La star et son double

Sa feuille de route impressionne tout le monde, sauf lui. Éternel insatisfait, Jake Gyllenhaal regarde devant lui, jamais derrière. Il a l’âge de jouer les héros de comédies romantiques et, en plus, il a la tête de l’emploi. Il pourrait se complaire dans ce genre, mais il aspire à des rôles qu’on donne habituellement aux acteurs ayant franchi le cap de la quarantaine, des personnages complexes et pétris de contradictions, comme ceux que lui a récemment confiés le réalisateur québécois Denis Villeneuve, dans Prisoners et dans Enemy, adapté du roman de José Saramago.

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Dans le thriller psychologique Enemy (sorti en salle en mars dernier), Jake Gyllenhaal incarne à la fois Adam (un enseignant effacé, obsédé par la découverte de son sosie) et Anthony (un acteur de troisième ordre extraverti), qu’Adam suit, épie, rencontre, jusqu’à ce que leurs identités (et même leurs blondes) se mélangent. Les deux hommes seraient-ils un seul et même individu? «J’aime à penser que, dans la vie, nous ne sommes pas la même personne, selon qu’on assiste à un cocktail ou qu’on est seul à la maison», dit Jake, philosophe, que j’ai joint au bout du fil en janvier dernier à Toronto, où il participait à une discussion publique pendant le festival Canada’s Top Ten. «Sans nous en rendre compte, nous communiquons et nous comportons différemment. Je n’ai jamais vu Adam et Anthony autrement que comme les deux visages d’une même personne.»


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Les copains d’abord

L’amitié professionnelle entre Denis Villeneuve (Incendies, Polytechnique) et Jake Gyllenhaal est née sur le plateau d’Enemy, à Toronto, et elle s’est prolongée sur celui de Prisoners, un drame puissant qui est sorti en salle en septembre 2013, soit six mois avant Enemy. «Denis et moi travaillions si bien ensemble que j’ai voulu que ça se poursuive», raconte Jake. Dans Prisoners, l’acteur a composé un personnage sensible qui a suscité maints éloges de la part du public et de la presse. «Outre le scénario, qui est habituellement déterminant dans le choix que je fais, j’aimais l’idée de participer à plus d’un film d’un cinéaste avec lequel j’ai créé des liens. Denis possède un sens de l’image qui le rapproche de David Fincher (Fight Club, Zodiac). Je pense aussi que son amour des acteurs et son désir d’expérimenter le relient à Sam Mendes (American Beauty). Sa gentillesse et sa générosité me rappellent aussi le travail d’Ang Lee (Brokeback Mountain). Denis possède des qualités que d’autres réalisateurs ont, séparément. Mais, en fin de compte, il est lui-même.»

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L’admiration est réciproque. «Jake a une grande intuition du jeu: c’est ce que j’adore chez lui. Il ne craint pas de prendre des risques. Il n’a aucun égo devant la caméra, il se donne complètement», a confié Denis Villeneuve au moment de la sortie de Prisoners. L’acteur américain se donne à fond, mais pas à n’importe quoi.

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Coeur vaillant

Hommes blessés, âmes ultrasensibles, c’est là le créneau de ce garçon dont les grands yeux verts sont des réservoirs de mélancolie. Hélas pour lui, les rôles riches et complexes se font de plus en plus rares au sein d’une industrie qui survit grâce aux superproductions et aux adaptations de bandes dessinées.

L’acteur, qui est passé à un cheveu d’incarner Spider-Man, Batman et Superman, a néanmoins tenté sa chance dans l’univers des superhéros en 2010 avec l’adaptation du jeu vidéo Prince of Persia: The Sands of Time. Mais la magie n’a pas opéré. Tant mieux pour l’acteur. Tant pis pour son compte en banque.

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«Le cinéma de divertissement a la responsabilité de raconter des histoires intelligentes », se répète Jake. Les productions coûteuses mais sans âme, très peu pour lui. Ce qu’il lui faut, ce sont des défis d’interprétation. Il ne dit toutefois pas non à un bon film de genre quand il passe, par exemple Love & Other Drugs (2010), une comédie sentimentale pleine de charme dans laquelle il partageait le lit de sa bonne copine Anne Hathaway, ou Source Code (2011), un thriller de science-fiction très réussi. Ce qu’il aime par-dessus tout, c’est composer lui-même ses personnages. «Certains rôles sont déjà finalisés lorsqu’on commence à tourner, affirme-t-il. Tout ce qu’il nous reste à faire, c’est de rencontrer l’équipe, de prendre connaissance du personnage et d’essayer autant que possible de lui rendre justice. Pour ma part, je préfère les rôles qu’il faut découvrir, construire de l’intérieur.»

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Bête de scène

Alors, rien d’étonnant que les planches, et les défis d’interprétation qu’elles promettent, constituent pour lui un appel de plus en plus pressant. En 2002, à Londres, dans le West End, il avait incarné un jeune dopé en déroute dans This Is Our Youth, de Kenneth Lonergan. Mais la vraie piqûre du théâtre, il l’a eue en décembre 2012 grâce à la pièce If There Is I Haven’t Found It Yet, du dramaturge anglais Nick Payne, qui a été présentée Off-Broadway. Il y incarnait (accent british en prime) l’oncle dissipé, mais plein de bon sens, d’une adolescente obèse. «Jouer au théâtre, c’est comme monter sur le ring: il faut montrer de quoi on est fait. Il n’y a pas d’échappatoire, pas de montage comme au cinéma. Tout est dans l’échange avec le public. C’est pour moi la forme d’interprétation la plus pure.»

Comment combiner la scène et le cinéma sans s’imposer de sacrifices? «Il faut savoir faire des choix, dit-il. Mais je ne vois pas ce que je pourrais perdre si je renonce à un film. Jouer devant un public, c’est le genre de rush que je préfère.» Les happy few seront contents. Mais nous, on espère qu’il poursuivra sa carrière au cinéma encore longtemps.

Cet automne, on verra Jake incarner un journaliste de faits divers de L. A., dans Nightcrawler, aux côtés de l’actrice Rene Russo.

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