Un vent frais anime la rue new-yorkaise. Les chapeaux s’envolent et les écharpes se nouent à mesure que nous descendons Broadway, à Manhattan, pour nous rendre au grand studio où est photographiée la star internationale Marion Cotillard. On reconnaît une vedette importante à la nuée de personnes qui s’affaire autour d’elle au moment du maquillage: la belle Marion disparaît derrière la petite foule qui entoure la loge de fortune, cloisonnée par une rangée de robes Dior – griffe pour laquelle elle est l’égérie depuis 2008. «No, no, no», chante Amy Winehouse. Nous attendons, avec sous les yeux le recueil Un goût de rouille et d’os, de Craig Davidson. Quelques nouvelles de ce livre ont servi de fil conducteur au dernier film du réalisateur français Jacques Audiard (Un prophète). L’actrice y incarne une dresseuse d’orques, aux côtés de l’excellent Matthias Schoenaerts. C’est peut-être le plus beau rôle de Marion Cotillard: elle est émouvante et sensuelle dans la peau de Stéphanie, une femme aux membres dévorés, qui est en fauteuil roulant. La réussite de sa prestation tient aussi à ce qu’elle ne transforme jamais son personnage en victime. Alors qu’elle joue une beauté superficielle au début, elle resplendit de plus en plus au fil de l’histoire. On en sort lessivé.

Tout à nos rêveries, nous ne remarquons pas tout de suite le plus beau bébé du monde qui se fraie un passage, blotti dans les bras de sa grand-mère. Chacun laisse tomber son livre, son cellulaire, son stylo, son ordinateur… Marion, en pleine séance de maquillage, se lève pour danser avec son bébé. Il rit. Il est adorable. Dans son rôle de maman, Marion ne joue pas, elle est vraiment elle, enchantée par son petit garçon, Marcel, né au printemps 2011. «Il m’a transmis son calme. Avec lui et depuis la grossesse, je suis enfin apaisée et heureuse.» Nous ne nous sommes pas encore dit bonjour, mais l’essentiel, peut-être.

 

Qui est Stéphanie, votre personnage dans De rouille et d’os ? C’est une femme qui s’est laissé envahir par une certaine dureté, jusqu’à ce qu’une rencontre ranime sa lumière. Au début du film, elle est bardée de protections. Le destin lui envoie un homme pas policé. A priori, il n’est pas fait pour elle, mais ils vont se révéler l’un à l’autre. C’est un film sur la force que donne l’amour.

Certaines de vos partenaires de jeu sont des orques. Elles jouaient bien? Leur puissance est magnifique. Néanmoins, incarner leur dresseuse était très particulier, car je ne tolère pas qu’on enferme les animaux. Je ne vais jamais au zoo et je ne visite même pas les aquariums. Même si je savais à quoi j’allais être confrontée, j’ai vraiment joué, au départ, contre mes convictions.

Comment avez-vous fait? Le tournage a commencé après une très courte période de préparation; je venais de prendre part à un film américain. J’étais en plein décalage horaire, dans un état de fragilité, et j’avais très peur de ne pas être à la hauteur. Je suis arrivée à l’aquarium à l’heure du show. Face au spectacle de ces bêtes si obéissantes, je me suis mise à pleurer. Et lorsque Katia, la coach, s’est tournée vers moi, je n’ai pas pu m’empêcher de lui dire l’horreur que l’enfermement des animaux m’inspire.

Avez-vous réussi à modifier votre regard? Je ne voulais surtout pas que Katia pense que je manquais de respect envers son travail. Au fil du tournage, nous sommes devenues très copines. Récemment, nous nous sommes toutes deux avoué que, le premier jour, nous avions cru que nous n’arriverions jamais à collaborer ensemble.

 

Stéphanie perd ses jambes, dévorées par les orques. Comment interprète-t-on une femme mutilée? Déjà, on ne bouge pas, ça aide! Mais cette blessure n’est pas que physique. Avant l’accident, Stéphanie était plongée dans un état où elle n’avait plus conscience de grand-chose. Grâce à son accident, elle devient capable d’aimer et non plus seulement d’être admirée ou de susciter le désir, ce qui la remplit de manière tellement plus intense! Avoir ou non des jambes devient alors presque anecdotique.

Vous venez de jouer à New York dans le film Nightingale, de James Gray, où vous interprétez une prostituée polonaise aux côtés de Jeremy Renner et Joaquin Phoenix. Vous êtes une des vedettes du prochain film de votre conjoint, Guillaume Canet, tourné lui aussi à New York. Aimeriez-vous vous y installer en famille, avec Guillaume et Marcel? J’adore cette ville, et elle a joué un rôle fondamental dans ma vie professionnelle. C’est ici que j’ai pris part au tournage de Nine, c’est ici que je me suis lancée dans la course aux Oscar et c’est ici que je suis venue, très jeune, faire un stage d’immersion chez Berlitz… Mais il n’est pas question de vivre ici. La France me manque.

Quel quartier new-yorkais préférez-vous? Il y en a plusieurs, mais je dirais Chelsea. J’adore me promener sur la High Line, cette ancienne voie de chemin de fer en hauteur, transformée en jardin grâce, notamment, à Diane von Furstenberg. C’est une ville qui concilie la quintessence de l’urbain et le goût de la nature, car celle-ci y reprend sans cesse ses droits. On y sent l’air de l’océan et la douceur des parcs, plus vastes qu’à Paris.

Se sent-on plus libre quand on s’exprime dans une langue étrangère? Oui, il y a une forme de liberté et de jubilation. Je suis beaucoup plus directe, car j’ai moins de vocabulaire. Étrangement, certaines choses deviennent moins éprouvantes quand je parle en anglais. Alors que j’ai la phobie des entrevues au petit écran en France, je trouve qu’être interviewée en anglais pour une télé américaine est presque amusant.

Dans un beau livre, Ils ne sont pour rien dans mes larmes, Olivia Rosenthal demande à différentes personnes quel film a changé leur vie. Que répondriez-vous à cette question? Rangoon, de John Boorman, qui évoque le destin d’Aung San Suu Kyi et de la Birmanie. Je l’ai vu à sa sortie, en 1995, et j’ai compris qu’on n’avait pas le droit, en démocratie, de ne pas s’informer. Ne pas savoir, alors qu’on en a les moyens, c’est cautionner les dictatures. Depuis, je lis les journaux.

 

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