Style de vie
Entrevue: La vraie nature de Bianca Gervais
Distanciation physique et chaleur humaine ne sont pas nécessairement incompatibles. Il suffit d’une rencontre virtuelle avec l’actrice, réalisatrice, productrice et animatrice Bianca Gervais pour se réchauffer à son soleil.
par : Emilie Villeneuve- 08 juil. 2020
Royal Gilbert
Ce rire. Dans les aigus, qui courent sur les chemins de travers, contagieux. Il ponctuera plusieurs confidences de l’entrevue que j’ai réalisée avec elle en temps de pandémie. Bianca s’est réfugiée dans sa voiture pour parler en paix, à l’abri de ce qu’elle appelle affectueusement son chaos. Nous faisons connaissance par le truchement de nos écrans respectifs. Dans son véhicule, la brunette remonte ses cheveux, les relâche, et son rire s’égrène. «Je pensais que c’était une conversation téléphonique. Je ne me suis pas mise cute… J’ai sablé le deck ce matin. On essaie de faire des bouts de job, Seb et moi, à relais, tout en stimulant les enfants, tout en leur faisant l’école. Tout en essayant de garder un semblant d’ordre dans la maison, une bonne santé mentale, physique et… de sabler le deck!»
Il me semble que cette séquence décrit assez bien le quotidien d’un bon nombre d’entre nous par les temps qui courent: faire de menus travaux, réviser les tables de multiplication avec fiston, essayer de gagner son pain et contenir un tant soit peu le bordel ambiant. «Je sais très bien qu’on est dans une situation privilégiée. Le frigo est plein, les tournages vont reprendre un jour, je fais des p’tites jobs ici et là, l’émission de Sébastien [Diaz] recommence en septembre. On n’a pas de proches dans un CHSLD… Mais il faut quand même apprendre à danser dans le chaos.»
L’actrice est tout sourire, mais comme on est toutes deux mamans de jeunes enfants, j’ai envie de vérités un peu plus sales et décoiffées. Je gratte un peu. La danse est-elle toujours gracieuse? Jamais l’athlète ne s’essouffle? «Ben oui! C’est des vases communicants, ces affaires-là. Quand le vase de la mère est bien rempli, parce que j’ai été attentive aux besoins des enfants, que j’ai été présente, celui de la fille qui doit répondre à ses courriels, avancer, créer… est vide. Je me sens coupable quand je prends du retard au travail et quand le vase du travail est plein, je me sens coupable de ne pas avoir été la maman qui joue à quatre pattes avec des bonhommes.» Bref, c’est le même casse-tête parental qu’avant la pandémie, mais avec un degré de difficulté supplémentaire: on n’a plus une seule seconde à soi. «C’est pour ça que je dis que tout ce qu’il y a à faire, c’est de composer avec la situation et de créer des p’tits bonheurs là où on peut. En faisant des travaux dans la cour ou en dansant dans la cuisine avec les enfants.»
Bowie: T-shirt en coton (Atelier B), shorts en coton et polyester (Zara), espadrilles en suède et cuir (Vans). Bianca: robe de chambre en coton (OAS), bagues en or 10 carats (Deux Lions), bague (personnelle). Liv: robe de chambre en coton (OAS). Merci à Alexandra Côté-Saint-Louis et à son chien Beckham.
Lenteur
Même si le temps pour se ressourcer est inexistant, quelques réflexions ont tout de même percolé dans la tête de Bianca ces derniers mois: «Je pense beaucoup à la place que le travail occupe dans ma vie. J’ai 35 ans, et j’ai commencé à travailler à 8 ans. Ça ne s’est jamais arrêté. J’ai toujours roulé à 150 kilomètres à l’heure sur l’autoroute de la vie. Quand le confinement a commencé et qu’on est tombés à la vitesse de croisière zéro, je me suis demandé pourquoi je me définissais autant par le travail. J’en ai conclu que c’est parce que c’est tout ce que j’avais connu jusqu’à maintenant.»
Celle qui incarnait Karine dans Le monde de Charlotte travaillait 160 jours sur les 180 jours d’école lorsqu’elle avait 15 ou 16 ans. «Se lever à 4 h du matin, être en tournage tous les jours et étudier tous les soirs… Je me suis habituée jeune à beaucoup de discipline. Et c’est très stimulant de rouler à 150 kilomètres à l’heure. Mais pourquoi ralentir nous fait-il si peur? Qu’est-ce que ça traduit? Les premières journées du confinement, je me levais dans le but d’accomplir quelque chose.»
