Chelsea Clinton a grandi sous les yeux du public. Née en 1980 – année charnière entre les générations X et Y -, elle entrait dans l’adolescence lorsque son père a été élu à la Maison-Blanche et elle était une jeune adulte quand le scandale a éclaboussé sa famille. Mais, dans les bons comme dans les mauvais moments de la carrière politique de ses parents, elle a su rester dans l’ombre et garder ses opinions pour elle. La tête baissée et la bouche fermée, elle a suivi son propre chemin en faisant de brillantes études (elle a obtenu un doctorat en relations internationales à Oxford) et en travaillant à New York, notamment pour une grande société de gestion à Wall Street – un choix de carrière qu’elle décrit aujourd’hui comme un acte de rébellion envers sa famille.

Puis, il y a quatre ans, Chelsea a choisi d’entrer dans la lumière. «J’ai vécu une vie publique pendant longtemps malgré moi: je me suis dit que le temps était peut-être venu de mener une vie publique volontairement», a-t-elle alors déclaré au New York Times. À la surprise générale, elle est devenue correspondante pour NBC News, avant d’être nommée vice-présidente de la Clinton Foundation.

C’est à ce titre qu’en mars 2015, devant une salle remplie de présidents, de Prix Nobel et de journalistes, elle a dévoilé un projet qui lui tient particulièrement à cœur: le Full Participation Report, qui compile 20 ans de données sur la condition des femmes dans le monde. «C’est important de savoir d’où vous partez pour savoir où vous voulez aller», dit-elle à propos de ce rapport accessible en ligne (noceilings.org) et présenté de manière à être aussi utile à un écolier qui doit remettre un devoir qu’à une organisation non gouvernementale qui prépare une demande de subvention. Or, s’il est très encourageant sous certains aspects, ce rapport montre aussi que le féminisme a encore beaucoup de batailles à gagner. Un exemple? Neuf pays ne garantissent pas de congé de maternité payé, et les États-Unis sont l’un d’eux.

ELLE a rencontré Chelsea Clinton, qui mène aujourd’hui une vie de mère, d’épouse et d’avocate des droits des femmes.

Votre grand-mère maternelle, que vous appelez votre «étoile polaire», est décédée en 2011, à 92 ans. Cette femme a connu une enfance à la Charles Dickens, marquée par la pauvreté et l’abandon. Pourquoi est-elle un modèle pour vous?

Elle a réalisé que le monde hostile dans lequel elle avait grandi ne l’empêcherait pas d’écrire sa propre histoire et elle a fondé une famille comme elle n’en avait pas eue, un foyer plein d’amour et de chaleur humaine. Elle m’a aussi appris ce qu’elle appelait la «discipline de la gratitude», qui consiste à être reconnaissant pour ce que la vie nous a donné. Ça me donne l’humilité nécessaire pour reconnaître que j’ai beaucoup de chance et que j’aurais pu naître – que nous aurions tous pu naître – dans des circonstances différentes. J’ai vu tant de mères remarquables partout dans le monde! Qu’elles fassent de l’agriculture de subsistance dans le désert sub-saharien ou qu’elles militent contre le sida, elles se battent toutes très fort pour leurs enfants. De mon côté, je me demande sans cesse ce que je pourrais faire pour être une bonne mère, une bonne fille, une bonne épouse, une bonne amie…

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Aux yeux de deux des personnes les plus puissantes de la planète, vous êtes l’être le plus précieux qui soit. Croyez-vous que les gens ont peur de vous à cause de ça?

Je n’en sais rien! Mais je sais qu’ils ont toujours des idées toutes faites à mon sujet. Quand j’étais à l’école primaire, en Arkansas, des enfants me disaient: «Je ne veux pas jouer avec toi, parce que si tu te fais mal, la police viendra me chercher.»

Ils vous ont vraiment dit ça?

Oui! Et je leur répondais: «La police ne va pas venir te chercher, et je suis plus coriace que j’en ai l’air.» J’ai compris il y a longtemps que c’est à moi de faire tomber les préjugés des gens à mon sujet.

Comment vous y prenez-vous?

En étant moi-même. Et aussi en étant ouverte à toutes les questions que les gens ont envie de me poser. Au boulot, j’arrive à l’heure et je travaille très fort. J’ai toujours l’impression que je dois aller au-delà des attentes des autres. Je m’assure d’être plus préparée que nécessaire.

Beaucoup de femmes en position de leadership sentent qu’elles doivent être mieux préparées que leurs homologues masculins… Je pense que c’est vrai.
 Et trouvez-vous que c’est injuste?

