Le café n’est pas bondé, ni complètement vide. Mais elle n’y est pas et l’heure du rendez-vous approche. Soudain, à la fenêtre, une silhouette floue et un casque de mobylette. Puis, l’actrice entre et tout de suite monte en moi l’impression qu’en sa présence, l’espace se remplit. Me revient alors en tête cette bribe de phrase que Magalie a prononcée dans un entretien accordé l’année dernière à Marc Cassivi: «[…] être capable d’avoir une ampleur même dans le chuchotement».

Nous commençons l’entrevue sans préambule après une bise furtive, peut-être pour tromper l’inconfort qui se tapit inévitablement dans l’ombre de ce genre de rencontre. Elle arrive de Toscane, tel qu’en témoigne son compte Instagram, où elle a visité son ami le metteur en scène Serge Denoncourt, qui y possède une résidence. «Les matinées étaient faites de travail sur mes textes et les après-midis d’Aperol Spritz: un doux mélange de choses que j’aime.» Elle rit d’un rire d’actrice version soft. Un rire qui dévoile de jolies dents et quelque chose comme une microdose de nervosité.

Ces textes sur lesquels elle planche, m’apprend-elle, sont ceux de la poétesse canadienne Elizabeth Smart. Nous sommes au début du mois de septembre et, dans quelques semaines, Magalie défendra seule, sur la scène du Festival international de la littérature, l’œuvre phare de l’autrice: À la hauteur de Grand Central Station, je me suis assise et j’ai pleuré.

«Je n’ai jamais vraiment rêvé de jouer en solo, même s’il y a quelque chose de prestigieux là-dedans. Moi, j’ai l’habitude d’être nourrie par mes camarades sur scène: on s’épaule dans le vertige.»

Elle esquisse cette époustouflante image, mais le temps manque pour s’y attarder. Mon café refroidit alors qu’elle trouve le moyen de ponctuer son passionnant récit du texte d’Elizabeth Smart de quelques gorgées brûlantes, qui jamais n’engloutissent le fil de ses pensées.

Merci pour l’amitié

Lorsqu’elle parle, l’interprète captive. Son regard pailleté d’or prend en otage. Dur même pour l’œil de le quitter pour se poser sur la chevelure sagement nouée ou de saisir des éclats de conversation fusant de la table d’à côté. Il n’y a qu’elle. Elle et son éloquence, ses mots choisis et répétés plusieurs fois jusqu’à ce que le prochain qui soit juste arrive et s’enfile dans le collier de perles.

La conversation se poursuit sur Merci pour tout, le prochain film de Louise Archambault, scénarisé par Isabelle Langlois, qui sera en salle pour le temps des Fêtes. Magalie partage l’affiche de cette comédie, qu’elle qualifie de projet bonbon, avec Julie Perreault. Pour résumer rapidement, l’histoire raconte les retrouvailles de deux sœurs en froid. Elles doivent faire ensemble un pèlerinage aux Îles-de-la-Madeleine, à la suite du décès de leur père. «C’est rare qu’on tourne l’hiver dans les grands vents. Ç’a été un road trip pour toute l’équipe, avec tout ce que ça comporte de beauté et de difficulté.»

Ç’a aussi été l’écrin d’un grand coup de foudre pour Magalie. «Julie et moi, c’est comme une alliance naturelle qui s’est consolidée avec le tournage. Je suis retombée en amour avec elle tous les jours. On se connaissait déjà, mais notre relation est vraiment devenue forte lors de ce tournage.» Un lien qu’elle qualifie de sororal.

Lorsque je lui demande de creuser, d’expliquer cet élan du cœur, elle répond: «Julie et moi avons toutes deux l’intimité farouche. Nous nous sommes reconnues là-dedans. Notre confiance mutuelle est totale. La vie a voulu qu’on vive en même temps des situations qui pouvaient s’apparenter, on s’est donc soudées l’une à l’autre.» Elle développe son propos sans avoir besoin d’une autre question: «J’ai ce rapport-là quand il s’agit des grandes amitiés de ma vie. Il y a quelque chose d’un peu fulgurant. Je n’ai pas beaucoup d’amies, mais j’y tiens. C’est mon bien le plus précieux, ma plus grande fierté, ma plus grande réussite.» Elle prend une pause, inspire et replonge.

