Mitsou fait partie de ma vie depuis toujours, il me semble. Je me rappelle avoir gagné à 11 ans un concours de lip-sync avec la chanson Bye bye mon cowboy. Plus tard, j’ai continué à suivre sa carrière musicale de près, à observer ses coups d’éclat à la télé, à m’inspirer de son style et de l’esthétique de ses vidéoclips. Dans ma vie adulte, je l’ai croisée à plusieurs reprises, mais je ne l’ai interviewée pour la première fois que l’an dernier, pour mon émission Mange ta ville. On réalisait un épisode spécial sur les icônes, et Mitsou nous avait semblé tout indiquée.

Pour une génération entière, elle a été rien de moins que la Madonna du Nord… Même si, au fil du temps, elle a changé. Comme la Madone, elle a tourné la page et aplani son image. Mais de la star qu’elle a été et qu’elle demeure, elle a conservé l’habitude de se tenir toujours un peu sur ses gardes, de se livrer mais pas trop. Car comme toute icône qui se respecte, Mitsou gardera toujours des zones d’ombre et une aura de mystère.  

Des débuts sulfureux

La première vie de Mitsou commence dans un univers hippie et artistique. Son grand-père Gratien Gélinas est acteur et dramaturge, son papa est comédien, sa maman, sexologue (plus tard, elle deviendra massothérapeute). Elle grandit dans un monde libre, féministe et créatif. Elle sait qu’elle sera artiste. Elle chantera, jouera, sera une star.

Regardez la vidéo de la séance photo avec Mitsou

 

Mitsou arrive à l’orée de l’adolescence avec l’envie folle de tout balayer sur son passage. Elle joue dans des publicités et tient un rôle dans le téléroman Terre humaine. À 13 ans, elle se rase la tête, écoute The Cure et les Virgin Prunes. À 17 ans, elle s’inscrit en théâtre au collège Dawson… et abandonne l’école deux jours plus tard. Avant même d’avoir l’âge légal pour le faire, elle éclaire la vie nocturne montréalaise, danse jusqu’au bout de la nuit au DiSalvio, au Business, aux Foufounes électriques et dans d’autres bars mythiques de la métropole. C’est d’ailleurs au bar Le Belmont, à la même époque, qu’elle croise un certain Luc Plamondon. Il lui propose un contrat de choriste. Elle a le culot de lui dire non: le disque El Mundo est déjà enregistré (étiquette Isba), et ce qu’elle veut, c’est occuper le devant de la scène.

En 1988, Mitsou débarque dans le paysage médiatique québécois avec ses tresses, son boléro et son chapeau de «cowgirl», un look créé à partir de vêtements empruntés à sa mère ou achetés à la friperie. C’est le début de sa collaboration avec son ami designer Andy Thê-Anh, qui a imaginé pour elle des costumes sexys et excentriques inspirés de Christian Lacroix, de Thierry Mugler et d’Yves Saint Laurent. Elle n’a pas peur d’être extravagante, audacieuse, hyper féminine, et elle change constamment de style. Cette Mitsou-là est animée par l’envie de provoquer, de se déguiser, de troubler l’ordre établi, d’être toujours là où on ne l’attend pas. Elle remportera un succès fulgurant au Québec et au Canada anglais avec son premier album, puis elle connaîtra la censure avec le sulfureux vidéoclip de Dis-moi, dis-moi (1990), banni des ondes de MuchMusic en raison de scènes de nudité. Quelques mois auparavant, Justify my Love, de Madonna, un autre clip en noir et blanc où prédominent les corps nus et les scènes torrides, était lui aussi frappé d’interdit par la chaîne MTV.

À la même époque, elle brise des tabous en passant un test de dépistage du sida en direct à la télé et en mettant en scène des personnes séropositives dans le clip Comme j’ai toujours envie d’aimer. Elle choque le Québec et elle l’assume: «J’ai juste envie de faire ce que je veux, affirme-t- elle au journaliste Laurent Saulnier dans les pages de Elle Québec en 1991. Ce que j’aime, c’est être controversée. Le jour où les critiques m’aimeront, ça ne sera pas bon pour moi: ça voudra dire que Mitsou n’est plus pareille.»

