Bien qu’elle soit née de parents célèbres, Zoë Kravitz a toujours voulu apprivoiser Hollywood à sa façon. Et ça fonctionne, puisqu’elle arrive de plus en plus à s’accomplir en tant qu’actrice, notamment dans Big Little Lies et bientôt dans High Fidelity. Entrevue.

Rien ne plaît davantage à une New-Yorkaise que d’être traitée comme une habituée au bar ou au café qu’elle fréquente régulièrement. Pour Zoë Kravitz – à la fois superstar hollywoodienne et artiste marginale et libre –, ce lieu sans paparazzis ni regards appuyés dans sa direction est le restaurant Five Leaves. Il est situé dans le quartier Greenpoint, à Brooklyn, où elle habite avec l’acteur Karl Glusman. Comme elle, il estime que de vivre dans ce coin de la ville permet d’échapper un peu aux feux aveuglants de la vie publique. «J’ai du mal à gérer tout cela avec élégance, sans me sentir comme un animal en cage», confie-t-elle.

En vérité, la jeune femme de 30 ans a toujours été entourée d’une attention particulière puisque ses parents sont Lisa Bonet, de la populaire série The Cosby Show, et la star du rock Lenny Kravitz. Zoë a néanmoins construit sa carrière toute seule et si celle-ci connaît un essor fulgurant, c’est grâce à son talent, à son travail acharné ainsi qu’à son flair imparable pour débusquer d’excellents scénarios. «À l’école secondaire, se rappelle-t-elle, quand une fille ne m’aimait pas, la première chose qu’elle me disait c’était: “Tu te crois meilleure que les autres à cause de tes parents!” Plus tard, ça s’est transformé en: “C’est parce que tes parents sont untel et unetelle que tu as eu ce rôle!” Je trouve important de reconnaître que les portes se sont ouvertes plus facilement pour moi grâce à mon père et à ma mère. Certains artistes travaillent d’arrachepied toute leur vie sans même qu’un agent les rappelle. Les gens auront toujours tendance à penser que je dois ce que je suis devenue à ma famille. C’est ma responsabilité de travailler d’autant plus fort afin de leur prouver le contraire.»

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Bonet et Kravitz ont mis fin à leur union alors que Zoë avait tout juste deux ans. La petite fille et sa mère ont continué à vivre dans le paradis hippie chic de Topanga Canyon, au coeur des montagnes de Santa Monica. «Ma mère a réussi à me protéger. J’ai grandi sans télévision ni Internet à la maison. Je n’avais droit qu’à un film par fin de semaine, sur VHS, que ma mère choisissait», racontet- elle. En revanche, elle a évolué toute son enfance parmi les plus grandes célébrités de la planète. Elle se souvient entre autres d’un après-midi de glissade sur tubes avec Mick Jagger. La fillette n’a pas mis très longtemps à réaliser qu’elle n’était pas tout à fait comme les autres enfants: «Mon père venait me chercher après les cours et toute l’école s’agglutinait dans le stationnement.»

Celui-ci a déménagé à Miami et sa fille l’y a rejoint alors qu’elle avait 11 ans, mais la cohabitation n’a pas été un succès. «C’était une période difficile, car j’essayais de trouver qui j’étais, se remémore-t-elle. Je fréquentais une école privée de Miami, entourée d’enfants riches, en grande majorité blancs. J’avais l’impression d’être anormale parce que j’étais différente. Les plus petits, à l’école, me demandaient s’ils pouvaient toucher mes cheveux. Je voulais les défriser, rappeler aux autres que j’étais à moitié blanche.» Ces insécurités ont entraîné des désordres alimentaires, qui semblent désormais derrière elle, puisque Zoë affirme ne plus être obsédée par la nourriture et faire de son mieux pour être à l’écoute de son corps: «J’ai traversé une phase vraiment déconcertante. J’étais petite et brune, mais entourée de filles grandes, blondes et à la poitrine généreuse. En plus, mon père sortait avec des top-modèles, si bien que je croisais des femmes comme Adriana Lima en me levant le matin. Mais je suis contente de ne pas avoir pu compter sur la beauté comme béquille. Je n’ai ainsi pas eu le choix de développer ma personnalité.»

