Une courte bio

Alors que tant d’acteurs de Hollywood tentent de se conformer aux figures imposées par l’industrie, Viggo Mortensen, lui, vit sa vie. Pas question pour lui de rôles tout faits, de sentiments préfabriqués, de routes toutes tracées. La cinquantaine splendide, l’acteur, né à New York d’un père danois et d’une mère américaine, est fait pour emprunter les chemins peu fréquentés, comme le font tous les hommes libres. Son parcours? Atypique, jalonné tant par des films hors normes (The Portrait of a Lady, de Jane Campion, Psycho, de Gus Van Sant) que par des oeuvres obscures (Albino Alligator, de Kevin Spacey, Alatriste, d’Agustin Diaz Yanes) ou prestigieuses (A History of Violence et Eastern Promises,de David Cronenberg).

Préférant la durée à la vitesse, Viggo Mortensen a 43 ans lorsqu’il prête ses traits au célèbre personnage d’Aragorn, dans le premier volet de la trilogie du Seigneur des anneaux, en 2001. Un rôle qui lui permet de donner la pleine (dé)mesure de son talent et qui le hisse au rang des acteurs les plus fascinants de la planète. Et, avouons-le, les plus sexys aussi… En dehors de son métier d’acteur, il continue de mener sa vie d’artiste underground, loin des projecteurs. Véritable homme de la Renaissance, Viggo Mortensen est à la fois acteur, poète, peintre, éditeur, photographe et musicien. Grand voyageur, il maîtrise plusieurs langues, dont l’espagnol, le danois, le norvégien et le français, qu’il parle avec un accent délicieux. J’ai attrapé la star à New York le lendemain de son passage au Festival international du film de Toronto, où il présentait Appaloosa, un western dont il partage l’affiche avec Ed Harris et Renée Zellweger. Plutôt réservé et jaloux de son intimité, Viggo Mortensen s’est pourtant ouvert sans détour sur sa vie d’homme, d’artiste et de père. En revanche, pas un mot sur sa vie amoureuse. Niet. «Je finis toujours par le regretter lorsque je parle de mes trucs personnels», a-t-il déjà confié en entrevue. Tout ce qu’on sait de lui, c’est qu’il a été marié pendant neuf ans à Exene Cervenka, chanteuse du groupe punk X, avec qui il a eu un fils, Henry, aujourd’hui âgé de 20 ans. Ajoutons une relation de courte durée avec Lola Schnabel, fille du peintre et cinéaste Julian Schnabel (Le scaphandre et le papillon), et le mystère demeure entier. Inutile d’insister.

Pour le reste, il était étonnant de naturel au bout du fil, alternant avec aisance entre le français et l’anglais, histoire d’exprimer plus rapidement sa pensée. Obsédé, de son propre aveu, par le besoin d’être attentif à tout ce que la vie a à offrir, il s’est entretenu avec moi pendant deux longues heures, comme s’il avait tout le temps du monde, en laissant tomber très vite le vouvoiement. Sa voix? Feutrée, soyeuse, de celles qui demandent une attention soutenue, scandée çà et là d’un rire sonore. Je l’avoue, j’ai fondu. Mon seul regret? Celui de ne pas l’avoir interviewé en personne (mais peut-être me suis-je épargné l’évanouissement).

En guise de consolation, Viggo m’a gentiment permis de mieux l’imaginer au téléphone: «Je suis étendu sur le canapé de ma chambre d’hôtel, qui est un fouillis total depuis mon arrivée. J’ai la manie d’ouvrir ma valise et de tout éparpiller sur le sol. Il y a donc des livres, des papiers et des fringues partout.» Et côté vestimentaire? «La clim est glaciale, alors je porte un pantalon de jogging et un chandail de hockey à manches longues de Kovalev», m’a révélé ce grand fan des Canadiens de Montréal. «Et puis, je suis pieds nus.» Une façon de lancer notre conversation de façon décontractée.

Le perfectionniste aux pieds nus

Sur une note plus légère, à quoi vous est-il impossible de résister?
Au chocolat… noir, de préférence.

C’est vrai que vous en offrez souvent sur les plateaux de tournage? J’ai lu notamment que vous aviez donné des truffes saupoudrées de bacon à Renée Zellweger, votre partenaire dans Appaloosa?
J’aime bien offrir de petits présents à mes collègues de plateau: des photos, des poèmes que j’ai écrits, des livres, comme ça, sans raison. Ça installe tout de suite un climat de camaraderie, de complicité.

