Je l’attendais dans un salon de thé du centre-ville de Montréal depuis plus d’une heure quand elle est enfin arrivée: elle s’était égarée. Avec sa grâce de fée Clochette, son sourire candide et ses yeux pétillants, Laurence Leboeuf a effacé son retard d’un coup de baguette magique.

C’était la première fois qu’on se rencontrait, mais on s’est vite mises à discuter comme de vieilles amies. Elle s’est livrée avec la même détermination qui, depuis le début de sa carrière, la pousse à se jeter dans le vide. Laurence semble n’avoir peur de rien. Chez elle, pas d’angoisse ni de complexe, juste une furieuse envie de vivre.

Fille des comédiens Marcel Leboeuf et Diane Lavallée, elle a fait ses premiers pas dans le métier à 10 ans, dans le téléroman Virginie. À l’adolescence, elle a décidé d’apprendre l’anglais pour pouvoir jouer dans la langue de Shakespeare. Et ça a fonctionné: à 18 ans, elle a décroché un rôle dans la série anglophone 15/Love. Elle n’avait pas encore 20 ans lorsqu’elle s’est installée à Los Angeles pendant quelques mois pour y tenter sa chance.

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Même si les portes de Hollywood ne se sont pas ouvertes toutes grandes pour elle, l’actrice y est quand même retournée à plusieurs reprises pour apprendre, pour grandir. Aujourd’hui, elle joue couramment dans les deux langues (elle fait d’ailleurs partie de la distribution de la version anglaise de la série 19-2).

Laurence est optimiste, lumineuse, mais elle collectionne les personnages sombres, troubles, rebelles (dans Les Lavigueur; la vraie histoire; Ma fille, mon ange; Trauma). Comme celui de Julie, une sportive de haut niveau prise dans l’engrenage du dopage dans La petite reine, d’Alexis Durand Brault, un film librement inspiré de la vie de la cycliste Geneviève Jeanson. Ce rôle a obligé l’actrice de 28 ans à se dépasser, à repousser les limites de son corps et de son coeur. Entretien avec une femme qui n’a pas peur de prendre des risques.

Vous êtes une fille de défis, et jouer une cycliste professionnelle a été un défi de taille! Comment vous êtes-vous préparée pour ce rôle? J’ai eu la grande chance de pouvoir commencer l’entraînement un an avant le tournage. C’est un luxe incroyable, ça ne se produit que très rarement. J’étais d’abord seule avec un entraîneur, puis les autres actrices du film se sont jointes à nous. Elles et moi, on a fait du vélo intensément quatre jours par semaine. On a même eu droit à un camp d’entraînement d’une semaine à Cuba! On roulait de 8 h à 18 h, dans un décor féérique. C’était à la fois dur et génial, intense et magique. J’ai eu le temps de me familiariser avec le vélo et… de me faire de vrais mollets de cycliste!

Cette expérience m’a permis de découvrir mon personnage par le corps. Ma façon de marcher, de manger et de dormir a changé. Je carburais à l’adrénaline. J’avais moins faim, mais j’étais capable d’en faire plus en mangeant moins. Je dormais comme une bûche, d’un sommeil sans rêve. Même mes menstruations étaient irrégulières. Tout était différent. Jamais je n’avais été autant dans la peau d’un personnage.

Une partie de La petite reine a été filmée en Belgique, où Geneviève Jeanson était présente. Comment ça s’est passé là-bas? Je me suis rendue en Belgique une semaine avant le début du tournage. J’ai donc pu m’y entraîner dans des conditions complètement différentes, dans le froid et la pluie. Je devais gravir le mur de Huy [un des passages les plus ardus d’Europe, avec ses 26° d’inclinaison en courbe]. J’ai dû le monter 60 fois! J’ai eu la nausée, j’étais épuisée, mon corps n’en pouvait plus par moments. Mais Geneviève Jeanson m’a dit quelque chose d’important: que la victoire repose à 98 % sur le mental, et non sur le physique. Que tout le monde peut se mettre en forme et monter une côte, mais que la personne qui arrivera au sommet la première, c’est celle qui sera au top dans sa tête. Et ma tête était toute là. On avait prévu des doublures pour me remplacer si je n’en pouvais plus, mais je n’en ai pas eu besoin. C’est moi qui suis en selle dans chaque scène du film. J’en suis très fière!

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Comment a été votre relation avec Geneviève? Ç’a été une super belle rencontre. On se ressemble beaucoup, sur plusieurs points. Geneviève est une force tranquille; elle est timide et calme. Pas du genre à grimper sur les tables. Dans le film, j’avais une grande liberté parce que mon personnage est inspiré de son histoire, mais ce n’est pas de Geneviève qu’il s’agit. Elle n’a pas senti le besoin de me corriger à tout bout de champ.

