C’est mon premier tête-à-tête avec cette comédienne dans l’âme, doublée d’une scénariste et auteure de théâtre à la plume incisive. Cet automne, en plus d’incarner l’explosive Shandy dans Unité 9 et l’intrigante Nancy Grimard dans Mémoires vives, elle joue aux côtés d’Antoine Bertrand, son amoureux dans la vie, dans une série qu’elle a elle-même imaginée, Boomerang. Le point de départ de l’histoire? Karine et Patrick, un couple dans la trentaine, perdent leur restaurant à la suite d’une faillite. Le temps de se reprendre en main, ils sont obligés de crécher… dans le sous-sol du bungalow des parents de Karine (Marie-Thérèse Fortin et Marc Messier).


Catherine-Anne – qui, de son propre aveu, s’est déjà fait appeler Katrine, Karine-Anne, Anne-Karine ou Carolane! – a su qui elle était et ce qu’elle voulait devenir à six ans. C’est à cet âge qu’elle a eu une révélation en participant à un spectacle de fin d’année de son école. «Je me sentais comme un poisson dans l’eau: soudainement, tout avait un sens», me dit-elle de sa voix singulière, en prononçant suavement chaque syllabe.

Par la suite, ce sentiment puissant d’exister, sans réserve ni timidité, ne l’a jamais quittée. Après avoir été révélée au grand public en incarnant l’enjôleuse Mélissa Briant dans Les hauts et les bas de Sophie Paquin, en 2006, Catherine-Anne a enchaîné les rôles à la télé (Caméra café, 30 vies, Unité 9, Mémoires vives) et au cinéma (Méchant Party, Québec-Montréal). Ce qu’on sait (peut-être) moins, c’est que Catherine-Anne mène une carrière florissante sur les planches depuis sa sortie du Conservatoire d’art dramatique de Montréal, en 1999. Avec ses amis auteurs et comédiens Frédéric Blanchette et François Létourneau, elle a fondé le Théâtre ni plus ni moins, et a multiplié les rôles marquants sur scène, tant dans des pièces confidentielles que populaires, comme L’envie et À présent (qu’elle a écrites), ainsi que Blackbird, Boeing Boeing, Sunderland et Le prénom.

Ce qui la fait vibrer aujourd’hui? «C’est la possibilité de repousser les limites de mon métier», affirme la jeune femme, qui se dit discrète, névrosée, beaucoup «dans sa tête» et divertissante, en plus d’être «une bûcheuse, une « insécure » et une éternelle insatisfaite». Si elle est plutôt difficile à cerner, la comédienne se révèle pourtant, entre deux gorgées de thé à la menthe brûlant, au fil de propos qu’on capte au vol…

VIDÉO: Les coups de coeur et coups de gueule de Catherine-Anne Toupin

«L’idée de Boomerang est née sur un matelas gonflable… à Noël, dans le sous-sol de mes parents. Évidemment, partager un matelas gonflable avec Antoine, c’est, comment dire… Bref, comme je ne dormais pas (rires), je me suis mise à penser. Quel enfer ce serait, s’il fallait qu’un jour je revienne vivre chez mon père et ma mère? Une
 perte d’emploi, un divorce, 
un cancer: bien des épreuves 
peuvent nous forcer à demander l’aide de nos parents. Je
 me suis imaginé tout ce qu’on
tient pour acquis et qu’on peut 
perdre dans la vie adulte. Tout
 ça m’a donné envie de parler
 d’un jeune couple qui doit
 repartir de zéro, à la suite de
 la faillite de son resto. Ça m’a
 aussi donné envie de parler 
de ma vision de l’amour. Celui qui se cache derrière l’incompréhension et les conflits. Celui qui triomphe, malgré tout ce qui pourrait nous désunir. Dans la série, chaque personnage s’en sort, mais pas de la façon dont il l’avait imaginé. J’aime mélanger drame et drôlerie: pour moi, c’est l’essence de la vie.» 