«L’amitié n’est jamais acquise, c’est toujours à renouveler, à travailler. C’est fait de beaucoup de délicatesse et d’écoute, ce n’est pas exclusif, et ça se redéfinit, toujours. Dans toutes les histoires d’amour avec mes amies, il y a un déclic et après vient un désir d’échanges profonds qui est sans cesse renouvelé. Et c’est ça, avec Julie.»

Rarement ai-je entendu définition plus juste de l’amitié féminine. Celle qui galvanise, aide à traverser la vie, à panser les écorchures, à mieux définir les contours de nos identités. Les qualités d’une grande amitié, selon Magalie? «La confiance, la franchise, l’exigence aussi. Je pense que je suis exigeante envers mes amies et elles le sont aussi à mon endroit; je trouve que c’est une bonne chose. On ne se tient pas pour acquises. Je parle beaucoup au féminin. J’ai des amis de gars, mais les femmes qui m’entourent sont la colonne vertébrale de la personne que je suis aujourd’hui.»

La colonne vertébrale. Ce qui permet de se mouvoir, de se tenir debout. D’avancer. «On constate la force de nos amitiés quand on est au plus bas, mais aussi dans les grandes joies. Parfois, on mesure l’amour des gens qui nous entourent à nos succès et à nos réalisations. Parfois, il y a une pointe d’envie, mais une envie chargée d’admiration et non pas de jalousie.»

La nuance est cruciale et quiconque a transcendé le mur de la jalousie en amitié ou dans tout autre contexte ne peut que hocher la tête, le sourire aux lèvres. «Quand j’ai peu d’estime pour moi – ça m’arrive quand même souvent – et que je constate la qualité des gens qui m’entourent, je me dis que j’ai dû réussir quelque chose. Parce que, sinon, on ne continuerait pas de me choisir. Ça me rassure sur la personne que je suis. Ça veut dire que, probablement, j’ai une certaine qualité en tant qu’être humain.»

Oui, je sais. Par réflexe, on se dit que si on était née Magalie Lépine-Blondeau, notre estime de nous-même serait à son comble. Mais ça serait faire fausse route. «On a toutes notre façon de composer avec nos démons, nos fragilités, nos remords, nos regrets. Il y a des moments où ce qu’on projette n’est pas en accord avec comment on se sent, ou avec la personne qu’on est fondamentalement. Des moments où on n’est pas à la hauteur de celle qu’on voudrait être. Non pas dans nos accomplissements, mais dans ce qu’on est capable d’offrir au monde, à la société… On se sent inutile. Après, il y a toute la complexité de notre rapport à notre corps. Pour ma part, ce rapport devient plus harmonieux en vieillissant qu’il ne l’était avant.»

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Photo: D.Picard

Que rien ne bouge

Un regard plus doux sur soi, donc, mais avoir 37 ans suppose aussi qu’on soit suffisamment avancée dans la course pour avoir passé l’âge des illusions. «La fin de la trentaine, ça m’habite parce qu’un changement va s’opérer dans mon corps comme dans celui de toutes les femmes de mon âge. C’est la “date de péremption” de notre système de reproduction. J’aimerais qu’il en soit autrement, mais il n’y a pas d’injustice sociale là-dedans. C’est biologique.» Les mots sont choisis et pesés avec encore plus de soin, il me semble, et l’attention est encore plus soutenue. «Je voudrais juste disposer de plus de temps… Quand elle est heureuse, mon amie Anne-Élisabeth Bossé s’exclame: “Que rien ne bouge!” J’aimerais que rien ne bouge. Non pas que les choses se figent mais que, soudainement, le temps s’étire.»

Appuyer sur pause le temps de réunir tous les éléments nécessaires à un bonheur parfait. Mais, comme elle le dit, Magalie préfère largement sa vie d’aujourd’hui à celle qu’elle vivait il y a une décennie et même quelques années à peine.

