Splendide dans son jean blanc, le regard abrité derrière de grosses lunettes, Jessica Chastain descend avec grâce de l’hydravion qui l’a amenée des Hamptons à New York, où a lieu notre entrevue. Une arrivée tout ce qu’il y a de plus normale pour la superstar, nommée deux fois aux Oscars, qui nous a épatés par la virtuosité de son jeu dans The Zookeeper’s Wife, The Martian, A Most Violent Year, Interstellar, The Tree of Life et Zero Dark Thirty, notamment. L’actrice, qui est depuis peu le visage de Woman, le nouveau parfum de Ralph Lauren, éblouit autant par son talent que par son éloquence. Elle est l’une des féministes les plus assumées de Hollywood, et s’exprime avec l’intelligence et l’aplomb d’une femme de 40 ans en pleine possession de ses moyens. Plutôt discrète sur sa vie personnelle et amoureuse, elle nous parle toutefois avec ferveur de la représentation des femmes au cinéma, de l’empowerment des jeunes filles et de ses projets d’actrice et de productrice. 

D’où vous vient cette farouche volonté de vous affirmer?

En tant que femmes, on doit apprendre à vivre dans un monde qui nous a souvent empêchées de prendre notre place. Je crois que c’est notre responsabilité d’oser aller de l’avant. Mon but en tant qu’actrice est d’inspirer les jeunes filles. Qu’après avoir vu The Martian ou Interstellar, elles se disent: «Un jour, je serai astronaute ou physicienne!» Il est essentiel qu’on montre à l’écran des femmes puissantes, complexes et qui excellent dans ce qu’elles font.

Enfant, avez-vous eu des modèles inspirants?

Je me souviens de mon arrière-grand-mère qui me disait que les femmes ne devraient pas prendre le volant. Moi qui croyais que je pouvais vivre à ma guise, voilà qu’on me dictait des contraintes! Ça m’a déconcertée. Ce n’est qu’une fois adulte que j’ai compris combien le conditionnement [sexiste] commence tôt dans la vie…

L’été dernier, alors que vous étiez membre du jury du Festival de Cannes, vous avez créé l’émoi en déclarant que vous aviez trouvé la représentation des femmes «troublante» dans bon nombre de films qui y étaient présentés. Vous attendiez-vous à un tel raz-de-marée médiatique?

Ce qui me désole, c’est que seuls mes commentaires ont été relayés. Or, c’était une opinion partagée par tout le jury, qui soulevait de réelles questions: «Quand verrons-nous un film du point de vue féminin, avec une femme pour héroïne principale? Comment se fait-il que toutes ces femmes à l’écran soient au service d’histoires racontées par des hommes?» Mon expérience m’a appris que la presse cite parfois nos propos hors contexte et qu’il lui arrive de semer la controverse, surtout si ça peut dresser les femmes les unes contre les autres.

Pourquoi les médias prendraient-ils un malin plaisir à voir les femmes s’entredéchirer, selon vous?

Ils divisent pour mieux régner! C’est faux de dire que les femmes ne travaillent pas bien ensemble. Au contraire, elles ont un fabuleux esprit de collaboration. Mais c’est dangereux de l’admettre, puisque ça pourrait chambouler le pouvoir et l’ordre établi… 

Comment vivez-vous le fait d’être célèbre?

Il existe une séparation claire entre ma vie personnelle et professionnelle. J’évite les paparazzis du mieux que je peux, et j’essaie de me faire discrète quand je ne m’occupe pas de la promotion d’un film. Les gens sont habituellement respectueux… La pire chose qui me soit arrivée en matière d’intrusion dans ma vie privée, c’est la fois où des hélicoptères sont passés au-dessus de nos têtes durant notre cérémonie de mariage, juste pour capter quelques images. (NDLR; L’actrice a épousé son amoureux de longue date, Gian Luca Passi de Preposulo, un cadre chez Moncler, une marque de luxe française, en juin dernier.) J’étais sous le choc, mais je me suis dit que c’était sûrement ça, la rançon de la gloire…

Sur une note plus légère, vous incarnez Woman, de Ralph Lauren, un parfum qui projette l’image d’une héroïne intrépide et féminine. Quel effet cela vous fait d’avoir été choisie pour représenter un tel idéal?

Je suis ravie d’être le visage de ce parfum moderne et intemporel, au moment même où la notion de féminité est en pleine évolution. Aujourd’hui, les femmes peuvent être à la fois puissantes, gracieuses, complexes et maîtres de leur choix, et leur parfum, autant délicat et racé que sensuel et raffiné.

Jessica Chastain

  Photographe: Max Abadian

Parlons de votre dernier film, Molly’s Game, qui raconte l’histoire vraie d’une championne de ski convertie en joueuse de poker de haut niveau, ciblée par le FBI. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’interpréter ce rôle?

En lisant le scénario du réalisateur Aaron Sorkin, j’ai eu envie d’en savoir plus sur ce personnage. J’ai été fascinée de voir combien son histoire illustre la façon dont la société réagit lorsqu’une femme prend son destin en mains. Ça m’a fait beaucoup réfléchir…

À quelle conclusion êtes-vous parvenue?

Qu’encore aujourd’hui, on juge les femmes sur leur physique en faisant fi de leur intelligence ou de leurs ambitions. C’est désolant!

On vous verra bientôt dans The Death and Life of John F. Donovan, le premier film en anglais de Xavier Dolan, à qui vous aviez tweeté votre admiration après avoir vu Mommy, en 2014…

J’adore Xavier! Dès notre première rencontre, après avoir échangé plusieurs tweets et textos, ça a cliqué entre nous. On est rapidement devenus de grands amis. Il a même été garçon d’honneur à mon mariage!

Comment était-ce de tourner avec lui?

J’étais fébrile à l’idée qu’on travaille ensemble. Xavier est un être humain aimant, sensible et magnifique, mais pour être honnête, j’appréhendais de découvrir une tout autre personne sur le plateau de tournage. Vous savez, le genre de réalisateur qui hurle sans cesse pour imposer ses idées? Je me disais: «Et s’il était à l’opposé du Xavier que je connais?» Et puis? Ce que je ressentais déjà pour l’homme, je l’ai ressenti pour le réalisateur. Si son équipe l’aime autant, c’est parce qu’il donne tout ce qu’il a. Durant le tournage, on formait une famille, et ç’a été un vrai bonheur d’en faire partie aux côtés de Xavier.

En terminant, quelle trace aimeriez-vous laisser de votre passage sur terre?

C’est bien de vouloir laisser sa marque, mais est-ce si important? Ce qui compte pour moi, c’est ce que j’accomplis ici et maintenant, et j’essaie de faire mon maximum pour rendre le monde meilleur, aussi cliché que ça puisse paraître…

À LA VIE, À LA MORT

Très attendu, le septième long métrage de Xavier Dolan, The Death and Life of John F. Donovan, raconte l’histoire de John F. Donovan (Kit Harington), une star de la télévision américaine dont l’homosexualité éclate au grand jour et qui devient dès lors la cible d’une redoutable chroniqueuse d’un magazine à potins (Jessica Chastain), bien résolue à détruire sa vie. À l’écran, une distribution éblouissante qui réunit notamment Susan Sarandon, Natalie Portman, Kathy Bates, Thandie Newton, Jacob Tremblay et plusieurs autres. Aucune date de sortie en salle n’est encore fixée.