«Si Antoine est dans le show… ce n’est pas parce que c’est mon chum. C’est parce qu’il est le meilleur acteur pour le rôle, point final. D’ailleurs, je n’ai pas tout de suite pensé à lui en créant le rôle de Patrick, mais l’idée s’est vite imposée d’elle-même. En plus, je savais qu’on allait avoir du fun et que notre complicité serait palpable à l’écran. Mais bon, Antoine me « challenge » dans la vie. C’est un éternel optimiste, alors que moi, je suis plutôt du genre à me dire: « C’est l’enfer! Qu’est-ce qu’on va faire? » Plus je suis négative, plus il m’appelle ironiquement Sunshine ou Rayon de soleil. Bref, plus je prédis une catastrophe, plus il en rajoute pour désamorcer la situation. Mais il ne viendra jamais à bout de mon cynisme! (rires) J’assume pleinement qui je suis. Quand on est en couple, il faut être bien avec soi: c’est vital pour vivre à deux tout en restant fidèle à soi-même.»

«J’ai été célibataire pendant quatre ans… avant de rencontrer Antoine. J’ai traversé le désert de la fille dans la fin de la vingtaine qui tombe juste sur des morons incapables de s’engager. (rires) À cette époque, ma vie était un puits sans fond d’anecdotes cauchemardesques: celle du gars qui t’oublie et qui lit en pyjama chez lui pendant que tu l’attends au resto; celle du gars qui te dompe à ton party de fête. Pire encore, une fois, j’étais censée aller souper avec un gars… mais il est mort dans un incendie avant notre rencontre. Ce rendez-vous manqué était tellement tragique que je n’ai pas pu en rire. Je me souviens de m’être dit: « O.K., Dieu m’envoie un message: le dating, ce n’est pas pour toi. » J’étais dans cet état d’esprit quand j’ai rencontré Antoine. (En 2007, ils ont joué dans la pièce Appelez-moi Stéphane.) Je me disais: « Amenez-en, des affaires qui n’ont pas d’allure, des relations qui ne se peuvent pas! » Puis, j’ai vite su qu’Antoine était le bon. J’aime l’authenticité, les gens vrais et chaleureux. Les bad boys et les poètes maudits, no, thank you! Avec Antoine, la vie est simple et mille fois plus belle.»

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«Je me considère comme une comédienne qui écrit. Être auteure, c’est un vrai métier. Jamais je n’aurais la prétention de considérer que j’en suis une (même si elle a écrit deux pièces de théâtre saluées par la critique et par le public). Oui, j’ai eu l’idée de Boomerang, mais je n’ai pas écrit le scénario. Pourquoi? Tout simplement parce que je ne suis pas la personne la plus compétente pour le faire. J’ai préféré faire appel à l’ultra-talentueuse Isabelle Langlois et à une équipe d’auteurs (dont Pierre-Yves Bernard et Stéphane Dompierre, un des collaborateurs de ELLE QUÉBEC) auxquels je voue un culte! Si j’écris, c’est pour mieux goûter le bonheur de retrouver les autres par la suite, et de travailler en équipe. Sinon, l’écriture – qui reste un acte profondément solitaire – n’aurait pas de sens pour moi. L’écriture est la chose la plus forte, la plus impudique et la plus « confrontante » qui soit, surtout si tu veux dire quelque chose qui mérite d’être entendu. Cela dit, le jeu reste mon premier amour.»

«Jouer Shandy a tout changé pour moi… On m’avait souvent vue camper des filles sexy, niaiseuses ou un peu baveuses. Mais le rôle de Shandy (d’abord campé par Suzanne Clément, dans Unité 9) m’a permis d’aller explorer quelque chose de nouveau. Au début, je désirais poursuivre le travail de Suzanne et m’effacer le plus possible pour redonner au public le personnage qu’il aimait tant. Puis, avec le temps, je me suis approprié Shandy. Aujourd’hui, ce qui m’importe, c’est de rendre justice au texte qui m’est donné pour le défendre. Shandy me ressemble beaucoup… à part, bien sûr, en ce qui concerne la drogue, le sexe et la prison! (rires) Elle est frondeuse, elle sacre tout le temps, elle a un côté comique. C’est précisément pour ça que je me sens si bien quand je l’incarne. Jouer une fille comme elle, qui se fout totalement de ce que les autres peuvent penser (elle s’avachit sur sa chaise, écarte les jambes et me regarde avec un air défiant pour mieux faire apparaître sa Shandy), c’est très libérateur!»

