Nitroglycérine. Voilà comment un de ses oncles l’avait surnommée. «Je ne tenais pas en place, j’étais toujours sur une pinotte, lance la comédienne avec son débit sautillant. Une vraie bombe!»

Laurence Leboeuf éclate de rire. Et quand elle rit, on oublie sa bouche à la Angelina Jolie, ses formes moulées dans un pull gris perle et ses 23 printemps. Elle a de nouveau 10 ans, l’âge qu’elle avait lorsqu’elle est apparue pour la première fois à l’écran dans
Virginie.

La fillette en elle n’est jamais loin. «Avec la tête que j’ai, j’aurais facilement pu jouer une elfe dans
Le seigneur des anneaux et j’aurais adoré ça: il me manque juste les oreilles pointues!» dit-elle en touchant les siennes, parées de belles grosses boucles argent. Un lutin, exactement. Cette fille ressemble à un lutin. Un Petit Poucet chaussé de bottes de sept lieues et décidé à dévorer le monde.

C’est bien parti. La carrière qu’elle mène tambour battant roule aussi bien en anglais qu’en français. Cette année, elle interprète Cali dans le film américain
The Trouble with Cali, réalisé par Paul Sorvino (
Mambo italiano), qui joue également dans le film. Elle incarne aussi Jen dans la production franco-canadienne
Story of Jen, de François Rotger (
The Passenger), et la fille du personnage principal dans la télésérie policière
Durham County. Au Québec?

C’est une des têtes d’affiche du premier long métrage de la comédienne Mariloup Wolfe,
Les pieds dans le vide (sortie août 2009). Et ce n’est là qu’une partie de son carnet de bal.

DE LUMIÈRE ET D’OMBRE

Oui, Laurence Leboeuf, c’est la danseuse nue de Ma fille, mon ange (Jutra de la meilleure actrice de soutien en 2008). Oui, c’est aussi la droguée «fuckée» de la télésérie Les Lavigueur, la vraie histoire (Gémeaux du meilleur premier rôle féminin dans une série dramatique en 2008) dont on a tant parlé en raison de quelques scènes pour le moins sulfureuses.

Mais elle est bien plus que ça. Un regard sans détour, un sourire sans minauderie, une intelligence tout en spontanéité. Même si elle interprétait les putes et les dopées finies pour le reste de sa vie, elle ne donnerait jamais prise à la vulgarité. Un mot quasi démodé nous vient à l’esprit en l’observant: pureté. Laurence est lumineuse. Et néanmoins attirée par l’ombre. Ce qu’elle rêve de jouer par-dessus tout? «Une psychopathe. Cette folie m’intrigue. J’aimerais m’y perdre.» Une profession qui lui aurait plu? «Psychologue… auprès de criminels. Pour comprendre les motivations des tueurs en série.» De tels propos jurent avec son allure. Elle réfléchit à haute voix: «Je n’ai jamais été rebelle. Je n’ai jamais envoyé ch… ni ma mère, ni un prof, ni personne. Possible que de tels rôles soient un exutoire. Possible que quelque chose en moi veuille s’exprimer.»

Cette fascination pour la noirceur, Laurence l’assume pleinement. «Je suis ainsi. Je n’irai pas consulter pour régler ça.» C’est à croire qu’elle était prédestinée à jouer dans Musée Éden, la nouvelle série policière réalisée par Alain Desrochers (Les Bougon) qu’on devrait voir en 2010 à Radio-Canada. Elle y visitera peut-être des territoires plus sombres puisqu’elle incarne une des deux sœurs propriétaires d’un musée de cire reconstituant des scènes de crime dans le Montréal du début du siècle dernier.