En temps normal, lorsque les entrevues sont faites en présence réelle de la personne, il se dégage une ambiance, le courant passe ou ne passe pas, et des impressions peuvent en dire plus que les mots. Il y a des réactions à l’environnement qui peuvent traduire un état d’esprit. Malgré la distance et la conversation sous verre, une grande chaleur émane de mon premier contact avec Bianca Gervais. Derrière elle, l’arrière-plan, bien que restreint, est éloquent: on y voit deux sièges pour enfants. L’un pour Liv, six ans, l’autre pour sa sœur, Bowie, deux ans. Entre les deux, un sac de craquelins (oui, des Goldfish) bien entamé. On ne pourrait être plus proche de la réalité. Une réalité étrange, où le temps s’étire comme du sucre qui fond.
«Au fil des semaines, je suis devenue une maman confiture. Je connaissais les forces de mes filles et les défis qu’elles doivent relever, mais, ces jours-ci, j’ai le temps de réparer des choses. Je les observe, je vois les petits trous. Je recolle lentement les morceaux. Malgré tous les challenges que cette situation pose, notre famille n’a jamais été aussi soudée. Liv a perdu deux dents, Bowie s’entraîne à la propreté, mes filles se disputent moins l’attention de leur maman. Y a de la beauté là-dedans.»
Chapeau en paille (Jacquemus, chez SSENSE), robe en coton (Erdem), bagues (personnelles) et chaînes en or 10 carats (Deux Lions).
Vertige
OK, mais j’ai encore besoin d’aller voir sous le vernis des beaux constats. Au tout début de cette petite fin du monde, comment l’enquêteuse Marie-Louise Cyr, de la série L’échappée, s’est-elle sentie? «Ç’a été un énorme vertige. Quand la vie va vite, il y a des choses qu’on arrive à tasser du revers de la main. Moi, par exemple, c’est mon anxiété. Quand la vie ralentit, tout remonte à la surface. Est-ce que je vais travailler dans la prochaine année? Est-ce que ma famille va être atteinte? Est-ce que mes parents vont être corrects? Est-ce qu’il faut que j’achète des masques? Une visière? Comment ça, y a plus de Purell? C’est tout un exercice d’apprendre à tolérer ses pulsions, à lâcher prise. Et des fois, je me retrouve en situation d’échec.»
Et son rire remonte, si clair, si vrai. «Accueillir le ELLE Québec chez moi en ayant une repousse, en n’ayant pas fait de soin facial et avec les enfants, c’est… Je ne sais pas si la cour sera prête! J’ai averti l’équipe que je ne pensais pas que la robe Versace à 10 000 $ serait une super bonne idée. Bowie va avoir des petits pieds sales, on va se balancer sur le vieux module de jeux délavé. Ce n’est pas photogénique, tout ça! Ça va être fucking imparfait. Mais tu sais quoi? C’est la vérité, et la vie n’est pas glamour en ce moment.»
Cette discussion pas glamour commence à me faire autant de bien qu’un verre de vin entre amies. Une question me vient à l’esprit. J’ai lu sur un site quelconque que le tournage de la nouvelle série Escouade 99, dans laquelle Bianca incarne la policière Rosalie, avait été exigeant. Plus exigeant que d’être 24/7 avec deux jeunes enfants à naviguer dans un flot d’incertitudes? «Ha! ha! Tu vois, pour moi, ce qui était le plus drainant durant le tournage, c’était de gérer ma culpabilité. Le tournage se faisait à Québec, et j’étais loin de mes filles.» Elle creuse: «Mon cheval de bataille depuis un certain temps, c’est de faire mentir la croyance selon laquelle on ne peut pas exercer ce métier et être mère en même temps.» Elle raconte la décision qu’elle a prise un jour où Liv était malade. Écartelée entre le désir de rester auprès de son enfant et les impératifs d’enregistrement de l’émission Format familial, Bianca a simplement amené sa petite avec elle sur le plateau: «Elle était sur ma hanche. Elle me jouait dans le visage et elle parlait. Ce n’était pas l’idéal, mais j’ai décidé que c’était possible.» Ainsi, la comédienne a déjà allaité Bowie entre deux prises à l’occasion d’un tournage qui avait lieu deux semaines après son accouchement. Elle se souvient aussi d’une intense scène de danse avec beaucoup de figurants il y a quelques années: «Je venais de faire une fausse couche, mais je ne pouvais absolument pas freiner la production, ce n’était pas possible. Alors, j’ai mis une couche et j’ai joué la scène. J’ai gardé mon petit secret pour moi.» Elle précise: «Je ne fais pas pitié, c’est juste la réalité. Je suis folle de mon métier, mais il faut avouer qu’il est difficile à conjuguer avec la famille.»
