Monica Bellucci et Sophie Marceau s’avancent sur le tapis écarlate, main dans la main. L’incendiaire Italienne et la pétillante Française portent deux robes longues rouges qui épousent leurs courbes et découvrent leurs épaules. On est en 2009, et leur montée des marches du Palais pour la première du film Ne te retourne pas est l’évènement du Festival de Cannes. Des dizaines de photographes mitraillent les deux stars, tandis que des hordes de journalistes hurlent la même question: «Qu’est-ce que vous portez? Who are you wearing?» La réponse – Dior pour Monica et Yves Saint Laurent pour Sophie – est relayée en temps réel sur Twitter et quelques secondes plus tard sur des blogues de mode. Le lendemain, les émissions à la Fashion Police commenteront leurs tenues, et les journaux se demanderont si elles n’étaient pas un peu trop «rouges» (n’avait-on pas l’impression qu’elles se confondaient avec le tapis? écrira le Daily Mail). En moins de temps qu’il n’en faut pour publier un statut Facebook, l’image de ces deux robes, portées par deux brunes sublimes élégamment enlacées pour les photographes, aura fait le tour du monde…

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Qui décide de ce que porte une star? Jessica Chastain s’est-elle levée un matin de l’année dernière avec l’irrépressible envie de parader en Gucci pour la première de Lawless? Cette robe était-elle une trouvaille de sa styliste? Et si c’étaient plutôt les cerveaux du Service de marketing de la maison italienne qui avaient fait la cour à la jolie rousse, lui remettant peut-être même un chèque au passage?

 Ce dernier scénario serait le plus plausible, selon le réalisateur et journaliste français Olivier Nicklaus. «Les grandes marques ont désormais un budget « tapis rouge », parce qu’il s’agit pour elles d’un puissant outil promotionnel», affirme sans détour M. Nicklaus, qui a signé le documentaire The Red Carpet Issue il y a trois ans. Dans ce film, diffusé à Canal quelques jours seulement avant l’ouverture du Festival de Cannes en 2010, on scrute de près les tractations entre les vedettes et les grandes marques… ce qui a causé un malaise parmi le jetset français. «En France, dire qu’une actrice est payée pour porter une robe, c’est tabou, explique le réalisateur. On ne parle pas d’argent. C’est culturel!»

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N’empêche, entre les stars et les différentes marques, ça négocie ferme. Parfois, les agents des vedettes ou leurs stylistes servent d’intermédiaires avec les maisons de couture. D’autres fois, les marques marchandent leur visibilité directement avec les pontes du marketing d’un festival ou d’un évènement. Un exemple? Le bijoutier suisse Chopard est un partenaire officiel du Festival de Cannes, ce qui signifie qu’il débourse une somme rondelette pour que les têtes d’affiche portent les joyaux de sa dernière collection. «Chopard a tout avantage à ce que les vedettes choisissent ses créations lorsqu’elles montent les célèbres marches, précise M. Nicklaus. Elles se font photographier deux cent fois en quelques secondes et les clichés se retrouvent instantanément dans les médias du monde entier. Aucune publicité traditionnelle n’est aussi efficace.» La preuve? Lorsque Julia Roberts est allée chercher sa statuette de Meilleure actrice aux oscars de 2001, vêtue de sa robe Valentino noir et blanc, elle aurait généré des ventes de plus de 25 millions de dollars pour la maison de couture… C’est M. Valentino lui-même qui l’a dit!

 LA GENÈSE DE LA BUSINESS

Il y a longtemps que les compagnies se servent des actrices comme ambassadrices. En 1944 déjà, Harry Winston avait eu l’idée de prêter des diamants à Jennifer Jones, nommée Meilleure actrice cette année-là pour son rôle dans The Song of Bernadette. Mais selon Dana Thomas, journaliste en mode et auteure du bestseller Deluxe: How Luxury Lost Its Luster, le tapis rouge s’est transformé en un véritable espace publicitaire il y a une vingtaine d’années seulement. «Giorgio Armani a ouvert son bureau de Los Angeles à la fin des années 1980 avec l’objectif avoué d’habiller les célébrités lors d’évènements médiatiques, précise-t-elle. Le premier coup d’éclat de la maison a eu lieu quand Michelle Pfeiffer est apparue sur le tapis rouge des oscars dans sa robe bleu marine en 1990.» La tenue de l’actrice avait alors été fortement médiatisée… et surtout, elle avait donné envie à d’autres grandes marques de se joindre à la grand-messe du cinéma hollywoodien.

