Quand elle est apparue dans le paysage, ce fut l’onde de charme. Souvenez-vous, en 2008, combien sa première chanson, Comme des enfants, s’insinuait, tourbillonnante, dans nos têtes.

Mais pour être honnête, Coeur de pirate ne faisait pas l’unanimité. Sa voix enfantine, un chouïa chuintante, et ses paroles incompréhensibles ne plaisaient pas à tout le monde. Et encore moins à certains critiques qui ont eu la dent dure avec elle. Certains, moins cinglants, ont invoqué son âge tendre, coupable de sa prétendue maladresse. N’empêche. Combien d’artistes osent se mettre à nu, exposer leurs chagrins d’amour et les exorciser devant un piano et un micro avec autant de sincérité qu’elle? Et combien touchent autant le coeur du public que la blonde artiste? Une chose est sûre, en sept ans, Béatrice Martin, dite Coeur de pirate, a conquis les fans par millions, d’abord au Québec et en France, puis au Canada anglais et dans l’Europe francophone. À 25 ans, l’artiste qui collectionne les Victoires de la musique et les Félix est aujourd’hui également femme et maman… Une grande personne, quoi!

Ça s’entend dans son nouvel album, Roses, qui crée déjà l’événement. Très, très attendu de ses fans, son dernier opus, lancé après les deux disques solos Coeur de pirate (2008) et Blonde (2011), le mini-album Armistice (2011) avec Jay Malinowski (du groupe Bedouin Soundclash), la musique originale de la série télé Trauma (2014) et du jeu vidéo Child of Light (2014), révèle une sonorité plus pop, plus moderne et résolument plus ample, plus complexe. Adieu, sautillante désinvolture des sixties de ses premiers albums; elle explore aujourd’hui un univers plus grave et plus vaste, avec grâce et talent.

J’ai rencontré Béatrice Martin chez elle, dans sa maison ensoleillée, où son piano prend une très grande place. On a passé quelques heures à bavarder devant un pichet d’eau citronnée servie, coolitude hipster oblige, dans des pots à confiture. Elle avait mal dormi et se remettait d’une vilaine laryngite. Rien pour aider ma cause, car je connais déjà sa réserve naturelle. Pour tout dire, j’ai d’abord connu Béatrice toute petite, par l’entremise de sa tante, l’écrivaine et critique littéraire Martine Desjardins. Je me souviens de la secrète Béatrice qui pianotait et dessinait avec ferveur dans sa chambre rose, remplie de babioles Hello Kitty.

En 20 ans, elle a bien changé, mais elle a toujours cet air farouche des grands timides. Toujours ces mêmes petits silences, ces mêmes hésitations et cette façon étonnante de regarder autour d’elle en parlant. Une nature secrète vivifiée par le goût du risque, ce redoutable antidote à la mélancolie…

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Ce matin, souriante malgré la fatigue, et ravissante dans sa robe noire en dentelle qui révèle ses bras magnifiquement tatoués, elle se désole de perdre le fil de la conversation et se livre par bribes disparates. Elle a tant de choses en tête! Son nouveau disque, sa grande tournée qu’elle entreprendra le 16 septembre prochain à Montréal, avant de se produire partout au Québec, en France, en Belgique, en Suisse et aux États-Unis. Et un rendez-vous avec le grand amour de sa vie, sa petite fille, Romy, qu’elle a très hâte d’aller chercher à la garderie…

Béatrice, tu reviens après presque deux ans d’absence. Comment te sens-tu à l’idée de retrouver tes fans?

J’ai le trac, c’est fou! Est-ce que le public va aimer mon nouvel album? Je l’espère! Mais je ne suis sûre de rien. Le doute, c’est ce qui me fait avancer et m’améliorer…

Dans quel esprit as-tu créé Roses, ton nouvel opus?

C’est très différent de ce que j’ai fait auparavant. Ça reste du Coeur de pirate, bien sûr, mais c’est moins sixties. Le son est plus moderne, plus pop. L’album est plus intérieur, plus profond aussi. Tout ça vient avec une certaine maturité…

Tu as connu un succès fulgurant dès tes débuts, à 18 ans. As-tu l’impression d’avoir ouvert ton jardin secret trop vite?

Un peu, ouais. Au moment où tu es censée te découvrir toi-même comme jeune adulte, moi, je l’ai fait devant tout le monde. J’ai eu à peine le temps de faire des tounes pour moi seule et d’en mettre une sur Myspace que ç’a marché! J’ai partagé très vite mes chansons avec le public. Tant mieux, car c’est la raison d’être de ma musique. Mais ç’a été tout un choc! J’étais très jeune. J’ai mis du temps à me connaître, à devenir une grande personne (rires) et à comprendre ce qui m’était arrivé. Mais je ne peux pas vraiment blâmer la fille de 18 ans que j’étais!

Qu’est-ce qui te reste de cette jeune artiste?

J’ai grandi! J’ai perdu le petit côté awkward de celle qui veut tout faire par elle-même. Mais je vis toujours les choses aussi intensément. Dès que je ressens une émotion, que ce soit de la joie ou de la peine, c’est comme si je la vivais à la puissance mille! C’est dur, parfois…

Pourtant, cette vulnérabilité teinte tes chansons et te rend terriblement touchante…

Ouais, mais tu vois, il y a des gens qui trouvent le contraire! (rires) Ils ne me trouvent pas toujours facile. Ça m’est arrivé plein de fois qu’on me dise: «T’es donc ben bête!» ou «T’es pas du monde!» alors que ce n’est pas que je sois froide ou sauvage, moi, je suis juste gênée. Ça m’angoisse parfois de me trouver avec plein de gens qui veulent me parler. Je suis plutôt solitaire. Je me referme, c’est mon mécanisme de protection.