C’est vrai que Mitsou a changé: elle est entrée dans sa deuxième vie. Elle a cessé de faire scandale; les critiques l’aiment, le public l’adore. Elle est plus calme et plus posée qu’avant. Elle n’est plus chanteuse, mais animatrice télé et radio, femme d’affaires, productrice, épouse et mère de deux petites filles. Après avoir été directrice d’un magazine, elle est aujourd’hui porte-parole des cosmétiques Lise Watier. Elle rêve d’écrire un roman et de produire des films. Elle continue de composer de la musique pour son plaisir. Au moment de l’entrevue, elle travaillait avec le groupe Creature sur une nouvelle chanson, On vole, qu’on espère entendre sous peu. La tornade blonde s’est assagie, mais elle porte encore en elle toute sa créativité et sa folie.

Pour faire le point avec elle, je lui ai donné rendez-vous sur les lieux de sa première vie, dans le temple de la contreculture montréalaise: les Foufounes électriques.

Tu as fait un lancement de disque monstre et mythique aux Foufounes en 1990… Oui, c’était pour l’album Terre des hommes. La salle était bondée. Il y avait autant des jeunes musiciens que des gens comme mon grand-père Gratien Gélinas. Toutes les générations se mélangeaient! Quant à moi, pour présenter mes chansons, je sortais d’une cage… C’était wild!

Tu provoquais le public et tu arrivais avec un son qui détonnait dans l’univers musical québécois, plutôt folk à l’époque. Il fallait du courage ou de l’inconscience pour foncer comme ça? Ça prenait mes 17 ans, ma jeunesse. À cet âge-là, tu veux sacrer une claque à l’ancienne génération. Ça prenait de la naïveté et un esprit de grandeur. C’est plus tard que je me suis mise à réfléchir aux conséquences de mes actes, notamment au fait que j’avais une allure assez sexy alors que mes fans étaient très jeunes… Aujourd’hui, j’ai des enfants qui imitent Lady Gaga et Shakira, et je dois leur expliquer qu’elles ne peuvent pas se promener à la maison en maillot de bain comme leurs idoles quand il y a de la visite. (rires) Les artistes ont une responsabilité, et ça, c’est quelque chose que je ne voulais pas accepter quand j’avais 20 ans. Par contre, à cet âge-là, je n’avais peur de rien. J’aimerais bien retrouver cet état d’esprit! (rires)

Pour toi, la provocation, c’était un but en soi? Oui, certainement. La provocation suscite un mouvement et, moi, j’avais envie de faire bouger les choses! Je voulais contribuer à ouvrir les esprits. Pour moi, c’était une provocation saine. Je ne crois pas avoir été vulgaire. Je suis toujours restée une fille avec de bonnes valeurs!

Tu as contribué à briser certains tabous autour du sida, à une époque où c’était difficile d’en parler… Oui, pour moi, ça s’inscrivait dans la quête d’une vie saine. Aujourd’hui, je suis porte-parole de la Fondation du cancer du sein du Québec et j’anime l’émission Kampaï! Différentes époques, différents besoins… À mes yeux, c’est le même combat que celui que j’ai mené contre le sida dans les années 1990 en disant aux jeunes de se protéger. Aujourd’hui, je cherche à inciter les gens à bien manger et à mener une vie saine. C’est un peu la même démarche.

À 40 ans, as-tu autant qu’avant le désir de provoquer les autres? Ce désir s’est transformé en envie de me dépasser. Je ne me définis plus par rapport aux autres, mais par rapport à moi-même. Je me provoque moi-même. J’essaie d’aller au-delà de ma zone de confort. Je tente de me dépasser tous les jours à la radio et je me lance sans cesse dans de nouveaux projets. Mais je n’essaie plus de choquer. Ça n’a plus de sens pour moi. Il y a un moment pour tout, et il y a des risques qu’on n’a plus besoin de prendre à un certain âge.

Pourquoi as-tu arrêté de faire de la musique? Mais je n’ai jamais arrêté! Je compose des trames sonores pour le cinéma et la télévision chaque semaine avec ma compagnie de production, Dazmo. On a écrit les musiques des téléséries La galère et Mauvais karma, par exemple. C’est une forme de création plus subtile, moins directe qu’un album, mais ça me comble.

La musique est pour moi une source de plaisir pur. J’aime garder ce plaisir intact, à l’abri des projecteurs. J’ai le privilège de composer sans être obligée d’assurer des tournées de promotion, sans avoir à défendre quoi que ce soit.

