Quand elle a reçu le courriel de son agent l’invitant à passer une audition pour Les pays d’en haut, Sarah-Jeanne Labrosse a d’abord cru à une erreur. «Hein, moi? Jouer Donalda? J’suis bien trop tough pour ça!» me raconte la jeune actrice au visage d’ange. «Ben oui, tough, poursuit-elle en voyant mon air ahuri. Mon énergie intérieure est plutôt masculine. Depuis mes débuts, je joue toujours des filles fortes, des filles dures. Bon, OK, mon personnage dans Le chalet est moins comme ça…», concède celle qui, dès janvier prochain, prêtera ses traits à Donalda dans le très attendu remake télévisuel Les pays d’en haut (ICI Radio-Canada Télé). Un défi vertigineux pour Sarah-Jeanne, qu’on retrouvera également dans les populaires téléséries Le chalet et L’appart du 5e (VRAK), ainsi que dans l’hilarante sitcom Madame Lebrun (Super Écran). Plus tard cette année, elle envahira également le grand écran dans Un jour mon prince…, de la réalisatrice française Flavia Coste, un conte de fées urbain qui s’amuse à bousculer les mythes amoureux. Aucun doute, c’est son année!

C’est toujours émouvant de suivre le parcours d’une artiste. De la voir passer du statut de débutante frémissante à celui d’étoile montante au talent confirmé. Sarah-Jeanne s’est d’abord fait remarquer du grand public en 2009, dans la série Yamaska, avant de le conquérir en se joignant à la distribution d’Unité 9, en 2012. Aujourd’hui, l’actrice de 24 ans, qui a remporté les prix de la personnalité et de la comédienne de l’année au dernier KARV, l’anti.gala, est une valeur sûre, comme on dit dans le métier. Pourtant, elle garde la tête froide, les pieds sur terre et le cœur à la bonne place. «Ça fait beaucoup d’attention pour ma petite personne», laisse-t-elle tomber humblement, assise à une table du resto à l’ambiance familiale et «sans flafla» où elle m’a donné rendez-vous. Avec ses boucles blondes, son regard vif et son sourire XXL, elle n’a pas beaucoup changé depuis ma rencontre avec elle, à l’été 2013, alors qu’elle posait pour la première fois en couverture de ELLE QUÉBEC. Si elle a perdu sa baby face, comme elle le dit spontanément, elle a toujours le même optimisme rayonnant et cet aplomb dénué de toute prétention, qui nous donnent très envie de la suivre et de l’écouter…

Dans Les pays d’en haut, tu t’attaques à l’une des figures mythiques de la culture québécoise, maintes fois interprétée depuis 1939. À quoi ressemble ta Donalda?

Pour moi, c’est une force tranquille. Loin de la femme soumise qu’on a eu l’habitude de voir. Donalda reste une femme incomprise. Ce qui est bien avec la nouvelle série, c’est qu’on aura accès à ses réflexions intimes. Je pense que ça nous permettra de mieux saisir ses choix de vie parfois énigmatiques…

Quel aspect de Donalda as-tu eu le plus de mal à t’approprier?

À part son corset, qui m’a demandé une longue adaptation? (Éclat de rire) Je ne le savais pas, mais un corset, ça change la posture, ça coupe la respiration et ça donne mal au ventre… Heureusement, après quelques semaines, je ne le sentais plus! J’oubliais même de l’enlever à l’heure du lunch… (Elle sourit, puis elle réfléchit longuement.) Mais bon, ce que j’ai trouvé le plus difficile à jouer, c’est la peine de Donalda. Elle a eu un destin tragique. Elle a vécu plein de drames que je ne pouvais pas alléger.

Ça t’a entraînée dans les replis obscurs du personnage?

Complètement. J’ai ressenti sa rage et sa douleur pendant les deux mois de tournage. Ç’a été très deep. Tu dois vivre les émotions pour pouvoir les jouer. Mais ton corps, lui, ne sait pas que tu ne les vis pas pour vrai..