Entre nous, tu montres peu tes émotions. Sauf à La Voix, en avril dernier, où on t’a vue fondre en larmes…

C’est vrai! Je n’ai jamais eu un trac aussi fort! C’était mon retour et la première fois que je faisais la chanson Oublie-moi, le premier extrait de mon nouvel album, et je ne savais pas comment elle allait être reçue. Puis, lorsque les concurrents l’ont chantée en harmonie à la fin, ça m’a bouleversée. C’est fou comme une chanson que tu as écrite prend tout son sens quand tu l’entends chantée par d’autres.

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À quel moment te sens-tu la plus libre, dans ton processus de création?

Quand j’écris. C’est le moment où tout est possible. Ça part toujours d’une mélodie. Je peux l’enregistrer sur mon téléphone ou la jouer au piano. Les paroles viennent par la suite.

Ton nouvel album marque un tournant dans ta façon de travailler, n’est-ce pas?

Oui! J’ai l’habitude de presque tout faire toute seule. Mais cette fois-ci, j’ai changé mon approche. Je voulais amener mon travail à un autre niveau. Je rêvais de collaborer avec Björn Yttling, de la formation suédoise Peter Bjorn and John, un groupe que j’adooore. J’ai communiqué avec lui et, à ma grande surprise, il a dit oui. J’ai donc fait la majeure partie de l’album à Stockholm, mais aussi à Londres et à Bristol.

Cette collaboration t ‘a-t-elle donné le vertige?

Oh, que oui! J’étais pas mal stressée. En plus, je n’étais jamais allée en Suède. Mais tout s’est super bien passé. On était en parfaite symbiose. Il comprenait ce que je voulais et il concrétisait toutes mes idées. C’était vraiment fou!

Qu’est-ce qu’il t’a appris sur toi?

Euh… Il m’a convaincue que j’écrivais de bonnes chansons. Venant de lui, ça m’a rassurée.

Ça t’a rassurée?! Toi qui as vendu plus d’un million de disques dans le monde et qui explose sur YouTube et sur les médias sociaux? C’est étonnant, non?

Ouais, je sais, je sais… Mais moi, je doute tout le temps. (pause) Tu veux qu’on écoute quelques chansons de l’album? (Elle branche son iPhone sur sa chaîne hifi, s’assied par terre et regarde au loin… pendant que Crier tout bas, le nouvel extrait de son album, envahit la salle à manger: «Si la terre est sombre/ Si la pluie te noie…»)

Elle est troublante, cette chanson. Tu pensais à quoi en l’écrivant?

Je l’ai écrite pour Romy. Ça parle de dépression, de choses que j’ai vécues et d’une main tendue. Je veux que ma fille sache que j’ai surmonté des épreuves. Je veux lui donner un modèle de femme forte qui triomphe de ses peurs.

Ça t’arrive de te voir dans ta petite fille?

(Éclat de rire) Oui, parfois, mais elle est plus bossy que moi! Elle a beaucoup de caractère!

L’arrivée de Romy a drôlement changé ta vie, n’est-ce pas?

C’est sûr! Ç’a changé comment je suis, comment je vois les choses. Ç’a changé mon corps aussi! C’est comme s’il avait pris 10 ans! (rires) Avant, j’étais fière de ne pas avoir besoin de dormir. Aujourd’hui, je me fatigue plus vite. J’ai des allergies, je fais du reflux! Tu vois, on parle des vraies choses de la vie! (rires)

J’avoue que je ne pensais pas causer de reflux gastrique avec Coeur de pirate…

On rigole, mais je suis vraiment rendue «santé». Pour être top shape, je mange bio le plus possible et je fais beaucoup de yoga. Je me suis aussi mise à la danse avec Nico Archambault et sa femme, Wynn (NDLR: on peut d’ailleurs la voir danser dans le vidéoclip de sa chanson Carry On). On mélange ballet classique et danse moderne… C’est tout un apprentissage! Je ne serai jamais une super danseuse, mais peu importe. La danse, ça me libère complètement!

Tu te partages entre Montréal et Paris, tu voyages, tu amorces une autre grande tournée… Comment arrives-tu à concilier vie de jeune maman et vie d’artiste?

Ça demande beaucoup d’organisation! C’est compliqué parfois, mais on y arrive! Je me souviens quand j’ai enregistré Mistral gagnant pour l’album La bande à Renaud, à Paris. Je m’en voulais à ce moment-là d’être partie sans ma fille. C’était la première fois que je la laissais pour quelques jours depuis sa naissance, et je venais de terminer son allaitement en plus. Je caaaaapotais! J’ai enregistré la chanson en une seule prise, tellement j’avais le coeur gros et je voulais la retrouver. Alors oui, partir, c’est super dur… Maintenant, je me sépare le moins possible de Romy.

Après sept ans de métier, quelle est ta plus grande découverte sur toi-même?

C’est d’avoir réalisé mon rêve de chanter. Je me souviens qu’après avoir fait une toune devant des amis, au secondaire, ils m’ont dit: «T’es pas bonne. Tu chantes trop du nez!» Je me suis dit: «OK, je vais arrêter…» Puis tu vois, ça s’est passé autrement… (rires)

Et si tout s’arrêtait demain?

Si, du jour au lendemain, on n’écoutait plus mes chansons? Je cesserais d’en écrire. Si j’écris et si je chante, c’est parce que des gens me disent: «Ça me touche ce que tu écris. Ça me fait du bien!» C’est ce qui me pousse à continuer…  

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