«Je suis une grande peureuse!» affirme Magalie Lépine-Blondeau, dont le trip est pourtant d’explorer en solitaire les coins les plus reculés de la planète. Le jour de notre rencontre, elle s’apprêtait d’ailleurs à partir Dieu sait où pour faire de la plongée avec des requins-baleines. «Mais pas question de laisser mes peurs entraver ma liberté. Je ne recule devant aucun défi! C’est mon paradoxe.» Un de ses paradoxes, devrait-elle dire. La jeune femme en cultive plusieurs.

Même si elle ne craint pas d’explorer les profondeurs des mers, la comédienne, qui se définit comme secrète, considère que sortir vivante d’une entrevue est un méchant contrat. «Les interviews devraient commencer comme les interrogatoires: “Tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous”», lance celle qui incarne Amélie, la travailleuse sociale et amante de Ben (Claude Legault), dans la série policière 19-2. Une chose est certaine, on ne lui collera pas de contravention pour faute de goût. Délicate tunique écrue sur fuseau noir, bottillons de suède rouge pétant, chignon savamment négligé… le tableau d’ensemble est ravissant. Entre nous, Magalie porterait un sac de jute et ça ne changerait rien à l’affaire. Elle possède une élégance naturelle, une féminité innée. «Elle est faite comme un jour de fête, elle est parfaite!» comme dit la ritournelle de Tomas Jensen. Une belle dotée d’un appétit d’ogre. «Un jour, j’ai lu cette citation anonyme sur un mur: “Ce n’est pas parce qu’on n’a besoin de rien qu’on n’a pas envie de tout.” Elle a touché une de mes cordes sensibles, à tel point que je l’ai inscrite sur une ardoise dans ma cuisine. Mes désirs sont sans limites: j’ai faim de tout!»

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Son rire clair éclate, un rire d’enfant contredisant les 31 ans qu’elle ne fait d’ailleurs pas. Un rire qui évoque celui de Mélanie, la pétulante amoureuse de Tu m’aimes-tu?, télésérie qui, en 2012, nous a fait connaître pour de bon la diplômée de l’École nationale de théâtre, qu’on avait surtout vue jusque-là au cinéma (Laurence Anyways) ou comme coanimatrice de l’émission jeunesse Fan club. Il y a aussi eu 19-2 et cet épisode où elle a tourné nue avec Claude Legault. «Ce n’était pas du cul pour du cul. C’était justifié, explique l’actrice. Et Claude a été d’un grand respect. J’ai juste oublié de prévenir ma grand-mère le soir de la diffusion!» Qu’elle ne s’inquiète pas; quiconque la côtoie comprend vite que Magalie Lépine-Blondeau est bien plus qu’un beau body.

À preuve, cette année, elle brillera partout. Dans Deux nuits, le dernier opus de Denys Arcand (dont la sortie est prévue en mai), et Exit, celui de Carole Laure. Sur les planches de la Compagnie Jean Duceppe, on la verra interpréter la vertueuse Madame de Tourvel des Liaisons dangereuses. Puis elle incarnera Roxane dans Cyrano de Bergerac, au TNM, avec Patrice Robitaille. Ai-je mentionné sa participation aux séries Mensonges, à AddikTV, et Ces gars-là, à V? Ouf! Mais il en faudrait bien plus pour affoler la principale intéressée. «Quand je ne suis pas dans un tourbillon de travail, je passe facilement de longues journées sur mon divan, avoue-t-elle en savourant son thé. Lorsque je suis laissée à moi-même, c’est inouï à quel point ma gestion du temps peut être dysfonctionnelle!»

Ce qui est sûr, c’est qu’elle est d’une rigueur absolue dans un domaine: l’expression orale. Recherche du mot exact, obsession de la tournure juste… peu d’artistes maîtrisent aussi bien qu’elle leur langue. «J’y accorde beaucoup d’importance. Pouvoir bien s’exprimer rend libre», affirme celle qui cache dans ses tiroirs plusieurs écrits. Qu’on lira peut-être un jour? Sa moue en dit long. «On verra. Écrire est ma soupape, mais je ne suis pas du tout prête à montrer mes créations.» On patientera.

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LE BONHEUR ET LA VERTU

Sa vigilance linguistique ne tombe pas du ciel. Elle est la fille aînée de Manon Lépine, ex-animatrice de radio, de qui elle tient «son côté quelque peu sauvage», et de Marc Blondeau, PDG de la Place des Arts, à qui elle ressemble physiquement et qui lui a légué «son écoute exceptionnelle». Cette enfant de bonne famille assume néanmoins ses racines bourgeoises sans complexe et avec humour. «J’ai vu ma première pièce de théâtre à 10 ans à Paris, au palais de Chaillot. Il y a pire comme initiation!» lance Magalie, en pouffant.