 

PHOTO: Michel Cloutier

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UNE COMÈTE EN ORBITE

Décidément, cette jolie lolita n’a pas froid aux yeux. «Je ne me considère pas comme une battante qui remue ciel et terre pour obtenir ce qu’elle veut. Mais j’ai du guts.» On le lui concède. Il faut de l’audace pour aller s’installer quelques mois à Los Angeles comme elle l’a fait à deux reprises, en 2005 et 2006. Surtout quand on sait que, en 2004, elle ne faisait que baragouiner l’anglais! «Ce n’est pas d’hier que l’anglais m’attire: petite, je faisais placoter mes toutous dans cette langue. On s’entend, ça sonnait bien sûr comme “Sling, flang slouk, gling”», dit-elle en mimant avec un plaisir évident deux marionnettes en pleine action. «Mais pour moi, c’était de l’anglais.»

À 18 ans, elle décide de foncer. Elle retient les services d’une agente anglophone de Montréal, qui lui obtient une audition pour la série canadienne 15/Love, à YTV. Elle décroche le rôle de l’ado Cody Meyers, un des personnages principaux. «Disons qu’ensuite j’ai été “coachée” par un professeur. Ç’a été difficile. Durant la première saison (en 2004), j’avais un “véry véry bigue accente”. Mais à la dernière, diffusée en 2006, pouf, plus rien», dit-elle avec fierté.

À la voir devant nous, attentive et curieuse, attendant sagement les questions et s’auto-corrigeant dès qu’elle soupçonne avoir commis une faute de français, on se dit qu’on a affaire à une première de classe. «Tellement pas!, dit-elle en pouffant. J’ai détesté l’école. Être assise et forcée d’apprendre, je n’ai jamais pu. J’ai un trop grand besoin de liberté. J’ai fini mon secondaire par la peau des fesses.» Ses classes, elle les a faites sur le terrain, dès l’âge de 10 ans. D’abord dans Virginie (en 1996), où elle a «tout appris». Puis dans L’ombre de l’épervier en 1998. «Honnêtement je me souviens surtout que je trouvais Luc Picard teeeellement beau!» Et ensuite dans Tag en 2002, «où j’ai senti pour la première fois que je créais un personnage». Elle cite aussi Ma fille, mon ange: «J’en retiens le jeu dépouillé de Michel Côté et de Karine Vanasse.» Enfin, elle affirme que Louise, son personnage dans Les Lavigueur l’a «complètement habitée.»

Sur le marché international, il y a eu deux moments marquants. La mini-série Human Trafficking en 2005, qui l’a révélée pour de bon au Canada anglais et lui a ouvert des portes aux États-Unis. Puis, en 2007, le long métrage Si j’étais toi, réalisé par le comédien Vincent Perez et mettant en scène David Duchovny, la covedette de la série The X Files. Le tout, sans école de théâtre à son CV… mais avec des parents comédiens (Marcel Leboeuf et Diane Lavallée).

À propos, comment ont-ils réagi lorsqu’elle leur a annoncé qu’elle voulait jouer elle aussi? «Ils m’ont simplement demandé: “Es-tu certaine?” Ensuite, ils m’ont toujours appuyée. Peu importe la voie que j’aurais choisie, ils m’auraient encouragée.» Un petit sourire heureux se dessine sur ses lèvres. «Le fait que je puisse jouer également en anglais les impressionne, je pense. Ils sont fiers de moi.» On ne parle pas nécessairement métier pendant les rencontres de famille. «Je n’ai jamais répété un rôle avec l’un ou l’autre, ni même demandé conseil sur la façon d’en aborder un. C’est comme ça. (Pause.) Nous avons des parcours tellement différents. Mon père et ma mère étaient vraiment timides à leurs débuts. Pas moi.»

L’affirmation fait naître des images. Les scènes dans lesquelles on a vu Laurence nue à l’occasion… «(Soupir.) Oui, j’ai accepté d’en tourner, j’imagine que je ne suis pas quelqu’un de foncièrement pudique.» Elle remue son café. «J’ai dit oui, mais j’ai eu peur, ajoute-t-elle. Enlever sa robe de chambre devant 50 figurants comme je l’ai fait dans Ma fille, mon ange, c’est terrorisant. Mais quand on entend “Action!”, il faut y aller. Alors, on y va.» Les petits malins qui pensent qu’elle ne s’est dévêtue que pour la galerie, Laurence Leboeuf les envoie se rhabiller. «Chaque fois, ces scènes étaient totalement justifiées», tranche-t-elle.