Et vous, vous fait-on souvent des cadeaux?
Euh… pas très souvent, à vrai dire… Mais il y a un jour ou deux, alors que je signais des autographes sur le tapis rouge au Festival de Toronto, un fan m’a offert une rondelle de hockey signée par Jean Béliveau en 1974. C’était trop beau, ça m’a rendu mal à l’aise. Mais quand le mec m’a avoué qu’il n’était pas un grand admirateur des Canadiens, j’ai changé d’avis et j’ai pris sa rondelle. Et je ne le regrette pas!
(fou rire)

Appaloosa a beau être un western classique, avec des duels et des poursuites à cheval, c’est d’abord un film sur l’amitié masculine, non?
Totalement, et c’est d’ailleurs sa force. L’idée de montrer l’amitié et la loyauté entre hommes, sans complaisance, est touchante. Entre les deux justiciers, Cole et Hitch, existent une sorte de pudeur – propre aux hommes, j’imagine – et une confiance absolue. C’est une chose qu’Ed Harris, qui a réalisé le film en plus de jouer le rôle du marshal, a su traduire avec justesse. Ces deux hommes cavalent ensemble depuis 12 ans. Ils se respectent tout en étant très lucides l’un par rapport à l’autre. Pour moi, un ami, c’est ça: quelqu’un d’assez courageux pour nous dire la vérité, même si ce n’est pas toujours ce que nous voulons entendre.

Est-ce une des valeurs que vous tentez d’inculquer à votre fils, Henry?
Ouais, j’essaie. J’espère aussi lui avoir transmis le courage de poser des questions et de ne pas se satisfaire de réponses vides ou insignifiantes. J’ai une très belle relation avec mon fils. On est très proches. On voyage ensemble, on va au cinéma, on joue de la musique dès qu’on le peut. Il est allumé et il m’apprend des tas de choses sur la vie. [Henry, grand amateur de Tolkien, l’a convaincu d’accepter le rôle d’Aragorn, dans la trilogie du Seigneur des anneaux, même si cette aventure allait les séparer pendant plusieurs mois.] Ce soir, d’ailleurs, on va manger ensemble dans un petit resto de New York, comme des amis. Et j’en suis très fier.

À quoi tient ce lien si fort entre vous?
Je l’écoute et je ne le juge pas. Il sait aussi qu’il peut tout me dire et que je ne trahirai jamais ses confidences. Entre nous, ça vaut mieux, parce que mon fils, c’est du costaud: il me dépasse de trois pouces! [Viggo mesure 6 pieds]

Ça vous dirait de parler de votre passion pour les chevaux? [L’acteur est porte-parole de l’American Wild Horse Preservation Campaign, une association pour la sauvegarde des chevaux sauvages.] Que vous apportent-ils que vous ne trouvez pas ailleurs?
Hum, bonne question… Tu sais, les chevaux sentent tout: notre affection pour eux comme notre malaise ou notre peur. Il faut prendre le temps de les apprivoiser, de tisser un lien avec eux, sinon, c’est foutu. Savais-tu qu’il ne faut jamais regarder un cheval droit dans les yeux? Ça le terrorise! Il nous prend pour un prédateur; il se braque et devient impossible à monter. Il vaut mieux y aller en douceur. Durant le tournage d’Appaloosa, j’ai eu affaire à une bête particulièrement rebelle. Au moment de jouer une scène, j’ai demandé à son éleveur de me laisser seul avec elle, pour établir un lien de confiance. Ce n’était pas gagné d’avance, mais ma patience a porté ses fruits. Le cheval est devenu plus docile.

Murmurez-vous à l’oreille des chevaux?
Non, je suis simplement attentif à eux. C’est la même chose dans ma vie. Quand je peins un tableau ou que je prends des photos sur un plateau, je tente d’être présent à tout. La vie est si courte! Je me dis souvent: «Go slow to go fast», pour me souvenir de prendre mon temps afin de savourer le plus de choses possible.

ON VOIT VIGGO DANS…

  • The Road Un père (Mortensen) et son fils (Kodi Smit-McPhee, jeune prodige australien) tentent de survivre dans un monde anéanti par une catastrophe. Ce film de John Hillcoat est tiré du roman The Road (La route), best-seller mondial et récipiendaire du prix Pulitzer. Auteur de No Country for Old Men (Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme), Cormac McCarthy a écrit cette fois une réflexion sur l’avenir de l’humanité (sortie en janvier 2009).
  • Good Les années 1930, Francfort, en pleine montée du nazisme. Un prof allemand (Mortensen) se laisse séduire par les idées du IIIe Reich, et se débat avec sa famille et ses proches, de même qu’avec la moralité de son enseignement. Un film du cinéaste brésilien Vicente Amorim, sur le sens profond de nos choix et leurs conséquences.

    Article publié originalement dans le magazine ELLE QUÉBEC

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