Jane Fonda ne cesse de se réinventer. On l’a connue comme mannequin, sexe-symbole, militante pacifiste, star de cinéma oscarisée, gourou de l’exercice aérobique, productrice, épouse d’hommes influents, convertie au christianisme, puis adepte du bouddhisme. Et quoi encore? Ah oui: égérie de L’Oréal depuis 2006 (!), grande philanthrope, auteure, blogueuse et fervente conférencière. Tout ça, en plus de jouer dans des films tout en défendant des causes féministes, politiques et environnementales avec la même conviction qu’avant. Cette femme aux vies multiples, qui insiste pour que je l’appelle Jane au cours de notre conversation téléphonique Montréal- Los Angeles, n’est pas près de prendre sa retraite. Et qui le voudrait? Sûrement pas ses fans, qui s’arrachent son plus récent bestseller, Prime Time, dont la version française vient de paraître aux Éditions Plon. L’actrice y entremêle habilement des confessions sur des pans déterminants (et souvent tragiques) de sa vie, sa vision de l’amour, de la sexualité (la sienne «n’a jamais été aussi épanouie qu’aujourd’hui!»), de l’amitié et de la spiritualité, de même que des conseils éclairés sur l’art de bien vieillir.

Pour Jane Fonda, la vie comprend trois actes: «Pendant le premier, qui dure jusqu’à la fin de la vingtaine, nous explorons qui nous sommes, explique-t-elle. Pendant le deuxième, du début de la trentaine à la fin de la cinquantaine, nous construisons notre vie, que ce soit notre couple, notre famille ou notre carrière, avec toutes les transitions douloureuses que ça comporte. 

 

 

 

Puis, au cours du troisième, nous
aspirons à la plénitude», dit-elle dans la langue de Molière. (Les passages en français sont indiqués en italique dans l’entrevue.) Enfin réconciliée avec elle-même, Jane Fonda livre dans
Prime Time un message diablement vivifiant qui nous touche toutes, quel que soit notre âge, et qu’elle résume de vive voix en une formule-choc: «Plus nous vieillissons, plus nous sommes heureux!» Ça fait un bien fou à entendre, non? Comme Jane n’est pas à court de perles de sagesse, elle ajoute: «Avec le temps, j’ai compris – souvent de manière douloureuse – que vouloir être parfaite, ça ne sert à rien! Ce qui importe, c’est d’être une femme accomplie, qui s’assume entièrement, avec ses failles, ses contradictions, ses parts d’ombre et de lumière. Quitte à travailler très, très fort en thérapie!» affirme-t-elle avec la touche d’humour qui a ponctué notre entretien. 

Jane, vous arrive-t-il d’être nostalgique quand vous repensez à toutes les vies que vous avec vécues?

Comme l’a si bien écrit ma grande amie Simone Signoret, la nostalgie n’est plus ce qu’elle était! (rires) Pour être honnête, je n’aime pas tellement l’idée de nostalgie, d’autant que je suis de plus en plus heureuse avec le temps qui passe. Malgré tout, j’ai, comment dire… un soupçon de regret.

Vraiment? Lequel?

Ça a trait à ce que Katharine Hepburn me répétait pendant le tournage de On Golden Pond. Elle me trouvait totalement inconsciente de mon image. Elle m’incitait à prêter plus attention à ma façon de m’habiller, de m’exprimer, de me présenter. Elle avait raison car, si je m’en étais souciée, je me serais davantage épanouie comme actrice. Mais bon, à quoi servent les regrets, sinon à en tirer des leçons pour l’avenir?

Vous divisez votre vie en trois actes. Lequel vous semble le plus décisif aujourd’hui?

Le troisième, sans aucun doute! C’est une bonne chose, puisque c’est celui que je vis en ce moment! Pendant cet acte, je me suis guérie de mon besoin compulsif de plaire. Une chose est sûre, il est plus serein que le deuxième, qui a été confus et douloureux pour moi.

 

C’est durant ce passage à vide, marqué notamment par une dépression profonde, que vous avez écrit l’autobiographie Ma vie [Plon, 2005].

Oui, et c’est la chose la plus importante que j’ai faite! J’ai pris le temps d’examiner soigneusement les 50 premières années de ma vie – qui j’étais, les rêves que je n’avais pas encore réalisés, les regrets que je ne voulais pas avoir à ma mort… Je me suis demandé quelle femme âgée je voulais devenir. Ce bilan de vie, je recommande à toutes les femmes de le faire dans la cinquantaine, voire avant, même s’il semble ardu. Je vous parle depuis mon bureau, où il y a des photos de moi à différents moments de ma vie, et je réalise que, de bien des façons, je suis redevenue la fille fougueuse, courageuse et honnête que j’étais à huit ou neuf ans.

Pourquoi dites-vous «redevenue»?

Vous savez, comme femmes, nous traversons des phases où nous voulons tellement être acceptées que nous en venons à étouffer notre nature rebelle, celle de notre enfance. Heureusement, nous la retrouvons à un certain âge! Moi, je cherchais tant l’approbation dans les yeux des hommes dont j’étais amoureuse qu’il m’a fallu plus de temps que la plupart des femmes pour renouer avec la partie insoumise de moimême. La plus libre et la plus intéressante, en fait.

 

 

 

Vous faites allusion à votre relation avec votre premier mari, le réalisateur français Roger Vadim?

