On a ri. On a pleuré. On s’est extasiées et indignées aussi, de tout et de rien. Pendant quatre heures, qui ont filé à une vitesse folle dans un bistro du centre-ville, tout y est passé: ses amours à distance, ses premiers escarpins Chanel, sa vision critique du showbiz, sa hantise du pouvoir, ses rendez-vous manqués, ses fantasmes d’hommes machos, ses blessures secrètes, et quoi encore? Normal. À 58 ans, celle qu’on a découverte comme VJ à Musique Plus en 1986, puis intervieweuse de vedettes internationales a tout vu, tout connu, tout entendu. Et c’est une fête d’écouter Sonia Benezra raconter de sa voix haut perchée comment elle a suggéré une règle de vie à Tina Turner, coiffé Ginette Reno avant une entrevue, bu les paroles consolatrices de Leonard Cohen alors qu’elle vivait un chagrin d’amour ou pleuré sa vie après un entretien cauchemardesque avec Sting… De ses 32 ans de métier, pendant lesquels elle a autant atteint des sommets de popularité que connu d’arides passages à vide, elle a acquis une grande liberté. De celles qui lui permettent de se défaire de son image de «fille-trop-gentille» et de clamer sa différence avec une irrésistible drôlerie. Et que dire de sa façon de ponctuer ses propos d’un «sweetie», «honey» ou «ma chérie» ou de lancer, en savourant une frite avec ketchup, qu’elle est «dans une période rrrrronde» et qu’elle s’en balance? Que dire de plus sinon que Sonia Benezra est heureuse d’être là… pour de bon.

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Photographe: Max Abadian | Direction mode: Anthony Mitropoulos | Stylisme: Véronique Delisle

Sonia, question toute simple: es-tu contente d’être revenue? Oui! C’est un retour tellement inattendu. Je ne dirais pas qu’il était inespéré, car je gardais la foi, mais c’est un cadeau. Quand on m’a proposé d’animer une émission de variétés musicale, je n’en suis pas revenue. Je suis une fille de direct, babe. Je carbure à l’adrénaline, alors je suis trrrrrès heureuse d’être de nouveau à l’écran!

Allons dans le vif du sujet. Qu’as-tu appris de tes six ans passés loin des projecteurs? Que je n’étais pas attachée à la célébrité. Ce qui me manquait, c’était les rencontres et les échanges avec le public. Oui, j’ai aimé mes moments de gloire, mais je n’en ai jamais été addict!

Pourtant, ta popularité t’a apporté un immense pouvoir, non? Du pouvoir? Jamais de la vie! Tu sais pourquoi, honey? Parce que je n’ai pas su le prendre, le pouvoir! Je pense que je n’en voulais pas. Oui, j’aurais pu produire, et je n’ai pas osé. Je me disais que ça ne m’intéressait pas, que c’était trop gros pour moi. Ce qui n’était pas nécessairement le cas. Je n’ai que moi à blâmer, you know.

C’est comme si tu n’avais pas saisi ta chance, en somme… Je m’estime chanceuse, mais je n’ai pas su me dire «yeah, you deserve it!» à l’époque. J’ai toujours senti que je devais travailler plus fort que les autres pour prouver que je méritais ma place.

Dirais-tu que ton approche a été payante? [Elle réfléchit, désarmée.] C’est une excellente question. Euh oui, elle l’a été, dans le sens où j’ai toujours été fidèle à moi-même. Est-ce qu’elle l’a été sur le plan financier? Nooo. J’aurais pu mieux m’entourer, avoir accès à une «grosse machine» et faire les choses autrement…

Tu le regrettes? Non, car je suis restée authentique. Prends les États-Unis: j’aurais pu y travailler, mais je ne l’ai pas fait, par attachement à ma famille, entre autres. Avec le recul, je réalise qu’en ayant reçu les plus grandes vedettes à Montréal, j’ai eu une carrière internationale sans avoir à quitter le Québec!