Lentement, mais sûrement

Zoë Kravitz avait 15 ans lorsqu’elle est déménagée à New York. Après avoir terminé ses études secondaires, elle s’est inscrite à un programme d’art dramatique, pour l’abandonner un an plus tard afin de lancer sa carrière… et explorer intensivement le côté festif de la ville. «Je n’ai pas eu à aller en cure de désintoxication ou quoi que ce soit du genre. Disons que j’étais simplement une fille qui vivait à New York et qui avait assez d’argent pour boire.» Elle a décroché de petits rôles, dont son tout premier, celui d’une gardienne gothique dans le film No Reservations, tout en démarrant un groupe électro-R&B en 2013, Lolawolf, avec son ami Jimmy Giannopoulos. On a alors commencé à la voir apparaître sur les tapis rouges et dans les tabloïds, mais les choses ne se sont vraiment enflammées qu’avec Mad Max: Fury Road, qui a généré des centaines de millions de dollars en 2015. Dans cet univers dystopique, Zoë incarnait Toast la Savante, l’épouse d’un despote dont elle parvient à s’affranchir. «Mon agent devait me forcer à passer de grosses auditions parce que je voulais plutôt faire du théâtre et des films indépendants. J’étais persuadée de ne pas avoir ma place.» C’est toutefois son personnage de Bonnie dans Big Little Lies qui lui a valu d’être reconnue comme une actrice à part entière. Cette série, dont la première saison a été réalisée par Jean-Marc Vallée, suit un groupe de femmes aisées, interprétées par Nicole Kidman, Laura Dern, Reese Witherspoon et Shailene Woodley, alors qu’elles découvrent des vérités troublantes concernant leur communauté. L’émission, qui aborde des sujets tels que le viol, la violence conjugale et le meurtre, est instantanément devenue un phénomène et a remporté huit prix Emmy. La diffusion a commencé un mois après l’investiture de Donald Trump, et le message de solidarité féminine qu’elle véhicule a trouvé une résonance auprès du public. «C’est quelque chose que les gens voulaient voir: des femmes se tenant debout et se soutenant les unes les autres. Le mouvement #MeToo est né tout de suite après.» Nul doute que la deuxième saison, prévue pour juin sur HBO, risque d’attirer l’attention. Selon les premières images, l’émission mettra à mal quelques relations… À suivre!

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Sur les chapeaux de roue

L’implication politique de l’actrice s’est d’ailleurs énormément accrue depuis la victoire de Donald Trump. Dès le lendemain de son arrivée au pouvoir, Zoë a participé à la Marche des femmes, à Los Angeles, puis à des campagnes de sensibilisation aux dangers des armes à feu, en plus de militer pour que les familles d’immigrants puissent rester ensemble. Aussi, elle se sert souvent d’Instagram pour dénoncer ce qu’elle estime injuste. Et c’est en constatant les rôles décevants offerts aux femmes noires qu’elle s’est rendue compte qu’elle devait agir si elle souhaitait que les choses évoluent, quitte à devenir réalisatrice ou scénariste elle-même. «Je lis des scénarios et je me dis: “Où est mon histoire là-dedans?” Souvent, les rôles écrits pour des femmes sont accessoires par rapport aux personnages masculins, tout comme ceux pour les membres des minorités par rapport aux blancs. Si un scénario souligne qu’un personnage est afrodescendant, on sait déjà comment il va s’exprimer: on va ajouter de l’attitude, un ton stéréotypé. Ce que je veux, c’est créer des personnages pour les femmes et les gens issus de la diversité qui ressemblent à de vrais individus, qui sont complexes, réalistes et qui ne servent pas uniquement à nourrir la quête du héros blanc.»

Zoë Kravitz y arrive de belle façon en obtenant le rôle principal dans l’adaptation télévisée de High Fidelity, qui sera diffusée sur Disney à la fin de 2019. À l’image de John Cusack dans le film culte, l’actrice jouera une propriétaire de magasin de disques obsédée par la musique, qui tentera de comprendre l’échec de toutes ses relations amoureuses. Un personnage complexe, à sa mesure. Tout comme la sorcière excentrique qu’elle campe dans Fantastic Beasts: The Crimes of Grindelwald, le deuxième antépisode de la série Harry Potter. «Elle est importante dans l’histoire et sa personnalité est vraiment unique», observe l’actrice, qui dit aussi adorer l’aspect magique de l’univers de ce film. Car oui, Zoë Kravitz est impliquée politiquement et pourfend les injustices, mais ça ne veut pas dire qu’elle n’éprouve pas de temps à autre le désir de s’asseoir dans une salle sombre et d’oublier ce qui va de travers dans le monde. L’artiste aime aussi troquer son attirail quotidien contre d’élégants bijoux et vêtements destinés aux tapis rouges. Se moquant volontiers ellemême de son look hippie, elle raconte que celui-ci amène la plupart des gens à croire qu’elle est végane, alors que ce n’est pas le cas.

Il est rafraîchissant de constater à quel point Zoë Kravitz demeure lucide quant à l’image qu’elle projette, contrairement à tant d’acteurs. Les compliments, elle les accepte, considérant qu’ils s’intègrent dans le long processus qui l’a menée à avoir confiance en elle. «C’est important d’être humble, mais je veux aussi me sentir belle. Les gens viennent me voir dans la rue et me disent que je suis jolie et, pourtant, je ressens encore de l’insécurité. Je veux m’aimer. Cette énergie-là est bonne pour la santé.» Lorsqu’on lui demande si la perspective de s’aventurer encore plus loin dans le monde merveilleux de la célébrité hollywoodienne risque d’entrer en conflit avec son désir de rester humble – ou, pour reprendre un cliché éculé, de rester vraie –, elle dit ne pas s’inquiéter. «Même si je participe à un film à gros budget, une machine à profits, j’essaie toujours d’être honnête au moment où je tourne une scène, affirme l’actrice. Je ne veux jamais sentir que je fais semblant.» À l’écouter, on doute fort qu’elle puisse un jour aller à l’encontre de ses convictions.

Crédit photos: Alexander Saladrigas

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