Un iris bleu, l’autre noisette. À l’écran, c’est à peine perceptible. David Boutin a les yeux vairons. Alors qu’il est assis devant moi, je dois lutter pour ne pas croiser son regard plus d’une fraction de seconde par peur d’être hypnotisée. Ce n’est pourtant pas qu’il soit intimidant. Il est arrivé en vélo au bistrot du Vieux-Montréal où nous lui avions donné rendez-vous pour l’entrevue et la séance photo; il semblait tout juste tombé du lit. Il s’est excusé de son retard, a commandé un jus d’orange, puis a amorcé la conversation l’air désinvolte, en me décochant à quelques reprises un sourire irrésistible. Visiblement, si le charmant docteur de
La grande séduction m’a fait patienter un peu, il ne joue pas pour autant les stars.

Voilà maintenant cinq minutes que nous causons de choses légères et je dois avouer que j’ai du mal à rester concentrée. Charmant, David Boutin? Je dirais plutôt charmeur… Mais bon, ce n’est pas parce que toutes les filles de la rédaction m’envient de passer une heure en tête-à-tête avec cet homme que je dois déroger à ma rigueur journalistique. J’aborde donc le sujet de notre rencontre: son rôle dans la série
Le gentleman, un suspense psychologique signé par le tandem Anne Boyer et Michel D’Astous (
2 Frères, Tabou, Nos
étés) qui sera diffusé en octobre à TVA. L’acteur qu’on a vu en boxeur déchu dans le film
La ligne brisée, de Louis Choquette (qu’il a d’ailleurs retrouvé sur le plateau du Gentleman), incarne une fois de plus un dur: Louis Cadieux, un (bel) agent double qui infiltre les milieux criminels.

Dès le premier épisode – que j’ai eu la chance de voir en primeur avant cet entretien –, on s’aperçoit que la carapace de ce flic téméraire comporte une faille: la femme qu’il aime (Marianne Farley) a été victime d’un mystérieux attentat et est maintenue artificiellement en vie. Il est si obsédé par l’idée de retrouver le coupable qu’il en viendra à transgresser la loi. «Il est comme un chien qui ne lâchera pas son os», me dit David Boutin.

L’OEIL DU CHAT

Ce n’est pas étonnant que l’acteur interprète souvent des hommes qui côtoient le danger comme s’ils avaient quelques vies en réserve. En me risquant à l’observer plus d’une fraction de seconde (ouf!), je me dis qu’il a quelque chose de félin, en raison de son iris gauche mince comme celui d’un chat. Serait-il du genre à appâter ses proies pour mieux les croquer?

Pour faire diversion, je lui demande si, à son avis, les métiers d’acteur et d’agent double se ressemblent. «Les deux doivent rendre un personnage crédible», me répond-il, avant de préciser qu’un flic qui fait de l’infiltration n’a pas droit à l’erreur. Il me raconte qu’il a demandé à un enquêteur quel type de personne pouvait faire ce travail. L’homme lui a répondu: «Quelqu’un qui semble à l’aise partout.» À le voir confortablement assis sur sa chaise, avec son sourire narquois, je me dis que David Boutin a certainement le profil de l’emploi. «Je n’aurais jamais le courage de jouer comme ça avec ma vie», me lance-t-il tout de go.  Cela dit, il me semble être plutôt relax… «Pas tant que ça», m’avoue-t-il, avant d’ajouter qu’il est même plutôt stressé dans la vie de tous les jours, mais qu’il le cache bien.

D’ailleurs, à la perspective d’être photographié pour ELLE QUÉBEC, il s’est montré un brin anxieux. Par chance, nous avons l’habitude de ce genre de réaction. Demandez aux acteurs québécois – même aux plus beaux – de jouer les top modèles comme le font Tom Cruise ou Brad Pitt, et ils paniquent.

David Boutin ne fait pas exception. «J’haïs ça!» lâchet-il, toujours avec le sourire. Ah bon? C’est pourtant lui, et non une doublure, qui retire son t-shirt avec un sex-appeal indéniable dans une scène du
Gentleman… D’où lui vient cette soudaine pudeur? «Dans la série, je joue un personnage, ce n’est pas moi qui suis devant la caméra! Là, oui…», avance-t-il pour sa défense.

david-boutin-2.jpgC’est que ce diplômé de l’École nationale de théâtre ne veut surtout pas qu’on l’aime pour ses beaux yeux. Celui qui a pris part cet été au tournage des films Le baiser du barbu, d’Yves Pelletier, 2 fois une femme, de François Delisle, et Y en aura pas de facile, de Marc-André Lavoie, et qui va sûrement brûler les planches du TNM cet automne dans L’imposture, d’Evelyne de la Chenelière, n’a jamais voulu miser sur le vedettariat. «Selon moi, un acteur doit rester le plus anonyme possible pour qu’on puisse croire à son personnage. Plus un comédien est connu, plus les spectateurs prêtent attention à sa prestation plutôt qu’à l’intrigue», explique-t-il.

Une question me brûle pourtant les lèvres: ne devrait-il pas se réjouir que les Québécoises se pâment devant sa belle gueule? «C’est un regard qui est biaisé, avance-t-il. Lorsqu’une fille te suit des yeux, est-ce parce qu’elle te trouve cute ou parce que tu passes à la télé? C’est une impression étrange…»

 

LE GRAND JEU

À le voir prendre la pose avec une assurance déconcertante pendant la séance photo, et même badiner avec l’équipe, je trouve que David Boutin se débrouille plutôt bien pour quelqu’un qui dit se prêter au jeu à contrecoeur. Je me rappelle alors ce qu’il m’a dit un peu plus tôt pour expliquer son malaise. «Ma seule préoccupation, c’est de bien défendre un rôle; ce qui me fait vibrer dans la vie, c’est de jouer, d’être dans une salle de répétition et de chercher l’interprétation la plus juste. Je sais qu’il y a aussi une business derrière tout ça. Ce n’est pas ce qui me fait triper, mais la promotion fait aussi partie de mon travail…»

Heureusement pour nous, la belle bête est beaucoup moins sauvage qu’avant. Et pour preuve: ces splendides clichés que notre photographe Michel Cloutier a pris de l’acteur, un des meilleurs de sa génération.

 

PHOTO: TVA (David Boutin, Le Gentleman)