«Ça ne me viendrait jamais à l’esprit de dire à mon chum: “Hey, je pourrais faire la couverture d’ELLE Québec!” Jamais je ne vais penser à ce genre de chose. Il y a une volonté chez moi – et peut-être que c’est la bonne deuxième ou la timide en moi qui le veut ainsi – de toujours rester sur le plancher des vaches. […] J’aime qu’on m’offre de faire cette couverture, je suis pleine de gratitude pour toutes les occasions qui me sont offertes, mais je ne suis pas plus importante que l’infirmière qui est en train de soigner quelqu’un ou que le plombier qui vient m’aider quand je suis dans la merde. Il y aura toujours une partie de moi qui se dira: “Pourquoi moi plus qu’une autre?”»

Emmitouflée dans un chandail en coton ouaté à capuchon et coiffée d’une tuque calée sur sa longue chevelure, la gracile France Beaudoin pourrait presque passer pour une stagiaire. Sa courte stature et sa taille menue tranchent avec l’espace qu’elle occupe dans l’univers de la télé québécoise. Et, il faut le dire: France Beaudoin n’est pas, non plus, du genre à porter des talons hauts au bureau ni à lever le menton bien haut pour se donner de l’importance. Cette femme, vêtue avec une infinie simplicité, celle qui insiste pour que je la tutoie avant même que je sorte mon calepin, n’a que faire de la vantardise ou de l’autopromotion. Ce n’est pas son genre. Pas du tout.

On comprend vite, en entrant dans ses bureaux aux murs de brique du Vieux-Longueuil, qu’on a affaire à une femme qui a la pleine maîtrise de sa vie et de sa carrière, une productrice dont le rayonnement s’étend partout au Québec et qui ne se préoccupe pas pour autant de l’image qu’elle projette. Dans son beau local largement fenestré d’un bâtiment qui logeait jadis une chocolaterie, elle accueille avec chaleur celles et ceux qui passent le pas de sa porte. On débarque chez France Beaudoin comme on foulerait le plancher de la cuisine d’une cousine ou d’une amie. Elle s’avance les bras tendus vers nous pour accrocher notre manteau sur un cintre du garde-robe, pour nous offrir un thé ou un café. Au loin, sur un piano où sa complice, France Castel, joue à ses heures, quatre Gémeaux font foi de son impressionnante feuille de route.

Et il s’agit, d’ailleurs, de l’unique étalage de trophées qu’elle s’autorise. C’est qu’elle est humble, France Beaudoin. Terriblement modeste et probablement même davantage qu’il n’y paraît quand on ne la voit qu’à l’écran. Elle a une prestance naturelle, qui est tout sauf arrogante ou prétentieuse, et des manières élégantes, qui peuvent peut-être porter ombrage à sa gentillesse sincère. France, c’est une vraie fine.

Garrett Naccarato

Défier les prédictions

Rien ne destinait France à une carrière devant les caméras. Contrairement à tellement d’étudiants en journalisme, ce n’est même pas un rêve qu’elle caressait, affalée sur son sofa pour regarder ses émissions préférées. Tenir un micro et briller sous les projecteurs? Ça ne l’attirait pas, même en secret. Juré, craché.

«En Art et technologie des médias, au Cégep de Jonquière, je longeais les murs. […] Dans ma tête, je m’en allais en écriture. Je m’étais inscrite en droit et en politique à l’université. Je ne projetais pas de commencer à travailler aussi vite, et surtout pas de travailler en télé! Zéro. Ça ne m’attirait pas du tout. Je m’étais aussi fait dire par mes profs des phrases que j’ai bien voulu croire. Des phrases comme: “T’as pas la bonne voix” ou “T’as un petit défaut de langage”. Il suffit parfois d’une phrase qui t’est dite une seule fois…»

C’est finalement par un concours de circonstances, soit l’appel d’un directeur de l’information, Jean Denoncourt, en l’occurrence – le frère défunt de Serge –, qu’elle fera ses premiers pas à titre d’animatrice à la télévision. Comme d’autres camarades de sa classe, France acceptera de se prêter au jeu des auditions avant d’être choisie. C’est ainsi que, contre toute attente, elle commence sa vie professionnelle à la barre de l’émission La Vie en Estrie.