Je ne vois pas le monde en fonction de ce qui est juste ou injuste. Il faut faire avec ce qu’on a. Je préfère chercher des solutions à un problème ou trouver des façons de présenter les données du rapport No Ceilings afin qu’elles soient pertinentes pour ma génération ou la suivante. C’est à ça que je consacre mon temps et mon énergie.

Quel conseil donneriez-vous aux jeunes femmes qui commencent leur carrière pour qu’on prête attention à ce qu’elles disent?

Si vous voulez être entendue, vous devez vous exprimer. Et je pense que, trop souvent – et j’ai été coupable de ce genre de choses quand j’occupais un poste chez McKinsey & Company (une société de conseil pour laquelle elle a travaillé de 2003 à 2006), particulièrement quand j’étais au début de la vingtaine -, les jeunes femmes restent silencieuses. Un jour, pendant une assemblée étudiante, une femme a demandé: «Que pensez-vous du fait qu’on m’a dit de ne pas porter certains vêtements ou que ma voix était trop aiguë?» J’ai répondu: «Oui, c’est injuste, c’est certain que vous devriez être prise au sérieux pour ce que vous dites, mais nous ne vivons pas encore dans un monde qui pense comme ça.» Si vous voulez être prise au sérieux, vous devez éliminer les raisons pour lesquelles les gens ne vous prennent pas au sérieux. Ne laissez pas les autres transformer votre tenue vestimentaire ou le timbre de votre voix en problèmes alors que vous essayez de les débarrasser des préjugés qu’ils ont envers les femmes.

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Un de vos amis d’enfance a dit un jour que vous avez toujours mené votre vie comme si vous étiez surveillée. Est-ce vrai?

Ce que je veux dire par là, c’est que je suis consciente que quelqu’un pourrait me surveiller ou pourrait venir me parler, mais ce n’est pas quelque chose qui est au sommet de mes préoccupations. Je vis ma vie dans le monde: les gens peuvent me voir choisir un yogourt au supermarché, aller chercher des médicaments à la pharmacie ou lire dans le métro. Et j’adore courir un peu partout dans New York. J’aime vraiment ça. Ça me vide la tête.

Et si vous aviez envie d’acheter Fifty Shades of Grey, auriez-vous peur que quelqu’un vous aperçoive et écrive un tweet?

Je n’ai pas lu ce roman, même si je trouve fascinant qu’il se soit vendu à 100 millions d’exemplaires. Je n’ai pas de secrets. Si les gens ont vraiment envie de savoir que je lis la dernière enquête de l’inspecteur Ikmen (le héros d’une série de romans de Barbara Nadel)…

C’est ce que vous lisez en ce moment?

Oui. J’adore les romans policiers historiques, mais aussi contemporains, comme les enquêtes de l’inspecteur Gamache, de Louise Penny. Ça se passe au Québec.


Et côté musique, qu’écoutez-vous?

Vous voulez dire à part de la musique pour bébé? (rires) (En 2010, elle a épousé Marc Mezvinsky, avec qui elle a eu une fille, Charlotte, en septembre 2014.) Marc et moi, on est obsédés par la collection de disques Rockabye Baby!. Vous la connaissez? Elle présente des reprises de succès de plein de groupes, comme U2 ou Coldplay, avec des arrangements de berceuse. C’est censé être bon pour le développement cognitif des enfants.

Certaines personnes pensent que ce n’est pas important qu’il y ait une femme à la tête des États-Unis, que ce n’est qu’un symbole. Qu’en dites- vous?

Beaucoup de progrès ont été faits en ce qui concerne la protection des femmes sur le plan juridique, mais, sur le marché du travail, la parité entre hommes et femmes est loin d’être atteinte. Dans la sphère politique, on considère que c’est un véritable succès que 20 % des membres du Congrès soient des femmes. Depuis quand un total de 20 % est-il synonyme d’égalité? Alors, quand on me demande si je crois qu’il est important qu’il y ait une femme à la présidence, je dis que oui, absolument, c’est important. Les symboles sont importants: ils représentent ce qui nous exalte. Une des valeurs fondamentales des États-Unis est que tout le monde y a les mêmes chances. Or, si cette égalité des chances ne concerne pas les personnes des deux sexes, nous avons un grand défi à relever, et le fait qu’il y ait une femme présidente pour la première fois – peu importe quand ça se passera – pourra nous aider. Par ailleurs, on a vu à maintes reprises que, quand des femmes se retrouvent en position de leardership, elles atteignent un niveau de réussite différent de celui des hommes. Historiquement, elles ont été capables d’obtenir plus souvent un consensus de façon à ce que des décisions économiques ou sociales aient des effets à long terme. Il est important de bien choisir les personnes qui s’assoient à la table de réunion pour prendre des décisions. Et c’est aussi important de bien choisir la personne qui préside ces réunions.  

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