Comment a-t-elle vécu le fait qu’on fasse un film inspiré de sa vie? Geneviève vous répondrait peut-être autre chose… mais j’ai eu l’impression qu’elle bouclait un chapitre de sa vie, que ce film lui permettait de revisiter des moments difficiles et de faire la paix avec cette période-là. Comme une sorte de thérapie.

Avez-vous parlé de dopage? C’est un sujet délicat, mais incontournable… Ce n’est plus un tabou, car elle en parle ouvertement maintenant. Elle était ado quand elle a commencé à se doper. Il y avait ce coach qui exerçait une grande emprise sur elle. Je ne suis pas quelqu’un qui juge dans la vie. Je n’avais pas de préjugés contre elle. Je me suis rendu compte que le dopage faisait partie de ce sport de haut niveau. Les cyclistes ne peuvent pas arriver deuxièmes. Ils n’existent que s’ils sont premiers. Et puisque beaucoup de monde se dope, s’ils veulent gagner, ils n’ont pas le choix de le faire eux aussi. C’est fou, mais c’est ça. Geneviève était l’espoir du Québec, tous les yeux étaient rivés sur elle… Je pense qu’à sa place j’aurais fait pareil.

Pourriez-vous pratiquer un métier qui implique autant de sacrifices? Ah non! Sacrifier à ce point sa vie et son corps, ça suppose une vocation, comme celle de médecin. Moi, je n’ai pas eu à faire de vrais sacrifices pour ma carrière, sinon que de manquer des sorties avec mes amis du secondaire lorsque j’étais en tournage.

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Mais j’imagine que certains rôles sont plus exigeants… N’avez-vous pas souffert pendant le tournage de La petite reine? Oui, vraiment. J’ai souffert physiquement; et j’ai aussi souffert psychologiquement. Je ne pouvais pas me permettre d’être découragée, fatiguée; je devais être à la hauteur. J’ai dépassé des limites que je croyais infranchissables. Me dire à chaque instant: «T’es pus capable? Ben, vas-y quand même, monte la côte, envoye!» D’autres types de rôles, comme ceux qui n’exigent pas de performance physique mais une performance émotive intense, peuvent aussi faire mal. Parfois, on creuse tellement loin qu’on souffre en jouant. En même temps, ça libère, ça défoule. Moi, ça me permet d’être équilibrée. Si c’est un sacrifice, c’en est un beau!

Visez-vous le sommet dans votre métier? Non. Je veux être la meilleure à mes yeux. Et aux yeux du réalisateur avec lequel je travaille. Ensuite, si les critiques sont mauvaises ou bonnes, ça ne m’atteint pas vraiment. Quand je sais que j’ai fait de mon mieux, je lâche prise. Je fais ce métier depuis l’enfance. C’est ma vie, ma sécurité, c’est ce que je connais. Je ne suis pas en danger sur un plateau.

Dans le milieu du cinéma et de la télé, la compétition peut aussi être féroce. Faut-il toujours être la meilleure, la plus belle? À Los Angeles, oui. Là-bas, il faut être la plus hot, la plus blonde, la plus grande. Je n’ai pas aimé cette pression-là. D’ailleurs, je n’y retourne plus! (rires) Si une carrière internationale se présente à moi, je serai ravie. Mais je n’ai pas envie de me battre, de déménager et de jouer du coude pour que ça arrive. Par contre, je n’aurais pas peur de m’enlaidir pour un rôle. J’aimerais ça, me transformer comme Charlize Theron dans Monster, ou Matthew McConaughey dans Dallas Buyers Club. Comme je suis très optimiste et sage dans la vie, j’aimerais ça, dans les prochaines années, explorer encore plus les aspects durs ou sombres des personnages, jouer des psychopathes, des êtres machiavéliques!

Quel était votre rapport à la compétition avant ce rôle dans La petite reine? J’avais fait un peu de sport, de la course et de la natation, mais pas de façon sérieuse. Dans le milieu artistique, je n’ai jamais directement fait face à la compétition. Et comme je ne suis pas allée dans une école de théâtre, je n’ai jamais eu à faire mes preuves dans une classe. Le désir d’être la meilleure, je ne le connaissais pas. Aujourd’hui, je le comprends davantage.

Avez-vous le goût du risque? Du risque lié aux voyages, aux expériences ou aux projets, totalement! Mais pour ce qui est des vrais dangers, je suis un peu moumoune.

Quel est le plus grand risque que vous avez pris? Tomber en amour. On s’ouvre, on est fragile, on donne sans savoir si on recevra quelque chose en retour.

Et celui que vous ne prendrez pas? Me «shooter» à l’héroïne.

Qu’est-ce qui vous renverse? Les toutes petites choses: une fleur qui pousse, une femme qui accouche, la vie qui fait son chemin.

Quelle est votre plus grande peur? Perdre quelqu’un que j’aime.

Le prochain risque que vous prendrez? Jouer un robot dans la comédie d’action Turbo Kid, qui sortira en 2015!

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