Et celles beaucoup plus explicites dans Les Lavigueur? Là, pour la seule fois de l’entrevue, elle élève le ton. «On parle de deux scènes sur six épisodes d’une heure! À l’époque, cette histoire-là a complètement éclipsé le travail génial de toute l’équipe. J’ai trouvé ça tellement exagéré. C’était dommage et insultant.»

 

PHOTO: DAvid NAthan / Jutra 2009

NG4K690542.jpgLE MONDE À SES PIEDS

Dans ses rôles comme dans sa vie, Laurence aime aller voir ailleurs si elle y est. Retourner à Los Angeles fait-il partie de son plan d’action international? «Pour l’instant, non. J’y ai passé plusieurs auditions mais toujours pour le même genre de rôles convenus, sans substance. Je garde le contact avec des agents de casting qui m’aiment bien. On verra. Par contre, j’ai vraiment profité de la ville. Y vivre, cependant, jamais!  Tout le monde veut y être acteur mais seule l’apparence compte. Ça ne correspond pas à ma vision du métier. Je veux des rôles qui me feront vibrer. Exister.»

Cette soif de vivre la pousse d’ailleurs vers des destinations plus vraies, comme l’indique un périple récent qu’elle a entrepris et qui l’a autrement comblée. «Mon chum et moi, on a passé cinq semaines au Népal et en Thaïlande, dont 15 jours de trekking dans l’Himalaya. Ç’a été exigeant, on a gelé, mais l’expérience a été magique. J’aime l’Asie parce que ce continent me dépayse. Totalement. Du coup, je me recentre sur moi-même, sur mes véritables besoins. J’aimerais oser y voyager seule…» Mais son rêve est ailleurs. «Un jour, j’irai en Afrique. Cette terre m’appelle, c’est viscéral.»

L’an dernier, elle a répondu à une autre aspiration: faire acte de solidarité humaine. «J’ai passé 10 jours au Salvador au sein de l’organisme international Habitat for Humanity (habitat.ca). J’ai participé à la construction de maisons avec des Salvadoriens. C’était concret, je me sentais utile, j’étais bien. Consacrer du temps à l’aide humanitaire fait partie de mes projets.»

Mettre le cap sur New York, aussi. «J’ai furieusement envie d’aller habiter ailleurs. Paris? Non. Même si j’apprécie les films européens, j’ai plus d’atomes crochus avec le cinéma nord-américain. Et New York est quand même assez près pour permettre des allers-retours rapides.» À ses yeux, travailler et voyager en même temps tient du fantasme ultime. «C’est l’orgasme!»

Ça se voit, ça s’entend, ça se sent: Laurence Leboeuf va droit devant. Habitée d’une crainte, une seule: commencer à avoir peur. «Quand la peur monte, on pose peu à peu des barreaux partout autour de soi. On étouffe son imaginaire, sa folie. Et on finit dans une cage. Jamais je ne vivrai dans une cage…»

 

PHOTO: David Nathan/ Jutra 2008

LAURENCE EN SIX FLASHS

Sa designer préférée
L’Américaine Betsey Johnson, «pour sa folie et sa féminité».

Ses lectures récentes
La nostalgie de l’ange, d’Alice Sebold,
Les piliers de la terre, de Ken Follett, et la biographie de
Song Meiling, la femme de Tchang Kaï-chek, une figure importante de la scène politique chinoise du siècle dernier. «J’ai lu le résumé du livre et j’ai eu envie de la connaître.»

Sa plus grande qualité
«Mon ouverture d’esprit.»

Sa dernière découverte
Un agenda. «Pour quelqu’un de désorganisé comme moi, ça simplifie tellement l’existence.»

Les actrices qui l’inspirent
Isabelle Blais, Julie LeBreton et Kate Winslet.

Les acteurs qui la font craquer
Brad Pitt («Une réponse prévisible, mais je le trouve vraiment beau!») et Vincent Perez («Même s’il a 45 ans, il n’est pas trop vieux du tout.»).

 Trois questions à Nadine Bismuth