«J’aime avoir peur… Ça me fait sentir vivante! Je dis souvent que je suis discrète, mais bon, chacun de nous est tellement de choses! En public, je ne suis pas la plus loud; je n’ai pas besoin de l’être et je ne veux pas l’être non plus. Mais, dans ma vie privée, je prends ma place, toute ma place. J’aime qu’on ose, dans la vie! On ne doit pas craindre d’avoir des papillons dans le ventre: ça veut dire que ce qui nous les donne est important pour nous. Oui, il m’arrive de douter de moi, de me dire que ce que je fais, « ça vaut pas d’la m****! », et d’avoir peur, mais jamais au point où je la laisse me paralyser. Quoi qu’on fasse dans la vie, c’est toujours difficile. Il faut se dire: « J’ai peur, mais j’essaie pareil. F*** it, je vais avoir du fun! » Si on se trompe, il faut se dire que, la prochaine fois, ce sera meilleur. Chaque fois que j’ai réalisé des choses qui me faisaient peur, j’en suis sortie gagnante. J’ai appris, j’ai fait des rencontres, j’ai noué des amitiés, je suis devenue une meilleure comédienne et une meilleure personne.»

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«Mon métier, c’est… tout simplement d’incarner le personnage qu’on me confie avec le plus de vérité, d’intelligence et d’émotion possible. Pour moi, tout est dans le texte – quand il est bien écrit. Quand je le lis, j’aime me dire: « Oupelaye! Il faut vraiment que j’aille là? » Je « travaille » le texte très fort et je plonge. Après, je retrouve l’équipe de tournage et je tripe. Des fois, c’est le rire qui nous unit et, d’autres fois, c’est l’émotion la plus totale. Il m’est arrivé de jouer des scènes super heavy, et mes camarades m’ont dit: « Wow! T’es allée loin! Ça m’a touché. » Cette communauté d’esprit, ce plaisir d’être ensemble, dans la comédie comme dans la tragédie, me nourrissent tellement! D’un autre côté, j’ai aussi connu des productions plus rough, où le respect n’était pas au rendez-vous. Je n’aime pas du tout ce genre d’énergie mais, dans ces cas-là, je m’arrange pour en retirer quelque chose. Car, dans ce métier, il faut toujours pousser plus loin. Cela dit, je préfère travailler dans la bonne humeur et dans la rigueur. Quand des gens créent ensemble, il faut qu’ils s’encouragent, qu’ils aient du plaisir et qu’ils s’aiment les uns les autres. Mais il faut aussi qu’ils sachent se parler franchement, qu’ils osent se dire: « Ce soir, tu n’étais pas à la bonne place. Ce n’était pas bon. » Et qu’ils cherchent une solution ensemble pour aller plus loin. Cette façon de créer à plusieurs, j’y crois!»

«En ce moment, je suis... totalement comblée. Je ne suis pas en quête de quelque chose; je prends simplement plaisir à faire. Évidemment, dans ce métier, ce n’est pas toujours comme ça. J’ai connu des moments où il faut se poser, se reconnecter à soi-même sans apparaître dans les médias ni dans les shows de télé. J’appelle ça être en jachère. Ces moments de réflexion sont essentiels pour prendre du recul, se demander ce qu’on a envie de dire et revenir sur le devant de la scène avec une nouvelle proposition. Le jeu est un métier cyclique: on a toujours un peu peur de tomber un jour dans l’oubli. C’est dur, mais il faut l’accepter.

Pour l’instant, je suis dans le haut de la vague. C’est le fun, fun, fun! Quand je serai sur le bord de la plage à attendre la prochaine vague, ça va être le fun aussi. Ça voudra dire que je serai en train de réfléchir et de créer quelque chose de nouveau…»  

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