C’est sur le plateau de mon émission de télé que j’ai fait la connaissance de cette chanteuse qui, sous le nom de Grimes, survolte la planète musique. Elle était malade comme un chien, fiévreuse et fragile. Malgré tout, j’ai compris ce soir-là pourquoi les médias du monde entier – dont le New York Times, le Guardian et Vogue – la décrivent comme le nouveau phénomène musical made in Montréal. Parce que, dès qu’elle monte sur scène, plus rien n’existe en dehors de ses chansons aussi dansantes qu’hypnotiques. Parce que, même lorsqu’elle a une grippe carabinée et qu’elle est épuisée par une interminable tournée, elle occupe à elle seule tout l’espace. Parce que, dès que les lumières se braquent sur la jeune Claire Boucher, elle devient Grimes, à corps perdu. Portrait en quatre temps d’une artiste dont la carrière a décollé comme une fusée.

La nerd

Avant de créer une musique cosmique à l’aide de divers claviers et consoles, Claire Boucher étudiait à l’Université McGill… en neurosciences! «Je suis passée des neurosciences à la musique très naturellement», soutient la jeune femme de 24 ans. «Bien que ce soit des disciplines très différentes, elles m’apparaissent complémentaires. Toutes deux exploitent les possibilités du cerveau humain. Elles ont pour matière première l’humanité.»

Même si Grimes consacre désormais la majeure partie de son temps à faire danser les foules de New York, de Berlin ou de Londres, elle préfère de loin se retrouver seule en tête-à-tête avec son ordinateur. «Si je n’avais pas d’entrevues et de spectacles à donner, je pourrais composer tout le temps!» lance celle qui, malgré sa soudaine célébrité, est demeurée plutôt timide.

 

Elle n’hésite d’ailleurs pas à se couper du monde, à se cloîtrer comme un moine pendant des semaines, pour composer sa musique qui compte des influences aussi disparates que Animal Collective, Enya, Aphex Twin et Mariah Carey. «Pour moi, la création est un acte solitaire. Pendant ces périodes, je m’isole, je dors peu; je travaille parfois pendant 15 heures d’affilée, sans manger, sans boire, sans voir personne. Mon imagination se nourrit de ces situations extrêmes. Je ne crois pas qu’on puisse faire de grandes choses lorsqu’on est trop bien, trop heureux. Dans ces moments-là, on vit, on profite… on ne crée pas!»

 

La montréalaise

Son nom aux résonances francophones pourrait laisser croire que Claire Boucher est Québécoise d’origine. En réalité, elle est née en Colombie-Britannique de parents anglophones, et ce n’est qu’en 2006 qu’elle est venue s’installer à Montréal pour y étudier. «Je ne serais certainement pas musicienne si je n’avais pas vécu à Montréal. C’est vraiment la scène musicale montréalaise qui m’a permis de devenir la personne que je suis», explique la chanteuse, qui compte parmi ses fans de nombreux artistes d’ici, dont Pierre Lapointe, les membres du groupe Radio Radio et même ceux d’Arcade Fire. Et comment décriraitelle cette communauté de musiciens dont elle fait partie? «Ça peut paraître quétaine, mais c’est une scène très, très passionnée. Tous mes amis sont artistes, plusieurs sont pauvres, mais ils s’en foutent et consacrent leur vie à l’art. C’est un milieu particulièrement inventif et investi.»

 

L’autodidacte

Claire Boucher appartient à une génération d’artistes qui a appris à composer de la musique toute seule, en bidouillant avec le logiciel Garage Band. Trois ans et quatre albums plus tard, elle est devenue beaucoup plus qu’une simple musicienne électro-pop. Grimes, c’est une véritable femmeorchestre qui fait presque tout elle-même. Non seulement elle compose, chante, joue de multiples instruments et manie les consoles, mais c’est également elle qui imagine ses looks rétro-futuristes, dessine les pochettes de ses albums et réalise la plupart de ses vidéos. «Même si la musique est ma forme d’art préférée, elle est pour moi indissociable de l’image. Quand j’écris une chanson, je vois déjà son vidéoclip dans ma tête», raconte la jeune femme, qui est de surcroît peintre, et qui a même lancé, le printemps dernier, une irrévérencieuse collection de bagues, née de sa collaboration avec le bijoutier et sculpteur Morgan Black.

 

 

 

La pop-star

Il y a un an, Claire n’aurait jamais pu prédire son ascension fulgurante. C’était avant qu’elle soit repêchée par le label britannique 4AD et que l’influent site musical Pitchfork porte aux nues son plus récent album, Visions. Depuis, son look fantaisiste en constante mutation – songeons à ses cheveux blonds, roses, verts, noirs ou décolorés – lui a valu d’apparaître sur la couverture du magazine-culte Dazed and Confused, et sur les pages glacées d’une flopée de publications, dont le prestigieux W Magazine.

Si Grimes cartonne, Claire, elle, retient son souffle. «J’ai compris qu’il se passait quelque chose quand j’ai joué devant des milliers de personnes au festival espagnol Primavera Sound, raconte la principale intéressée. Pour moi, ç’a été le point tournant: je m’adressais soudainement à un public beaucoup plus large.» Et comment compose-t-elle avec cette soudaine célébrité? «C’est très étrange de lire ce qui se dit à mon sujet sur Internet. Au quotidien, je n’ai pas conscience de ce qui se passe; je vis très simplement, entourée de mes amis. Mais, parfois, j’ai des vertiges en pensant à la portée de ce que je fais.»

 

 

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