«Dans ma tête, je m’en allais en écriture. Je m’étais inscrite en droit et en politique à l’université. Je ne projetais pas de commencer à travailler aussi vite, et surtout pas de travailler en télé! Zéro.»

Rapidement, elle se fait remarquer par Montréal. S’enchaîne toute une série d’émissions archimarquantes à TVA avant qu’elle saute la clôture pour se rendre à Radio-Canada avec Bons Baisers de France. Une occasion qui lui est tombée dessus parce que d’autres animateurs potentiels, plus connus qu’elle à l’époque, avaient refusé cette case horaire, pourtant si convoitée, de l’émission quotidienne et estivale de fin de soirée.

«Je ne suis pas sûre que j’ai déjà raconté cette anecdote avant. Le talk-show devait commencer six semaines après. Il n’y avait pas de décor, pas de thème musical, pas de concept. Rien. Les producteurs avaient offert le poste à plusieurs autres animateurs avant moi. De mémoire, Véronique Cloutier et Michel Barrette avaient reçu l’offre. Je me rappelle très bien qu’on m’ait dit au téléphone: “Là, c’est René Simard qui a eu l’offre… Si jamais il dit non, accepterais-tu de le faire?” J’étais le quatrième ou le cinquième choix.»

Plutôt que de se sentir comme le plan B – ou la bouche-trou, n’ayons pas peur des mots –, France se pinçait en contemplant sa chance. Une réaction qui en dit long sur sa personnalité. «Je me suis dit: “Wow, je suis la cinquième à qui on l’offre!” (Court silence) Souviens-toi… Je ne suis pas censée faire ça dans la vie, et je ne veux pas exercer ce métier à tout prix. Moi, si je ne suis pas en ondes, ce n’est pas grave.»

Dame de cœur

À la tête de sa propre entreprise (Pamplemousse Média) depuis maintenant une décennie, France œuvre aussi en coulisse à titre de productrice pour une myriade d’émissions très populaires. On ne la voit pas à l’écran, mais c’est elle qui tire les ficelles de plusieurs projets, notamment On va se le dire, animé par Sébastien Diaz, et l’émission jeunesse Mammouth, mettant en vedette Sarah-Jeanne Labrosse et Pier-Luc Funk. «Comme productrice, j’aimerais que mes collègues disent que ma volonté, c’est d’essayer de faire arriver les choses. En tout cas, moi, c’est de cette façon que je perçois les choses. Mon travail, c’est d’essayer de réunir les conditions pour que tout fonctionne, que ce soit sur le plan des équipes, des idées, du suivi… C’est d’aller cogner à une autre porte si la première ne s’ouvre pas, c’est d’oser et de risquer… C’est de “leader” quelque chose, mais de s’entourer de plus fort que soi, partout.»

France serait, à en croire les rumeurs qui circulent dans le milieu, une patronne vraiment hors norme. Humaine, sensible, juste. Le genre de boss qui livre des dindes à Noël à la porte des maisons de ses employés. Une animatrice et productrice qui embauche un psychologue industriel pour apprendre à mieux composer avec l’imprévisible, pour apaiser l’insécurité des membres de ses équipes en ce qui touche le télétravail, pour les aider à s’adapter aux changements qui se sont imposés depuis la pandémie, pour les accompagner avec douceur.

En plus de la gestion sensible de ses employés durant la crise sanitaire, France a toujours placé le bien-être de ses collaborateurs au cœur de ses préoccupations. De tout temps, comme cheffe d’entreprise, elle a porté une attention particulière à la conciliation travail-famille. France est davantage qu’une productrice et une animatrice, c’est une mère. C’est le contrat le plus important de sa vie, celui qu’elle fera toujours passer en premier. «Mes enfants, je les ai tout le temps traînés dans mes loges, je jouais avec eux et je m’enfargeais dans leurs affaires avant d’entrer en ondes. Je me souviens de la première de Bons baisers de France: j’allaitais mon enfant et, 10 minutes plus tard, j’entrais en ondes. Avant la pandémie, on avait mis en place une garderie à En direct de l’univers pour que les parents y amènent les enfants. Ça enlevait du stress et ça apportait une normalité. Les artistes savaient qu’ils pouvaient venir avec leurs enfants sur le plateau et que quelqu’un allait s’occuper d’eux. On enregistre l’émission le samedi, mais au moins, les familles pouvaient quand même être ensemble.»

