Son geste, apparemment désinvolte, a néanmoins contribué à relancer le débat sur les diktats de l’industrie, de la presse et d’une partie du public à propos de l’image des artistes féminines. Mais la chanteuse, qui a convaincu quelques récalcitrants par la seule force de son talent, compte encore nombre de détracteurs pas toujours polis.

Pour aborder son nouvel EP, une étude de contrastes intitulée Seum, il semble approprié de commencer par la pochette, entièrement conçue et créée par Safia elle-même. Côté gauche, on reconnaît l’épaulard qui flottait librement dans le bleu infini de son premier album, Limoilou, sauf que cette fois-ci, il semble à l’étroit dans un aquarium trop petit pour le contenir. Côté droit, une pierre tombale sur laquelle on voit un visage familier, la mention «Babye» et les dates 1992-2020. Au centre de l’image, devant un arc-en-ciel et une pluie de sang, Safia elle-même, portant un costume de Tigrou et affichant la moue d’une fille qui n’entend pas à rire. «C’est une espèce de party mix de choses semi-significatives, mais ce qui compte d’abord et avant tout, c’est que j’ai décidé de faire moi-même la pochette, explique Safia. La pierre tombale est un message assez direct: cette version de moi, blonde avec des lunettes, n’existe plus. Cette année, j’ai décidé de me réapproprier mon histoire. Le fait que je me rase la tête – même si c’était d’abord pour Leucan – et que je me fasse opérer aux yeux, c’était une façon de me réinventer, d’atteindre la deuxième évolution de mon personnage Pokémon. Je vais le dire à la manière de Taylor Swift: “The old Safia is dead!”»

Safia Nolin, Seum (Bonsound)

Au cours d’une conversation comme dans son œuvre, Safia multiplie les références à la culture populaire, mélangeant allègrement les genres et les époques. Admiratrice finie de pop (elle admire autant Dua Lipa que Charlotte Cardin), elle a aussi puisé dans la musique emo, qui a bercé son adolescence. Plutôt que de se confiner à des versions acoustiques, comme elle l’avait fait avec ses reprises des groupes My Chemical Romance, Taking Back Sunday et Paramore il y a quelques années, elle a adopté une approche double en présentant ses chansons dans une version dépouillée, puis dans une version jouée en groupe avec une énergie presque grunge. PLS, le premier extrait de son mini-album, passe ainsi d’une délicate ballade mélancolique à un crescendo punk qui aboutit dans un torrent de cris et de guitares furieuses. «Je ne voulais pas choisir, alors j’ai mis les deux versions! dit Safia. Les versions acoustiques montrent comment les chansons sont nées, et les versions en band soulignent l’apport des autres musiciens. Avoir d’autres personnes en studio, qui donnent leur opinion, c’est exactement ce que je voulais. Et tout a été fait de façon absolument organique.»

«C’est clair qu’aucune de mes tounes ne vient d’une place lumineuse, mais ça ne veut pas dire que tout est sombre dans ma vie.»

Quant au titre, il semble s’être imposé, comme le reste, de façon très naturelle. Seum, un mot peu usité au Québec, mais courant dans l’argot français, signifie «venin» en arabe et décrit le fait d’avoir la rage. «J’aimais l’idée que ce soit un mot arabe, et c’est vraiment le seul titre qui “fittait” avec ce projet, explique Safia. La colère, c’est une émotion légitime, et le moins que je puisse dire, c’est que j’ai été en “tabarnak” dans la dernière année.» L’est-elle toujours? Oui, bien sûr, mais elle n’est pas que ça, Safia… La rage peut être une énergie, comme le disait Johnny Rotten, mais il faut pouvoir s’en détacher. Safia le sait. «C’est clair qu’aucune de mes tounes ne vient d’une place lumineuse, mais ça ne veut pas dire que tout est sombre dans ma vie. Mes moments de bonheur, je les garde pour moi, c’est mon carburant.»

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