Jameela, j’adore le fait que vous vous décriviez comme une féministe en apprentissage. Qu’est-ce qui vous incite à dire que votre évolution en tant qu’activiste est constante?

On autorise vraiment peu les femmes à se tromper. On leur demande d’être parfaites, d’être… tout, tout de suite. Mais je crois fermement que les femmes méritent d’avoir le droit d’évoluer, de faire des erreurs, d’apprendre. J’essaie de ne pas avoir peur de l’échec. Se tromper, ça veut dire qu’on essaie, non? Et évoluer dans son activisme sous l’œil du public, ça signifie aussi savoir reconnaître ses torts, savoir s’excuser. Mon but, c’est simplement de devenir un meilleur être humain, jour après jour, et d’être un vecteur de changement. Et de montrer que l’apprentissage n’est pas linéaire, que c’est tout un processus!

C’est nouveau, pour vous, cette envie de changer le monde?

Pas du tout. J’ai fait mon entrée dans l’industrie hollywoodienne en voulant être le modèle que, moi, je n’ai pas eu en grandissant. Maintenant que j’ai une tribune, un public, je trouve ça d’autant plus important d’utiliser ma voix pour faire avancer les choses. Dans une culture où les célébrités sont élevées au rang de demi-dieux, c’est obscène d’être populaire et de ne parler que de ses cheveux ou de ses ongles! On ne peut pas nier que le monde entier est en train de brûler, on ne peut pas continuer de ne parler que de soi. C’est embarrassant.

Lorsque vous prenez la parole sur des sujets délicats – comme les troubles alimentaires, le féminisme ou la grossophobie –, vous recevez de vives critiques sur les médias sociaux, et même dans les médias traditionnels. Comment vivez-vous avec ces commentaires?

La culture du clickbait – dans laquelle les médias déforment les propos des célébrités pour attirer des clics – peut réellement faire du mal. Et me faire du mal. Je m’efforce de prendre les choses avec un grain de sel, de me détacher des commentaires désobligeants, mais je trouve aberrant qu’on tente de faire taire les femmes de cette façon. Les médias, les tabloïds en particulier, essaient de discréditer les femmes fortes, qui parlent fort, parce qu’elles aident les autres femmes à être indépendantes, fonceuses. Il y a tellement d’exemples: la princesse Diana, Meghan Markle, Hillary Clinton, Taylor Swift, Greta Thunberg. Les médias n’aiment pas les lanceuses d’alerte, les crieuses de vérité, alors ils tentent de les faire passer pour des menteuses, des folles, des jalouses. C’est classique. Je refuse de me taire, de les voir gagner. On est en 2020! On a besoin de femmes qui mènent la conversation dans toutes les sphères de la société,même si ça dérange.

Et qu’elles le fassent avec leurs imperfections…

Voilà! On met d’abord les femmes fortes sur un piédestal, puis on jubile à les voir tomber: on prend une femme qui sort du lot, on la couvre de compliments et d’éloges, on la met de l’avant partout jusqu’à ce que le public s’en lasse. Puis, on la détruit. On dit alors que c’est une diva, une personne imbue d’elle-même, arrogante, manipulatrice. Au fond, c’est un moyen très efficace de faire en sorte que les porteuses de changement ne soient pas entendues. Après un passage éclair sous les projecteurs, elles se retrouvent vite dans l’ombre. Quand ça m’est arrivé, j’étais préparée. Je savais que ça s’en venait et j’étais prête à me battre. On ne donne aux femmes que le temps d’un sprint; moi, je vise un marathon.

Justement, dans la tempête qu’a été 2020, qu’est-ce qui vous trotte particulièrement dans la tête ces temps-ci?

Le droit reproductif aux États-Unis, où je réside. L’accès à l’avortement est grandement menacé, et ça m’effraie parce que les conséquences d’un changement relatif à ce droit humain sur les gens ayant un utérus sont incommensurables. Les États-Unis sont à feu et à sang présentement en ce qui a trait à la justice raciale et sociale. Ç’a été une année si intense! D’ailleurs, la santé mentale est également un sujet qui me tient à cœur, et je l’aborde souvent sur ma plateforme, I WEIGH. On doit prendre soin de nous pour continuer notre apprentissage, notre lutte.

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