Je lui demande si elle ne pense pas que la situation actuelle vient justement ouvrir des brèches dans les frontières si étanches qu’on a érigées entre nos boulots et nos familles. Soyons honnêtes: il y a une part de soulagement à faire des vidéoconférences avec les autres et de voir qu’on n’est pas les seules à ramer, non? «Tellement! Il y a une humanité qui ressort de tout ça. Tu vois tous tes collègues qui sont essoufflés, qui ont du mal à composer avec la situation, qui ont mis un film aux enfants et qui se sentent coupables parce qu’ils auraient plutôt dû faire l’école à la maison… et le chat qui arrive et fait un dégât. Moi, cette humanité-là, c’est ce que je préfère. En amour, en amitié, j’ai besoin de cet espace pour l’imperfection.»
Liv: Chapeau en paille (Jacquemus, chez SSENSE), cardigan (personnel), robe en coton (Zara). Bianca: Robe en coton (Erdem), veste en laine et soie (Yves Saint-Laurent, chez HERMUST). Bowie: chandail et pantalons (personnels).
Déprogrammation
De plus en plus, Bianca s’accorde elle aussi ce droit aux essais et aux erreurs. Après une adolescence et un début de vie adulte à courir après la perfection, elle se permet de faire des pas de côté et tente de ne plus exister uniquement dans le regard des autres: «Il y a quelque chose avec l’enfant acteur. Tu as huit ans, tu entres dans la salle d’audition et tu comprends ce qu’on attend de toi. Après l’adolescence, je me suis demandé qui j’étais. En dehors de mon métier, qu’est-ce que j’aime? C’est quoi, mes passions? mes valeurs? Je suis qui, moi? Je ne le savais pas. C’est un métier difficile à exercer sans être dans le regard de l’autre. Le public a toujours une opinion sur moi, sur ce que je porte, sur ce que j’émets comme commentaires. Mon leitmotiv et mon but avant la quarantaine, c’est de me libérer de ça. Je le touche petit à petit, en assumant mon opinion dans une entrevue, en montrant ma cour qui est imparfaite. C’est comme une déprogrammation.»
Elle fait valoir que la maternité aide aussi à choisir ses combats, à mettre en œuvre le lâcher-prise qui, pour les gens performants, loge à la même enseigne que les licornes. «À la fin de la trentaine, on commence à connaître sa valeur, mais c’est difficile de dire ça, surtout quand on est une femme, parce que ça peut être perçu comme étant très égocentrique. Mais ça calme à l’intérieur.»
L’une des manifestations de cette confiance en construction, c’est le fait que Bianca Gervais réalise désormais Format familial. «Ça faisait deux ans que mon chum me disait de faire le saut. Je lui répondais: “Non! Je ne connais pas le nom de telle lentille!” À un moment donné, j’ai arrêté le niaisage. Encore une fois, tout n’est pas parfait, mais c’est un apprentissage.» Et qu’est-ce qui l’attire dans la réalisation? «Je vais être très honnête. Je ne sais pas si j’ai envie de vieillir à l’écran. Là, je suis dans le premier trio sur la patinoire, parce que je suis jeune. Mais je sais que ça ne va pas durer et que c’est extrêmement difficile quand on passe au troisième trio et au quatrième.» Pas de fiction en vue en ce moment pour la réalisatrice; ce qui intéresse Bianca, c’est davantage le documentaire et le magazine télévisé. «Je veux avoir le contrôle, raconter mes propres histoires, me créer de la job et mettre en scène d’autres femmes vieillissantes, d’autres visages, d’autres sensibilités. Pour moi, attendre que le téléphone sonne, c’est me vouer à la douleur.»
Notre rencontre tire à sa fin, et Bianca secoue la tête. Elle dit, encore en riant: «Quand on m’a appelée pour faire la une du magazine, j’ai répondu: “Moi? Vraiment? J’ai zéro once de mystère!” Mais, tu sais quoi? Ça ne me dérange plus d’être dépeinte avec des failles.»
Et c’est de loin le plus beau cadeau à faire à nos âmes confinées.
ELLE Québec - Été 2020
Royal GilbertPhotographie ROYAL GILBERT Liv: Robe en coton (Zara), pantoufles en polyester (personnelles). Bianca: Robe en soie et coton (Bottega Veneta), boucles d’oreilles en argent sterling et perles (Deux Lions). Direction de création ANNIE HORTH Stylisme TATIANA CINQUINO Mise en beauté dirigée par NICOLAS BLANCHET, avec les produits Lise Watier et Oribe (Folio Montréal) Coupe OLIVIER MIOTTO (Suite105 par Glam) Production ESTELLE GERVAIS Post productions Valerie laliberté Vallali retouche photos Assistant à la photographie PASCAL FRÉCHETTE
Cet article est paru dans le ELLE Québec Été 2020. Disponible en version numérique et en abonnement.
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