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«Au début, les maisons se contentaient d’offrir des vêtements aux actrices afin qu’elles citent leur nom», explique Olivier Nicklaus. Puis, au fil des ans, un système économique complexe s’est mis en place. Peu à peu, les vedettes ont demandé à garder les toilettes qu’on leur prêtait. On se rappellera d’ailleurs Jennifer Lopez qui, après une séance photo pour une pub de Louis Vuitton, était partie en emportant au passage l’équivalent de dizaines de milliers de dollars en marchandise, rapportait en 2003 le New York Post
Puis, les stars se sont rendu compte des importantes répercussions économiques de leurs choix vestimentaires: les ventes de parfums, de sacs et de lunettes des compagnies siglées montaient en flèche les jours suivant les tapis rouges. Pourquoi alors ne pas réclamer sa part du gâteau? Ce genre d’entente où les comédiennes sont – chèrement – payées «leur permet de jouir d’une plus grande indépendance financière, ce qui peut contribuer à orienter leurs choix au cinéma vers des rôles moins lucratifs mais plus intéressants», fait valoir Olivier Nicklaus. C’est aussi l’avis de Monica Bellucci, égérie de Dior puis de Dolce & Gabbana: «Mieux vaut faire de belles pubs que de mauvais films», dit sans détour l’actrice dans The Red Carpet Issue.

 Dana Thomas le confirme: «Aux oscars, celles qui sont nommées dans les catégories de choix auront certainement des propositions de la part des grandes maisons.» Mais la cote de célébrité n’explique pas tout. Encore faut-il qu’une actrice soit élégante. «Une fille qui marche comme un chauffeur de camion ou qui mâche de la gomme comme un ruminant peut nuire à l’image d’une marque», nous rappelle la journaliste. Quant aux autres vedettes, celles qui ne trônent pas au sommet du box-office, elles ne verront probablement pas la couleur de l’argent des grandes marques…
Et combien les maisons de couture dépensent-elles pour «louer» une actrice en vue d’un gala? Aux États-Unis, les chèques à six chiffres seraient monnaie courante. Selon le New York Post, les joaillers comme Chopard ou Bulgari débourseraient jusqu’à 500 000$ pour convaincre des actrices de la trempe de Jennifer Lawrence ou d’Anne Hathaway d’emprunter leurs pierres précieuses. Mais la relation d’amour (et d’affaires) entre une marque et une star ne s’arrête plus au seul soir de la première. Les actrices sont maintenant fréquemment engagées à titre d’«ambassadrices» à longueur d’année. Ce qui n’est pas sans provoquer quelques imbroglios. Ainsi, Charlize Theron – le visage du parfum J’adore, de Dior, depuis 2004 – a connu des démêlés avec la justice en 2008. Elle a été condamnée par la cour à verser quelques millions en dommages à l’horloger Raymond Weil. La faute de Charlize? Elle avait porté une montre Dior durant une conférence de presse, alors que son contrat avec la maison Raymond Weil stipulait que l’usage de son poignet lui était réservé. Ouf! Mélangeant, tout ça…

Heureusement, il restera toujours des célébrités pour n’en faire qu’à leur tête. Charlotte Gainsbourg ne jure que par Nicolas Ghesquière, et Tilda Swinton suit son goût pour les coupes sculpturales et les tenues avant-gardistes. C’est grâce à ces électrons libres que les jeunes créateurs et les petites compagnies qui n’ont pas les moyens de se «payer» une star peuvent encore se tailler une place sur le tapis rouge… 

 

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