Que t’apporte ton côté femme d’affaires? Il me permet d’être maître de ce que j’entreprends, de ma destinée, de mes propos. Ce que j’ai fait dans le domaine de la chanson ne m’appartient pas: j’étais une interprète. Je sais que j’ai bénéficié d’une très belle plateforme de lancement et que j’ai eu beaucoup de chance. J’assume tout. Mais ce que je voulais en fondant ma compagnie, c’était devenir maître de mes productions.

Il fallait que je m’appartienne, que je prenne le contrôle sur ce plan-là. Ça représente beaucoup de responsabilités, mais je les partage avec mon chum, qui est aussi mon agent. On est ensemble depuis bientôt 15 ans. Il est ma folie, je suis sa sagesse.

J’aurais cru que c’était le contraire! Que c’était toi, la folie… Dans mon couple, je suis la sagesse et le calme. Je suis le côté posé de notre équipe. Je peux être folle dans mes créations mais, dans la vie, je suis très smooth.

Aujourd’hui, comment ton côté rebelle se manifeste-t- il? (Longue réflexion) Dans ma relation avec mon chum. Nos folies, on les fait ensemble. Quand on travaille à la radio tous les jours et qu’on dirige une entreprise d’une soixantaine d’employés, on a tendance à s’installer dans une routine, à prendre moins de risques…

Mon chum et moi, on est bons pour se donner des coups de pied au derrière et se surprendre l’un l’autre. Il me met constamment au défi! Et puis, toute seule, je fais souvent l’école buissonnière en pleine journée. Je disparais, je ferme mon cellulaire, je coupe tous les ponts avec le monde extérieur et je m’évade dans la ville, rien que pour prendre soin de moi!

 

 

Qu’est-ce que tes filles connaissent de ta première vie? Pas grand-chose! Je n’ai pas de collection de mes disques et je n’ai pas exposé de photos de moi datant de cette époque à la maison. Mes filles n’ont que 4 et 7 ans, donc je les laisse encore croire que les paroles de la chanson Les Chinois, c’est «Non, non, non, c’est pas comme ça qu’on fait la roue!» [NDLR: Les paroles originales de ce morceau sont plutôt «Non, non, non, c’est pas comme ça qu’on fait l’amour!»]

Un jour, elles découvriront le passé sexy de leur maman… Oui, c’est vrai que j’ai découvert et affiché ma féminité jeune. Mais jamais de façon gratuite. Plutôt de façon féministe. À une certaine époque, les féministes ont brûlé leurs soutiens-gorges. Dans les années 1980, assumer sa féminité était devenu une nouvelle forme de féminisme. Être fière de sa féminité, ne pas la gommer, je crois que c’est une force. Moi, j’ai arrêté d’afficher mon corps quand j’ai commencé une carrière de femme d’affaires et que je me suis retrouvée dans une relation stable. Avec le temps, je suis devenue beaucoup plus pudique.

À cause de ton image de fille sexy, tu as dû te battre pour être prise au sérieux comme animatrice, notamment quand tu as été choisie pour piloter l’émission d’actualités Au courant à CBC Newsworld. Les critiques trouvaient que tu n’avais pas le CV nécessaire pour un tel poste… Oui, il en a fallu du temps avant que j’obtienne une vraie reconnaissance! Je pense que j’aurai toujours quelque chose à prouver. Parce que j’ai été chanteuse, mais aussi parce que je suis autodidacte. J’ai exploré plusieurs métiers, mais je ne les ai pas appris à l’école. J’ai appris sur le tas, en direct… et j’étais payée pour le faire. Je sais que je suis allée à l’école de la vie… et j’en suis fière.

Quels projets te reste-t-il à accomplir? J’aimerais produire des émissions de télé ou de radio. C’est un aspect du métier auquel je n’ai pas encore touché. J’adorerais voir à nouveau des émissions de variétés à la télé québécoise. Je rêve des variétés italiennes des années 1970, de plumes et de paillettes, de l’époque burlesque… C’était divertissant! Ici, on est chanceux quand on a une belle saison de Star Académie! (rires) Les variétés me permettraient aussi de présenter des artistes de la chanson. Comme ça, je pourrais faire le pont entre mon passé et mon présent.

 

Regardez la vidéo de la séance photo avec Mitsou