«Je pense que je suis une meilleure personne. Je suis une meilleure fille pour mes parents, une meilleure copine pour mes amies. J’espère aussi être une meilleure amoureuse. Je pense que je me suis bonifiée de ce côté, et j’aimerais faire éclore quelqu’un d’autre dans cette belle vie-là.»

D’ici à ce que ses désirs d’enfant deviennent réalité, il lui reste toute la liberté de se consacrer corps et âme à ses passions: le jeu et le voyage en solitaire. Celle qui a animé Partir autrement sur Évasion pendant quelques années s’adonne à ses périples comme on s’abandonne à une grande histoire d’amour. «J’ai l’impression que ça fait partie de mon identité, de ma géographie intérieure. Tout ce que j’ai acquis comme connaissances, les rencontres que j’ai faites, ç’a changé ma perspective sur les choses. Je sais désormais que tout s’inscrit dans un portrait global.»

Elle affirme que personne ne la questionne jamais sur les traces que laissent sur elle ses voyages en solo, comment ils la modèlent. Et si on le lui demande? «Le voyage, c’est souvent une histoire de partage à deux, mais quand on le fait seule, on devient la personne avec qui partager les moments qu’on vit. J’ai maintenant tellement de beaux souvenirs avec moi-même, des moments d’adversité aussi, que j’ai surmontés seule. Il y a quelque chose d’attendrissant là-dedans, comme un soft spot pour moi-même.» Elle rit et lance qu’elle se trouve un peu quétaine en s’écoutant dire ce genre de choses, mais la nervosité dans sa gorge a disparu.

«On pense encore que la beauté est la plus grande qualité des femmes. Que c’est leur meilleure façon d’avancer dans le monde, que tout le reste est secondaire, alors qu’aucune qualité humaine ne naît de la douceur ou de la beauté des traits.»

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Photo: D.Picard

Toute la beauté du monde

Si elle préfère partir seule, Magalie aime partager de magnifiques clichés de ses aventures sur Instagram. «Je suis constamment à la recherche du beau! En plaçant mon appareil photo devant la beauté, je fais un pied de nez à la misère, au cynisme et à tout ce qui ravage notre monde.» Sur son compte, les selfies se font toutefois rarissimes. «Je n’ai pas besoin de me prendre en photo devant un volcan pour savoir que j’y étais.»

En l’entendant dire cela, le sujet devient inévitable, d’autant que l’entrevue tire à sa fin. La beauté. Sa propre beauté, si évidente, si soulignée dans l’espace médiatique. Y accorde-t-elle autant d’importance que nous? «On parle constamment de beauté aux femmes, mais on en parle toujours d’un point de vue esthétique alors que, pour moi, ça n’a rien à voir avec ce qui plaît. La beauté a plutôt à voir avec ce qui émeut, ce qui transperce.» Magalie me demande si j’ai déjà interrogé un homme à ce sujet. Bien sûr que non.

«Mais je comprends qu’il est difficile de ne pas aborder cette question avec une femme; nous sommes toutes un peu esclaves de ces standards qui sont fixés par on ne sait trop qui. En même temps, tu vois, j’aime la coquetterie. J’ai déménagé il y a quelques mois et, en faisant le tri de tous mes petits pots, j’ai eu un haut-le-cœur tellement il y en avait. Je me suis mise à me demander à qui je mentais, à qui je voulais correspondre.» Sans parler des sommes astronomiques investies dans cette grande mascarade. «Tu imagines à quel point l’indépendance économique des femmes serait plus grande si on pouvait échapper à ses impératifs?» Il n’y a pas de réponses à ces questions, parce qu’il n’en existe pas d’assez nuancées. Mais il y a matière à réflexion, comme pour tous les sujets abordés autour de ce café que je n’ai pas vraiment envie de terminer.

La bise de départ est moins précipitée que celle de l’arrivée. Les adieux sont sentis. Et même si les lieux se vident de sa présence, Magalie a ouvert quelques portes et ses perspectives continuent de m’habiter.

Magalie Lépine-Blondeau est en couverture du magazine ELLE Québec de novembre, en kiosque. Abonnez-vous ici pour recevoir les prochains numéros chez vous.

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