Alors, toi qui mènes une vie lumineuse, dans quoi as-tu puisé pour jouer cette douleur?

Il a fallu que j’invente. Que je puise dans mon empathie pour Donalda et que je me mette dans sa peau. C’est une vraie composition! Dès que je me suis sentie proche d’elle, je l’ai portée en moi. Je ne pense pas qu’il faut avoir tout vécu pour jouer. Mais il faut avoir beaucoup d’intérêt et de compassion pour les sentiments humains.

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Quel effet ça te fait de savoir que la série, qui a beau promettre de jeter un nouvel éclairage, cru et sans merci, sur le roman de Claude-Henri Grignon, est attendue avec une brique et un fanal par les plus sceptiques?

Je ne comprends pas pourquoi ça suscite une telle réaction. Combien de fois a-t-on ressuscité Roméo et Juliette, Les Misérables et Sherlock Holmes? Ce n’est pas parce qu’on refait Les belles histoires qu’on est un petit peuple sans imagination! L’idée, c’est de raconter autrement la conquête du Nord et de la faire découvrir aux nouvelles générations. C’est un thriller, filmé avec une techno d’enfer, qui dépasse le triangle amoureux entre Séraphin, Donalda et Alexis. Ce serait tellement le fun que les 18 à 35 ans l’écoutent!

Comment vois-tu la relation entre Donalda et Alexis, qu’on qualifie souvent d’amour impossible?

À mes yeux, ce n’est pas un amour impossible, mais aveugle. Donalda fantasme sur sa relation avec Alexis, le bel infidèle qui la laisse sans nouvelles. Elle s’accroche désespérément aux mots doux qu’il lui a dit et espère… en vain. L’histoire a beau remonter à l’époque de la colonisation, on croise encore beaucoup d’hommes comme Alexis aujourd’hui, n’est-ce pas? Oui, ça existe encore. Des manipulateurs qui veulent séduire à tout prix… Mais moi, je ne les attire pas! (rires) Plus jeune, je me suis déjà laissé charmer par ce genre de gars-là; par contre, je n’ai jamais été aveugle. Après, j’ai toujours eu des copains avec qui tout était clair. Le hasard a fait qu’ils avaient des parents aussi amoureux et unis que les miens. C’est un modèle très inspirant!

Il y a deux ans, lors de notre rencontre pour ELLE QUÉBEC, tu rêvais d’amour, d’une maison et d’enfants qui courent partout…

C’est vrai! C’était au tout début de ma relation avec mon copain, Olivier (Larouche). Aujourd’hui, on vit ensemble. On n’a pas encore d’enfants – j’espère en avoir dans quelques années -, mais on a une maison avec une grande cour et deux chats, Thelma et Louis. On a aussi des cailles, dont on mange les œufs. Je suis choyée.

Tu rêvais aussi de rôles qui te posent de grands défis. Dans Un jour mon prince…, une comédie dans laquelle tu as tourné en France, tu incarnes une fée québécoise déjantée. Ça t’a plu?

J’ai adoré ça! Ça ne ressemble à rien de ce que j’ai fait auparavant. C’est une comédie romantique un peu trash, tout à fait unique. Mylène St-Sauveur et moi, on joue deux fées québécoises à la recherche d’un prince pour la Belle au bois dormant, en plein Paris. C’est drôle, c’est fou! Tout est risqué dans ce film: le ton, le contexte, le jeu. Bref, ça passe ou ça casse!

On est loin de l’humour bon enfant de la série télé Le chalet, où tu interprètes un personnage qui te ressemble assez, à ce qu’on dit.

C’est vrai. Tout comme moi, Sarah tricote et fait du sport. Elle aime l’amour et adore rassembler ses amis. Ces ressemblances entre les personnages et les comédiens sont voulues: les auteurs se sont inspirés de nos tempéraments respectifs – et pas de nos vies, je le précise – pour écrire nos rôles. C’est ce qui nous rend crédibles, je pense.

Comment expliques-tu l’énorme succès de la série auprès des jeunes et des moins jeunes?

