À l’autre bout du fil, l’acteur de 29 ans parle d’une voix posée, entrecoupée de discrètes bouffées de cigarette. Il s’exprime sans détour, avec une déconcertante lucidité. Il est question entre autres de son dernier rôle, dans le film français L’homme qui rit, une adaptation cinématographique du roman de Victor Hugo: une grandiose fable romanesque qui se déroule au 18e siècle et qui raconte le destin tragique d’un Roméo défiguré (interprété par l’acteur) et d’une Juliette aveugle (Christa Theret). «Au départ, c’est un film qui avait tout pour me déplaire», dit-il, citant notamment son allergie aux films d’époque et son peu de goût pour les dialogues dramatiques. «Mais c’est bête de dire qu’on n’aime pas quelque chose avant de l’avoir réellement essayé.» Il s’est donc glissé dans la peau de Gwynplaine, un garçon enlevé par des brigands, mutilé puis abandonné, qui est plus tard recueilli par un brave marchand ambulant (un Gérard Depardieu plus grand que nature).

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La chose est évidente dès le début de notre entretien: la langue de bois, Marc-André Grondin ne connaît pas. Nous avons été nombreux à le constater l’automne dernier, lors de son passage à l’émission Les francs-tireurs. Dans une entrevue avec le journaliste Patrick Lagacé, l’acteur rebelle avait multiplié les coups de gueule. Envers le statut de vedette et les privilèges qu’il donne auprès des filles, envers la hiérarchie rigide qui règne sur les plateaux de tournage français, envers les contradictions du star-système québécois… Il avait notamment affirmé qu’obtenir un prix Jutra ne valait pas grand- chose pour la carrière d’un acteur. C’est le genre de déclaration qui engendre automatiquement une onde de choc. D’autant plus que le comédien lui-même avait récolté ladite statuette en 2006 dans la catégorie Meilleur acteur pour le film C.R.A.Z.Y. (au moment d’aller sous presse, il était de nouveau en lice pour ce prix grâce à son rôle dans L’affaire Dumont). «C’est toujours flatteur de voir son travail reconnu par ses confrères, explique-t-il au téléphone, mais ce que je voulais dire, c’est que gagner un Jutra, ça ne va pas te permettre de travailler davantage. Tandis que si tu gagnes un oscar, ta carrière est assurée pour le restant de tes jours.»

Refus de se vautrer dans la complaisance, aversion pour le politically correct, droiture sans compromis… Est-il professionnellement suicidaire, Marc-André Grondin, ou se contente-t-il d’être vrai? «On demande souvent aux acteurs d’incarner un personnage à la télé et dans leur vie, répond-il. C’est une game que je suis incapable de jouer.» Alors, il persiste et signe. Les excès des stars et l’attitude de lèche-bottes que certains affichent envers elles l’indisposent au plus haut point. «Quand un Gérard Depardieu arrive sur un plateau, tout le monde fait des courbettes. Certaines personnes ont du mal à lui dire d’éteindre son téléphone pendant les répétitions.» À propos de l’atmosphère qui règne sur les plateaux de tournage en France, il déclare ceci: «Là-bas, les gens sont surpris quand je fais des jokes avec les techniciens. C’est une culture plus hiérarchique mais, pour ma part, je reste le même. Il n’y a que l’accent qui change, that’s it

Je reviendrai à Montréal

Avec L’homme qui rit, Marc-André Grondin n’en est pas à ses premières armes du côté des plateaux de tournage français. Il avait déjà eu l’occasion de faire ses classes avec Le premier jour du reste de ta vie (pour lequel il a remporté le César du meilleur espoir masculin en 2009), Bouquet final, Bus Palladium… Le cinéma hexagonal courtise l’acteur québécois depuis qu’une petite bombe nommée C.R.A.Z.Y. a éclaté au box-office en 2005. Révélé par le film, étiqueté «acteur hot du moment», lauréat du Jutra cette année-là, le comédien – cheveux noirs, silhouette élancée, gueule d’ange – était parti pour la gloire. Et puis? Et puis… rien. Ou pas grand-chose. Après C.R.A.Z.Y., les offres intéressantes ne se sont pas mises à pleuvoir sur lui dans la Belle Province; grâce au succès du film, les propositions sont plutôt venues de la patrie de Victor Hugo. «Ça faisait déjà un an et demi que je n’avais pas tourné, lance-t-il. À un moment donné, il faut bien payer ses bills

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Il porte donc ses pénates tantôt ici, tantôt de l’autre côté de l’Atlantique, au gré des contrats. Il semble d’ailleurs s’être plutôt bien adapté à sa vie en France: «J’ai même une vie sociale plus active à Paris qu’à Montréal. Mon meilleur ami là-bas sort tout le temps, et une très bonne copine tient un bar que je fréquente souvent.» Il constate cependant que les rapports entre hommes et femmes ne sont pas tout à fait les mêmes qu’ici: «Au Québec, une fille qui « cruise », ce n’est pas mal vu. Tandis qu’en France, on la traite de traînée. Pourquoi le jeu de la séduction devrait-il n’être que l’affaire des gars? Je trouve qu’une fille qui prend les devants est bien plus féministe que celle qui fait semblant de te haïr alors qu’elle t’aime bien.»

Ce fan invétéré de hockey avoue mener une existence plutôt casanière lorsqu’il rentre au bercail. D’ailleurs, Montréal demeure son port d’attache, et il a récemment participé à deux tournages importants au Québec: celui de L’affaire Dumont, de Podz (un rôle où on le voit avec une coupe Longueuil, une flamboyante garde-robe eighties et un léger bedon); et celui de Vic Flo ont vu un ours, de Denis Côté, récompensé à la Berlinale (il y apparaît dans la peau d’un agent de probation ni charismatique ni sexy). Puis est arrivé ce fameux Homme qui rit, où il incarne un personnage au visage déformé par une cicatrice en forme de sourire. Cette récente série de rôles semble l’éloigner tranquillement de son casting de jeune premier. Est-ce un hasard? «Quand je me suis rasé la tête pour porter les perruques sur le tournage de L’homme qui rit, dit-il, j’ai senti d’un coup que le regard des gens sur moi n’était plus le même. Je cassais l’image qu’ils s’étaient faite de moi.»

Il est vrai qu’aujourd’hui Marc-André Grondin n’a plus grand-chose à voir avec l’éphèbe de ses débuts. Il a pris du coffre, il porte une moustache rétro, et il s’affiche fièrement avec la boule à zéro. Un peu comme s’il lançait un défi: qui m’aime me suive. Nous, on est de celles-là.

L’homme qui rit, de Jean-Pierre Améris, sera à l’affiche le 29 mars.

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