D’aussi loin qu’elle se rappelle, le théâtre a toujours fait partie de sa vie. «J’étais une petite fille étrange: je passais de longues journées seule à m’inventer des scénarios que je récitais à voix haute. Heureusement, mes parents ne se sont pas inquiétés pour ma santé mentale!» À l’époque, elle préférait de loin la compagnie des adultes à celle des enfants de son âge. «Écouter de ma chambre mes parents rire et discuter avec leurs amis faisait partie de mes grands bonheurs.» Son adolescence sera moins lumineuse… «J’étais vaguement “rejet”. Mais ce n’est pas plus mal ainsi. D’abord, j’ai beaucoup lu, et ensuite, j’ai appris à développer mon intériorité.» Et maintenant? «Maintenant, ma solitude, je la chéris, je la jalouse, je la protège. J’en ai besoin. C’est même une des raisons qui me poussent à partir seule la plupart du temps. [NDLR: Elle à déjà visité une trentaine de pays.] On passe son existence à faire des compromis. S’offrir quelques semaines où on peut inventer chaque moment sans contrainte est un luxe incroyable. Cela dit, je suis la solitaire la mieux entourée que je connaisse.»

FIDÈLE À ELLE-MÊME

De fait, jouer est un métier d’équipe. Et ce métier, ça crève les yeux, Magalie Lépine-Blondeau l’a dans la peau. «J’adore être au service de la parole de quelqu’un et, à travers cette parole, tenter un peu plus chaque fois de trouver la mienne.» Une quête qui a récemment pris une nouvelle couleur pendant les tournages d’Exit, de Carole Laure, et de Quelqu’un d’extraordinaire, le premier film de sa grande amie, l’actrice Monia Chokri (Les amours imaginaires). «Ces derniers mois, j’ai été dirigée pour la première fois par des femmes et j’ai adoré ça. En plus, sur le plateau de Monia, nous étions presque exclusivement des filles. Ç’a été du bonbon.

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Beaucoup de gens m’avaient pourtant mise en garde: “Tu vas voir, ça va se crêper le chignon sur cette production!”» Or, ces avertissements se sont révélés vains. «Qu’est-ce qu’on a ri! Qu’est-ce qu’on a été bonnes les unes pour les autres! se souvient-elle. J’en ai marre du cliché de la rivalité féminine. On est bien plus solidaires qu’on le prétend. J’adore la gent masculine, mais je me découvre une véritable connexion avec les femmes. Et c’est beau.»

Femme, Magalie l’est dans tous les paradoxes du terme. «Je peux partir en voyage trois mois avec un minisac à dos. Mais je peux aussi payer un excédent de bagages absurde pour un bref séjour à Paris. Ce serait dramatique de ne pas avoir, un matin, le modèle ou la teinte de chaussures qui convient à mon humeur du moment. Non?» Elle rit. «J’ai rendu les armes; je suis tout ça à la fois. C’est tout.» Ses contradictions, son côté franc et direct, c’est d’ailleurs ce qui fait tout le charme de Magalie.

Mais par moments c’est trop, dit-elle. «Je suis intègre et fière. Sauf que je suis aussi un peu trop spontanée! J’ai du mal à cacher le fond de ma pensée, et ça cause parfois des frictions.» Elle réfléchit une minute, avant d’ajouter: «Mais bon, c’est aussi une qualité. Chez moi, il n’y a ni double discours ni hypocrisie.» Et puisque nous sommes sur le terrain de la franchise, y a-t-il des regrets déjà inscrits à sa feuille de route? «Des regrets, non. Mais un combat irrésolu entre le plaisir jubilatoire et égoïste que j’éprouve à exercer ce métier, et l’inquiétude qui me hante: suis-je utile, quel est mon apport à la société? Ce questionnement m’habitera probablement jusqu’à la fin de ma carrière. Et il est sain. Il guidera mes choix.»

Quand un jour viendra le temps de quitter la scène, qu’est-ce qui lui fera dire “J’ai réussi mavie”? Cette fois, nul doute, nul paradoxe dans les yeux de Magalie. «J’aurai réussi ma vie si j’ai été aimée. S’il y a quelqu’un à mes côtés pour tenir ma main quand je partirai.»

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