Le premier coup de génie a été de mettre en scène une vraie gang d’amis. Le deuxième, c’est de ne pas avoir choisi des gars et des filles de 30 ans pour jouer des jeunes. Et le troisième, c’est de nous laisser énormément de liberté. Dans la vie, on est vraiment une gang de bests à la fin de leur adolescence. Ce qu’on vit – que ce soit nos histoires d’amour, nos doutes ou nos déchirements – arrive à des gens de tous les âges. Alors, tout le monde peut s’identifier à nous et se laisser toucher.

Tu donnes l’image d’une fille optimiste et combative. Le succès ne te fait pas peur. À 24 ans, te sens-tu comme une fille de ta génération?

Pleinement! J’aime ma génération. Je la trouve éveillée, entreprenante. Elle fait son propre bonheur tout en pensant aux autres. Mes amis croient en l’amour et veulent avoir des enfants plus tôt que la génération X. L’amitié est aussi très importante pour nous…

On dit qu’elle est aussi très attirée par le cash. Quel est ton rapport à l’argent?

Les gens croient que je suis plus riche que je le suis. Mais je te mentirais si je disais que je ne gagne pas beaucoup d’argent. J’ai un bon sens des affaires. Et je suis à l’aise avec le fait de gagner des sous. Depuis les cinq dernières années, je tripe sur l’immobilier. J’aime acheter, rénover et revendre des maisons, mais pas à tout prix. Je suis prévoyante, j’ai la même voiture depuis six ans et je ne dépense pas follement. J’ai envie d’avoir des sous de côté, afin de ne pas en manquer si jamais je travaille moins.

Est-ce qu’on t’a déjà dit non dans le métier?

Oui, plein de fois. J’ai déjà reçu des non catégoriques. D’autres fois, j’ai frôlé le oui: on m’a déjà assuré pendant un mois que j’avais un rôle qui a finalement été confié à une autre. Dans ce métier, ça ne peut pas toujours être oui. C’est bon aussi pour moi de me faire dire non. Ça me remet à ma place.

Te sens-tu parfois prisonnière de ta beauté?

Non, jamais. Zéro! Par exemple, si je pense être bien habillée à un tapis rouge et que je me plante, ça me fait rire. Je rentre chez moi et je me dis que j’ai encore bien d’autres galas pour me reprendre.

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Qu’est-ce qui t’a le plus émue lorsque tu as reçu les prix de la personnalité et de la comédienne de l’année, à KARV, l’anti.gala?

C’est le fait que ce soit arrivé naturellement. Je n’ai rien forcé avec les jeunes. Je partage certaines choses avec eux sur les réseaux sociaux, mais je n’échange pas, par manque de temps. J’ai l’impression que ma relation avec le public est simple et franche. Et l’affection qu’il me porte prouve qu’il aime mon travail. C’est pour ça que ça me touche autant! Mais j’avoue que tout ça m’étonne et reste très mystérieux…

Je t’écoute, et j’ai beau te chercher des zones d’ombre, je n’en trouve pas… (Elle me répond le plus sérieusement du monde:)

C’est parce que je n’en ai pas! Je me mets de la pression pour performer, c’est sûr, mais si ça ne marche pas, je me dis que j’ai donné tout ce que j’avais à donner. Je me donne le droit à l’erreur. Et je crois que le public le sent. Il est indulgent avec moi.

Quel regard poses-tu sur l’avenir?

J’espère toujours me dépasser et apporter une couleur nouvelle à mes rôles. J’ai un très grand désir de surprendre
 et de me surprendre. J’avoue avoir peur d’être «piégée» dans mon 
rôle de Donalda. De ne pas pouvoir m’en défaire. Mais si jamais ça m’arrive, eh bien, je me couperai les cheveux, je ferai deux enfants et je reviendrai sur le devant de la scène, cinq ans plus tard, pour montrer combien j’ai changé. Pour le reste, la vie nous le dira! Elle a toujours été bonne pour moi.  

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