Si on veut. À vrai dire, pendant les huit ans que j’ai passés avec Vadim, j’ai toujours eu l’impression que c’était mon apparence, mon sex-appeal qu’il aimait le plus en moi. Et comme j’étais terrorisée à l’idée de le perdre, je misais là-dessus! Puis, j’en ai eu marre. Quand je l’ai laissé, c’était aussi pour quitter cette image d’objet sexuel.


Vous êtes revenue aux États-Unis en 1969, en pleine montée du féminisme. Ça vous a fait un choc?

Et comment! Barbarella [film de science-fiction réalisé par Roger Vadim, dans lequel elle incarnait l’héroïne du même nom] était sur les écrans depuis un an. Moi, je portais des chemisiers transparents et des jupes qui cachaient à peine mon sexe, tandis que le Women’s Liberation Movement réclamait l’émancipation des femmes. Vous imaginez? J’avais tellement peur que les femmes m’en veuillent ou qu’elles pensent que j’étais plus sexy qu’elles! C’est fou, mais c’est comme ça que je raisonnais à l’époque. Puis, je me suis mise à fréquenter des activistes [contre la guerre du Vietnam] et j’ai changé du tout au tout. J’ai arrêté de porter des tenues osées et de me maquiller. Je voulais me fondre dans le paysage, disparaître, effacer Barbarella de ma vie! Le plus ironique, c’est qu’à 74 ans je redeviens glamour, alors que j’aurais dû l’être dans la trentaine!

Quel regard posez-vous sur la jeune militante qui dénonçait la politique américaine au Vietnam et que certains surnommaient Hanoï Jane en raison de ses actions, qu’ils jugeaient antipatriotiques?

Un regard rempli de compassion. J’étais si jeune, si naïve! Entre nous, ce sujet reste sensible… Ce que je peux dire, c’est qu’encore aujourd’hui je me définis comme une activiste politique. Mon pouvoir d’indignation et ma soif de connaissances restent intacts. J’ai besoin de donner un sens à ma vie, de participer à quelque chose de plus grand que moi. Chaque jour, je fais tout pour nourrir cette part de moi-même.

 


Sur une note plus légère, vous avouez sans problème avoir eu recours à la chirurgie esthétique. Faites-vous une différence entre avoir l’air jeune et être jeune?

«On met longtemps à devenir jeune»… Quand j’ai lu cette vérité de Picasso, ça m’a vraiment bouleversée. Ce qui importe, c’est notre état d’esprit, nos émotions. La jeunesse n’a rien à voir avec l’âge. Curieusement, mon esprit rajeunit alors que mon corps vieillit.

Euh… si vous permettez, beaucoup de femmes envient votre corps. Le hic, c’est que, pour en avoir un semblable, il faut s’entraîner, et commencer à le faire quand on est jeune…

Bien sûr! (rires) Mais le conditionnement physique a fait bien plus que me maintenir en forme; il m’a sauvé la vie! Il m’a permis de me sortir du cycle de l’anorexie-boulimie, dont j’ai souffert en secret pendant 30 ans. C’est cette renaissance qui m’a poussée à populariser l’exercice aérobique.
 

 

Selon vous, de quelle peur faut-il se défaire pour aborder le dernier acte de notre vie sereinement?

Je peux seulement parler pour moi. Je crois que ma plus grande crainte a été celle de ne pas être aimée. Quand j’ai vu mon père mourir d’une longue maladie, j’ai eu peur de quitter la vie comme lui, avec un tas de regrets, par exemple celui de ne pas avoir connu la vraie intimité amoureuse.

Pourtant, vous avez été mariée trois fois…

Et j’ai même eu de nombreux amants! (rires) Cependant, j’ai toujours fui l’intimité. Je choisissais souvent des hommes qui étaient peu doués en la matière – et je ne parle pas que de sexe. Mes années de thérapie m’ont permis de comprendre que cette peur était liée à ma relation avec mon père [Henry Fonda, un acteur légendaire réputé pour sa froideur]. Heureusement, certaines de mes unions ont été plus réussies que d’autres. Je pense notamment à Ted Turner, mon dernier mari, dont je suis restée très proche. C’est celui qui a eu le plus d’influence sur la femme que je suis aujourd’hui. Il m’a donné confiance en moi, tout en m’apprenant à rire de mes travers. C’est remarquable, puisque je viens d’une famille où on ne riait pas beaucoup… [Sa mère souffrait de troubles psychiatriques et s’est suicidée en se tranchant la gorge alors que Jane avait 12 ans.] Je peux dire que Ted m’a appris à être une bonne vivante. Vadim serait fier de moi, lui qui me trouvait plutôt coincée!

 

 

Après cinq ans de célibat, vous êtes de nouveau amoureuse…

Oui. J’ai rencontré un homme formidable! [Richard Perry, un producteur de musique de 70 ans] Il ne ressemble peut-être pas à celui que j’imaginais, mais il comble mon profond besoin d’intimité. J’ai de la chance!


Vous vous sentez plus légère aujourd’hui?

Certains jours, oui, et d’autres, alors là, pas du tout! À 74 ans, le poids des années se fait sentir… Une chose est sûre, toutefois: maintenant, je tente d’abord de me plaire à moi-même. Et ça me réussit plutôt bien!

 

 

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