À tes débuts en 1986, à Musique Plus, qu’est-ce qui te faisait avancer malgré les commentaires sur ta différence culturelle et ton extravagance? Je voulais tellement qu’on m’aime. Plus jeune, c’était trrrrès important pour moi de montrer la gentille fille en moi, malgré la rage que j’éprouvais parfois. J’aurais dû dire «Fuck it!» plus souvent aux personnes qui le méritaient (rire jubilatoire). Aujourd’hui, je m’en fous si on ne m’aime pas! Ç’a été un long chemin…

Avoue que c’est ironique, quand on sait que ton émission s’intitule Tout le monde aime, tu ne trouves pas? Oui, et ça arrive au moment dans ma vie où je peux dire sin-cè-re-ment que je n’aime pas tout le monde! (rires)

Qu’est-ce qu’on n’a pas bien perçu de toi? Je me suis toujours fait dire que j’étais différente. Or c’est justement cette différence qui m’a propulsée au sommet. Le public a toujours compris qui j’étais. Il ne m’a jamais abandonnée. Mais l’industrie ne prend pas toujours le pouls du public…

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Photographe: Max Abadian | Direction mode: Anthony Mitropoulos | Stylisme: Véronique Delisle

Dirais-tu la même chose de certains critiques qui se sont montrés mitigés après la diffusion de ta nouvelle émission? Ils ont droit à leur opinion. Il y a de petits ajustements à faire, mais je fais l’émission que je rêvais de faire, et j’en suis fière! Moi, j’adore faire chanter ensemble des artistes de toutes les générations, comme Michel Louvain et Ludovick Bourgeois. Je n’ai pas honte d’aimer la musique d’il y a 30 ans, tout comme celle de Cardi B! Cela dit, je suis contre l’idée que tout doit être absolument grandiose à l’écran. Non, il n’y aura pas d’atterrissage d’hélicoptère sur le toit! Sorry, ça n’arrivera pas. And you know what? Le public est avec nous, et c’est ce qui compte le plus pour moi.

Tu as raconté tes déboires amoureux dans ta biographie (Je ne regrette presque rien, écrite par Lise Ravary, en 2014), tu es célibataire et sans enfants. Te sens-tu prête à retomber amoureuse? J’ai connu l’amour. Et j’ai eu tort de dire que mes relations amoureuses étaient ratées. Mais si je rencontrais un homme fantastique, je l’épouserais sans hésiter! J’écoute Say Yes to the Dress en rafale! Helloooo! J’adooore cette émission! [s’amuse-t-elle en agitant une frite dans les airs]

Plus sérieusement… Je t’avoue que j’aimerais bien rencontrer un homme un peu macho. Ça m’a toujours plu. Je l’assume parce que pour moi, macho ne veut pas dire abuseur ou dictateur! J’aime un homme qui exprime sa masculinité, qui sait prendre des décisions, qui a du succès et qui travaille fort. Comme je prends soin des autres tout le temps, ça me ferait du bien d’être avec quelqu’un qui prendrait certaines choses en main sans me les imposer.

En somme, tu as besoin d’alléger ton existence – avec ou sans la présence d’un homme dans ta vie… C’est ma faute si j’accepte d’en faire autant. Il y a mon métier, mais aussi ma mère malade, Perla, une femme délicieuse, dont je m’occupe: je la lave, je la dorlote, j’écoute des films hollywoodiens en noir et blanc avec elle… Chaque soir [sa voix est brisée par l’émotion], elle met sa main sur ma tête en me disant: «Que Dieu te bénisse pour la façon dont tu prends soin de moi». Dans ma famille, si l’un d’entre nous souffre, tout le monde souffre. [elle s’interrompt pour mieux commander un second café noir]

Sur une note plus légère, on connaît ta passion pour la mode. Envisages-tu de relancer ta collection de vêtements? J’ai fait face à des soucis d’approvisionnement depuis le lancement en 2017, mais j’y pense sérieusement. Je songe aussi à créer une gamme de produits cosmétiques et de soins pour la peau. Je sens que c’est le bon timing!

En terminant, y’a-t-il un piège que tu as su éviter au cours de ta carrière? J’ai su rester humble, même en pleine gloire. C’est facile de croire que tu es vraiment très spéciale quand tu collectionnes les prix Gémeaux et MétroStar [NDLR: aujourd’hui, les prix Artis]! J’ai toujours été émerveillée de ce qui m’arrivait. J’ai même trop dit merci. D’ailleurs, j’ai une amie, avec laquelle je voyage, qui menace de ne plus me parler si je prononce encore le mot «merci»! Mais tu sais quoi? C’est peut-être elle qui devrait dire «merci» plus souvent! (rires) Ainsi va la vie, sweetie!