Garrett Naccarato.

Dans l’univers de France

France est originaire de Disraeli, petite bourgade de 2500 âmes située à une trentaine de minutes de Thetford Mines. Elle a grandi dans une famille très créative, où la musique était omniprésente. Vitale, même. «Du côté de ma mère, les membres de sa famille avaient, à l’époque, un groupe qui s’appelait La Fourmilière. Ils allaient dans des résidences pour personnes âgées, des CHSLD ou des hôpitaux. Ils chantaient tous ensemble. Un membre de la famille sortait d’un gros gâteau, un autre artiste arrivait par la porte… Exactement comme ce qu’on fait [dans En direct de l’univers]!» L’animatrice mélomane tire donc son ouverture et sa curiosité de ses oncles et ses tantes. Chez elle, déjà toute petite, les styles se mélangeaient sans complexe. Jazz, folklore, chant a cappella… Le clan de sa mère l’avait, somme toute, bien préparée à son poste de cheffe d’orchestre d’une émission musicale. Un poste où elle excelle.

Si France ne chante pas, ce n’est pas faute d’avoir essayé. Enfant, elle a tenté sa chance à la chorale du village. Un moment marquant dans sa vie, une expérience vaguement humiliante qui, avec le recul, la fait rire aux éclats. «On était à la veille du concert de Noël. J’étais dans les altos; et la dame – qui était super fine –, cherchait qui faussait dans le groupe. Elle nous faisait recommencer encore et encore, et elle ne trouvait pas. Elle a fait chanter les sopranos seules, puis les barytons. Ça ne venait pas de là. C’est quand elle a pris les altos à part, rangée par rangée, qu’elle a finalement trouvé. Et… c’était moi, la coupable!»

Qu’importent ses aptitudes vocales, son oreille et son sens du rythme ne défaillent pas. Solide et décidément sur son X, France en est à la 13e saison d’En direct de l’univers, un nombre que les superstitieux ont en horreur et qui est bien loin de lui porter malheur. L’avenir pour elle s’annonce radieux puisque la 14e mouture de cette populaire émission musicale a été confirmée. D’autres projets, passionnants et pertinents, se profilent à l’horizon pour la productrice: deux documentaires réalisés aux côtés de l’écrivain et slameur David Goudreault, l’un portant sur le pouvoir des mots, et l’autre sur les sarcomes, une forme de cancer très rare qui a emporté Terry Fox en 1981 et qui hypothèque à présent le quotidien de l’autrice Caroline Dawson. Étant donné que les recherches sur cette pathologie n’ont pas évolué au cours des 40 dernières années, un reportage de longue haleine sur le sujet s’imposait. Et c’est la France, socialement engagée, empathique et prête à aller au front, qui a décidé de le mettre au monde.

Non, la présidente de Pamplemousse Média n’est pas du genre à attendre, les bras croisés, que le téléphone sonne. Grisée par ce poste discret qui l’anime autant, sinon plus, que celui qu’elle accomplit devant les téléspectateurs, la productrice n’a pas besoin de se voir à l’écran pour se sentir exister. En fait, peu importe où elle se trouve, qu’elle soit devant ou derrière les caméras, France continue de vouloir ouvrir des portes, toujours plus de portes, en prenant toujours bien soin de ne pas heurter personne au détour de ses entrées fracassantes.

Lisez notre entrevue avec France Beaudoin dans le numéro de mai d’ELLE Québec en kiosque maintenant.

ELLE QUÉBEC - MAI 2022

ELLE QUÉBEC - MAI 2022Garrett Naccarato

Photographie Garrett Naccarato. Stylisme Jay Forest. Direction de création Annie Horth. Mise en beauté Geneviève Lenneville (Folio Montréal, avec les produits Dior Beauté et Oribe). Production Estelle Gervais. Assistants à la photographie Maxime Gay et Raphaël Rahim Nikiema. Assistantes au stylisme Juliette Bourbonnière et Cristina Miranda.