. J’ai un peu tout lu sur «Mademoiselle», juste avant de faire le film et si j’avais dû faire l’histoire de Coco Chanel, j’aurais choisi Audrey, je le lui aurais demandé en tout cas.

Justement : «Mademoiselle», qui est tellement liée au N°5, un destin hors du commun et un parfum mythique, est-ce quelqu’un qui vous intéresse ?

Oui… J’ai ressenti une drôle de responsabilité. J’ai une petite anecdote, troublante. Je suis allé à Venise par le train de nuit pour étudier un peu les effets de lumière, pour étudier tout ça. Je suis revenu en avion, je lisais un livre sur elle et je ne dis pas que j’ai entendu une voix mais quand même une petite voix au-dessus de moi qui me disait : «toi mon coco, tu as intérêt à faire un bon boulot». Je me suis senti la responsabilité de prolonger, à travers son parfum, l’image de tout le travail de cette femme extraordinaire et je me suis dit effectivement, il faut que je fasse gaffe, que j’assure et que je donne le maximum parce que ce n’est pas juste un court métrage, ce n’est pas juste une publicité pour CHANEL aujourd’hui, c’est aussi perpétuer une œuvre.

Avec l’idée qu’elle l’apprécierait ?

Oui, oui.

Et elle apprécierait, à votre avis ?

Je l’espère !

07.jpg  À lire: la version d’Audrey Tautou

 

 

 

audrey-film.jpg  À voir: l’entrevue vidéo avec la nouvelle égérie

À quelle famille de réalisateurs appartenez-vous?

J’espère appartenir à la famille de ceux qui aiment l’exigence et ceux qui revendiquent le travail bien fait, une valeur aujourd’hui parfois tombée en désuétude et qui pour moi est extrêmement importante et je n’y déroge pas. Je peaufine, je peaufine, je m’accomplis et je prends mon plaisir en allant jusqu’au bout. J’aime beaucoup revoir mes films, j’ai l’impression d’être le seul réalisateur à dire ça et j’ai un peu l’impression que lorsqu’un réalisateur dit qu’il n’aime pas revoir ses films c’est parce qu’il a peur d’avoir honte, il sait qu’il n’a pas été au bout. Quand je revois mes films, j’ai du recul et je me dis «ça ce n’est pas terrible, ça j’aurais pu faire mieux, je ne ferais plus comme ça aujourd’hui»  mais je n’ai pas honte car je sais que je suis allé jusqu’au bout.

Et pour celui-ci ?

Peut-être encore plus car avoir le confort de tourner trois semaines pour deux minutes et demi de film, on ne peut qu’aller au fond des choses. Audrey me disait parfois, à Istanbul par exemple : «on a fait 25 prises, j’ai mal aux pieds, tu es sûr que tu n’as pas ce qu’il te faut ?». Bien sûr, j’avais ce qu’il fallait mais la lumière était en train de descendre et cela pouvait devenir encore plus beau. C’était aller au bout du bout du bout…

Filmer un parfum, écrire un film pour un parfum, cela semble assez contradictoire et en même temps extrêmement excitant.

Recréer par l’image les émotions olfactives est vraiment un challenge intéressant.

J’aime beaucoup les histoires de hasards, de destins et j’ai inclus dans cette histoire de train de nuit les rencontres ratées, les choses qui pourraient aboutir mais qu’on ne sait pas, une porte qui s’ouvre, une autre qui se ferme… Le tout dans un temps très court, c’était excitant.

Vous n’aviez jamais filmé de train de nuit dans un contexte comme celui-ci de rencontres sensuelles, amoureuses?

C’est l’idée que j’ai eue tout de suite car j’ai toujours eu envie de faire un long métrage qui se passe dans un train de nuit et je cherchais une idée. Et quand s’est présentée cette opportunité avec CHANEL j’ai vu que ça pouvait marcher et bizarrement cela concordait avec l’envie de CHANEL, ils avaient envie de mystère, d’effets de lumières, d’émotion. Tout concordait.

Aviez-vous dessiné un story-board du film ?

Oui. Je story-boarde toujours mes long-métrages donc là plus que jamais. Je ne le fais pas pour les scènes de comédies dans les long-métrages, là je laisse la place aux acteurs. Le story-board est un prétexte pour travailler en amont, pour préparer, réfléchir, je crois à la vertu du travail. Ce qui n’empêche pas de tout changer à la dernière minute si une nouvelle idée arrive, je change tout. Et puis il faut bien mettre les idées sur le papier pour s’en souvenir, je préfère les mettre en dessins plutôt qu’en mots, c’est plus visuel et tout le monde comprend mieux.

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Je crois avoir entendu dire qu’il s’est passé quelque chose d’assez magique au cours du tournage sur le Bosphore, avec le bateau d’un plaisancier.

Avec Audrey ? Oui, c’était incroyable. On tournait au milieu de tankers qui font des milliards de tonnes, c’était vraiment difficile à gérer car il y avait des créneaux très courts entre les passages de ces monstres, nous n’étions que de petites coquilles de noix au milieu de tout ça. Il fallait faire croiser notre bateau où était Audrey avec celui sur lequel se trouve le jeune homme et nous avons pu faire deux ou trois prises mais c’était compliqué.

A un moment, nous étions prêts à tourner et un petit plaisancier arrive et il voit un tournage, il aperçoit la caméra, il arrive, nous fait «coucou», il allait nous fiche en l’air la prise au moment où le bateau du jeune homme entrait dans le champ. Mais il y a eu un petit miracle, le petit bateau a disparu à ce moment là derrière la tête d’Audrey : l’arrière du bateau juste derrière son oreille et l’avant du bateau juste derrière son nez, Audrey bougeait d’un millimètre et la prise était ratée, elle nous l’a dit : «je savais qu’il ne fallait pas que je bouge». Un moment magique, car c’était la bonne prise.

Audrey a dit : «ce parfum, CHANEL N°5, c’est tellement français». C’est la quintessence de la France ?

Comme l’Opinel et la deux-chevaux [Citroën], en plus chic.

Et Audrey, est-elle la quintessence de la Française ?

C’est possible. Je revendique le côté «français», je mets toujours en évidence Paris dans mes films, ce sera le cas encore pour le prochain, j’aime bien.

Qu’est-ce que ce film vous a apporté ?

Quatre mois de bonheur. Retrouver mon équipe, Audrey, travailler dans des conditions qui n’existent plus aujourd’hui, que ce soit en studio ou en extérieur… L’opportunité d’aller dans l’hyper-précision et de faire quelque chose de très abouti, fignolé. Quatre mois de vrai bonheur. Rendez-vous compte, pour le compartiment du train, nous avons fait venir de Venise les pièces détachées de l’Orient -Express, nous les avons moulées, chromées, nous avons fait de la marqueterie, un travail d’orfèvre, de luxe. C’était magique. Et ce n’est pas tous les jours que l’on peut avoir l’opportunité d’emmener un si beau train dans la campagne au-dessus de Nice. J’ai le souvenir d’un pique-nique improvisé dans ce train, avec des paysages merveilleux…

Vous recommenceriez ?

Quand ils veulent. Dès que j’ai fini mon long-métrage.

Deux films sur la vie de Coco Chanel sont en cours de tournage. Est-ce un exercice qui vous aurait tenté ?

Je ne suis pas très «biopic» mais pourquoi pas ? Je me suis intéressé à la vie de Coco Chanel trop tard, les projets étaient enclenchés mais pourquoi pas ? Parmi les biographies à raconter : Georges Méliès et Coco Chanel.

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